Le numéro 31 de la revue Histoire urbaine (publiée par la Société française d'Histoire urbaine) vient de paraitre avec pour thème central "Rire en ville".
Les non initiés ont parfois du mal à comprendre des spécialistes, lorsqu’ils discourent sur leur discipline. A contrario, lorsque certains savants sortent de leur sphère de préoccupation
habituelle, le résultat peut parfois s’avérer passionnant.
La revue Histoire urbaine consacre sa 31ième livraison au « Rire en ville », une thématique originale, en apparence loin des questions d’aménagement du territoire et autres explorations
de l’espace urbain. A mi parcours entre sociologie et histoire des représentations, ce numéro intéressera à n’en pas douter ceux que l’histoire de la satire passionne.
Dans le désordre évoquons quelques articles de ce recueil. Davide Lombardo analyse les lithographies que Daumier réalisa sur les bains publics, en retraçant l’histoire de ces bains. L’auteur
décortique les biais particuliers choisis par le grand dessinateur du XIXe siècle pour transcrire l’atmosphère de ces lieux de baignade et les sociabilités qui s’y construisent, dans une visée
satirique bien sûr. Notons que la représentation se montre alors plus prude que la réalité, puisque Daumier habille ses modèles lorsque la nudité constitue la règle dans les bains « populaires
».
Agnès Sandras-Fraysse s’intéresse de son côté au charivari textuel et graphique qui éclate lors de la nomination du Préfet Poubelle et à la campagne de dénigrement (et de résistance sociale) qui
s’élabore en réaction à la généralisation de son hygiénique invention. Scrutant la moindre caricature, se délectant des saillies textuelles présentes dans la presse, l’auteure analyse les
différentes étapes de la campagne d’indignation et les préjugés qu’elle véhicule : la fameuse poubelle semble devoir, en cette deuxième moitié du XIXe siècle, rompre l’équilibre des classes.
Horreur !
Deux articles portent plus précisément sur la ville de Berlin. Martin Baumeister décrit des berlinois particulièrement originaux dans leur maniement du mot d’esprit, tandis que Jan Rüger se
passionne pour l’évolution du rapport au rire des autorités allemandes pendant la première guerre mondiale. Ceux qui dirigent le pays cherchent alors à imposer à cette ville connue pour ses
divertissements liés au rire, une rigueur qui correspond à l’idéal militaire de guerre. En s’appuyant sur la lecture des rapports de police, l’auteur montre qu’au-delà de quelques mois de
sagesse, la ville reprend sa légèreté habituelle, qui prend même la forme d’une résistance aux autorités en question. Les élites déplorent également que leur rigorisme sert d’arguments aux
neutres ou aux Alliés. Ces derniers présentent cette peur du rire comme un aveux de faiblesse… S’ensuite alors un vrai retournement de situation des élites à l’égard du rire populaire qui peut
dorénavant être utilisé dans une visée propagandiste.
Au travers d’autres articles encore, ce foisonnant recueil invite à réfléchir au rôle de l’urbanisation de ces derniers siècles dans le développement d’un rire spécifique, propre à la ville,
propre à chaque ville, un rire constitutif de ce que l’on pourrait désigner sous le terme d’« âme » urbaine, difficilement saisissables et en perpétuel mouvement.
GD, janvier 2012
SOMMAIRE :
Olivier RATOUIS, Martin BAUMEISTER : “Rire en ville. Rire de la ville.L’humour, objet pour l’histoire urbaine contemporaine”
Davide LOMBARDO : “Se baigner ensemble. Corps et bains publics parisiens selon Daumier”
Agnès SANDRAS-FRAYSSE : “Eugène Poubelle mis en boîte”
Martin BAUMEISTER : “L’invention du Witz à Berlin au XIXe siècle”
Jan RÜGER : “S’amuser en guerre. Berlin (1914-1918)”
Pierre LE GOÏC : “Les revues théâtrales locales en France, 1855-1930”
Olivier RATOUIS : “Le moment ’58”