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Dessin de Chaunu, 1993.


VERDUN-1984 : 20 ANS APRÈS. Les avatars d’une nouvelle « icône » de la caricature franco-allemande

Par Marie Delépine 

Article publié dans Documents - Revue des questions allemandes n°3, 2004, p. 23-28.

« […] Je me souviens de Kohl et Mitterrand qui
 se tenaient par la main. C’était à Verdun. […] »
 Yves Simon (1)


D’une commémoration à l’autre

L’année 2004 est placée sous le signe de la mémoire et du souvenir. Depuis le mois de juin, les commémorations se sont en effet succédé à un rythme soutenu. A chaque fois, elles ont été relayées et commentées par les médias : ce fut le cas pour le débarquement en Normandie, mais aussi pour celui de Provence et pour la Libération de Paris au mois d’août dernier. Dans ce contexte de réactivation récurrente de la mémoire collective, de mises en scène du passé, il convient de rappeler que l’année 2004 correspond à un autre anniversaire qui risque de passer inaperçu dans le flot médiatique de la Rentrée : le 22 septembre prochain marquera en effet les vingt ans du mano a mano réunissant le président Mitterrand et le chancelier Kohl à Verdun.

Il n’est pas question ici d’alimenter les polémiques déjà nombreuses sur les célébrations officielles et leur impact réel sur l’opinion publique, ni de se demander si l’on doit également célébrer « les anniversaires des anniversaires » ou « commémorer les commémorations ». Inutile aussi de chercher à savoir qui - du président ou du chancelier - a tendu la main à l’autre devant l’ossuaire de Douaumont en 1984, ni de reprocher aux dirigeants - comme ce fut le cas à l’époque - de s’être alors livrés à un jeu de manipulation médiatique teinté de démagogie. Est-il d’ailleurs vraiment indispensable de savoir si de tels gestes ont été ou non décidés à l’avance ? Ceci ne relève-t-il pas plutôt de la « petite histoire », celle qui s’inscrit dans les coulisses du pouvoir ? En revanche, il semble plus intéressant de profiter de cet anniversaire pour revenir sur les mécanismes de représentation et de réception des relations franco-allemandes à partir d’un support particulier comme le dessin de presse. Les vingt années écoulées offrent le recul nécessaire pour suivre l’évolution des différentes adaptations et mises en image de cette scène. Elles permettent déjà d’en estimer l’influence véritable sur le travail des dessinateurs de presse. Mais si « Verdun-1984 » figure depuis deux décennies dans le répertoire des caricaturistes des deux pays, c’est que l’événement fut dès le début indissociable de la notion d’image(s).

Une image dans l’image
Plusieurs photographies contribuèrent en effet rapidement à assurer la postérité d’un geste qui ne dura pourtant que quelques minutes. Les années passant, les observateurs semblent se souvenir d’une seule et même image. En réalité, plusieurs clichés ont été diffusés à l’époque. Certains photographes offraient des plans larges montrant le cercueil et les deux couronnes de roses rouges devant lesquels se sont recueillis les deux hommes, ils inclurent  parfois aussi la foule des anciens combattants et des invités qui se tenaient derrière eux. D’autres privilégiant le noir et blanc (ambiance commémorative oblige !) se concentrèrent - par un plan plus serré - sur le geste et les regards échangés par les deux hommes. En fait, chaque approche conféra à l’événement une valeur particulière et détermina la nature des interprétations qui s’en suivirent.

De la transposition immédiate et littérale de la réalité à des visions déjà stylisées et relevant de l’exégèse, ces photographies contribuèrent à amplifier la portée du geste. Reprises en 1988 pour la campagne des présidentielles, puis en 1992 sur des affiches pour le « oui » à Maastricht, les différents clichés de « Verdun-1984 » ont depuis trouvé leur place dans de nombreuses publications. Il arrive même que la scène figure sur la couverture d’ouvrages consacrés aux relations franco-allemandes ou à la construction européenne. Certains témoins, par exemple Günter Grass, ayant à leur tour livré leur propre récit de la scène, cette dernière nous est peu à peu devenue familière (2) au point d’apparaître, ici ou là, dans les manuels scolaires. Vingt ans après, beaucoup ont oublié la date effective de la commémoration, mais ce qui est resté gravé dans les mémoires c’est l’image du mano a mano. Immortalisé sur papier glacé, celui-ci est venu rejoindre l’album de famille des relations franco-allemandes. Il y occupe d’ailleurs une place de choix à côté des photographies officielles montrant Charles de Gaulle et Konrad Adenauer assistant au Te Deum « rédempteur » dans la cathédrale de Reims en 1962. Depuis les années soixante, le style et les échanges diplomatiques avaient certes changé et le rapprochement physique, la charge émotionnelle associée au mano a mano restaient encore inédits. Malgré tout, le geste de François Mitterrand et d’Helmut Kohl s’inscrivait bel et bien dans le sillage de leurs illustres prédécesseurs.

Le thème de la réconciliation
Plus encore, après des années d’engourdissement du dialogue bilatéral, de couples de dirigeants distants ou avant tout occupés à résoudre des questions économiques essentielles (mais très pragmatiques), les deux dirigeants redonnèrent à la coopération intergouvernementale un nouvel élan. Figures de proue de la continuité, François Mitterrand et Helmut Kohl apportèrent leur contribution pour visualiser de façon très « palpable » la réconciliation, une notion souvent restée lointaine et abstraite. Sans pour autant l’occulter, le geste des deux chefs d’Etat dépassait le souvenir de la funeste poignée de mains de Montoire et  permettait de renouer avec des images plus pacifiques et plus positives du couple franco-allemand, celles qu’incarnèrent dès 1926 des hommes comme Aristide Briand et Gustav Stresemann. Mais l’hommage commun de 1984 ne réaffirmait pas seulement  l’idée de réconciliation. Dans le contexte encore très polarisé du début des années quatre-vingt, il permettait également d’écrire un nouveau chapitre de cette Histoire hors du commun (3) qui caractérise les relations franco-allemandes depuis plus d’un siècle. Cette histoire riche de rebondissements qui vient nourrir le pathos – et parfois l’emphase - avec lesquels les dirigeants réhabilitent le passé lors des cérémonies officielles. La rencontre de septembre 1984 illustre d’ailleurs parfaitement la dialectique passé / avenir autour de laquelle s’articule et se cristallise le discours franco-allemand depuis la perte officielle de l’ennemi héréditaire (4). Les couples de dirigeants successifs rappellent  régulièrement les souvenirs douloureux d’un passé encore vivace et les associent en même temps à une part de responsabilité commune des deux pays pour l’avenir (notamment celui de l’Europe). Pourtant, tous n’accompagnent pas leurs décisions et leurs actes politiques de gestes symboliques propres à réveiller les consciences et à susciter un véritable regain d’intérêt pour une coopération qui, au quotidien, s’avère quelque fois laborieuse. Tous ne parviennent pas non plus à nourrir l’imaginaire de l’opinion publique, ni  à jeter les jalons d’un inconscient collectif franco-allemand.

Verdun : un lieu de mémoire commun
Le choix de Verdun s’avère ici essentiel. Le cadre géographique et presque topographique de la scène primait en cela sur la date. Terrible et déjà mythique, ce nom souvent revisité par les historiens s’était déjà transformé dans la première moitié du XXème siècle en symbole dans l’inconscient collectif français (5). La commémoration du 22 septembre 1984 fit de ces paysages lunaires aujourd’hui encore imprégnés des luttes acharnées qui s’y déroulèrent le « lieu de mémoire» emblématique par excellence d’une histoire commune en train de se construire. Victoire ou non, l’expérience - « l’Enfer » - de Verdun fut sans conteste comparable des deux côtés de la ligne de front : la boue, le feu et le plus souvent la mort. En 1984, le seul nom de Verdun permettait d’évoquer clairement l’idée d’une « communauté de destin » entre la France et l’Allemagne. Un concept qui complétait celui d’une « communauté d’intérêt(s) » alors largement réalisée dans les faits. Du même coup, le mythe de Verdun-1916 rencontra celui plus récent de la réconciliation. Comme dans les années soixante, on personnalisa et on humanisa les enjeux politiques complexes et supranationaux dont les dirigeants se font les fers de lance pour entonner un hymne à la gloire de l’amitié franco-allemande.

Le mano a mano de Verdun : un nouveau motif de la caricature franco-allemande
Force est de constater que l’impact de la scène a aujourd’hui dépassé la seule date du 22 septembre 1984 (6). Sorti de son contexte d’origine, le mano a mano est désormais auréolé d’une popularité qui lui a peu à peu permis de gagner en autonomie et en abstraction. Rien d’étonnant si les dessinateurs de presse - toujours en quête de nouveaux motifs - ont su profiter de l’aubaine qui s’offrait à eux pour renouveler ce genre à part entière que constitue la caricature franco-allemande. Plusieurs éléments étaient d’ailleurs réunis pour les séduire. Le répertoire traditionnel des dessins traitant les affaires franco-allemandes remonte au milieu du XIXème siècle et s’est toujours appuyé sur des références historiques. Evénements de premier ordre et anecdotes sont en effet un matériau de base. Ils agrémentèrent régulièrement de nouveaux d’attributs la galerie de portraits et d’accessoires dans laquelle puisent, de façon provocatrice ou humoristique, les dessinateurs des deux pays. Certains motifs sont définitivement tombés dans les oubliettes de l’histoire, alors que d’autres - « dépoussiérés » au gré de la conjoncture politique, continuent de cohabiter avec des éléments plus modernes. (7) La force visuelle de la commémoration de Verdun répondait parfaitement à ce critère puisqu’elle permit de réactiver bon nombre de motifs traditionnels (les casques à pointe, les uniformes des« poilus »). Mais l’initiative de François Mitterrand et d’Helmut Kohl livrait aussi un nouveau signifiant rapidement exploitable : le mano a mano. Celui-ci constituait une image suffisamment explicite pour être décodée par le plus grand nombre. Il s’avérait aussi assez riche et polysémique pour être décliné par les dessinateurs de presse. Depuis les années soixante, on n’avait d’ailleurs pas vraiment assisté à l’arrivée de motifs susceptibles d’inspirer de la sorte les caricaturistes. Ces derniers ont très tôt mis en images la réconciliation en montrant des dirigeants « bras dessus - bras dessous » s’abandonnant à un sentimentalisme parfois exacerbé (8). Cependant, il s’agissait encore d’un méta-discours. Véritables entorses au protocole, effusions et embrassades n’avaient encore jamais eu lieu dans les faits et le comique de ces dessins reposait justement sur le contraste entre de tels élans et l’attitude beaucoup plus posée des différents chefs d’Etat.

Le renversement des valeurs inhérent à la réconciliation entraîna d’abord un changement radical des représentations, mais l’effet de surprise provoqué par cette nouvelle alliance souvent jugée contre-nature s’essouffla peu à peu. Motifs et techniques étaient redondants et souvent limités. Beaucoup de dessins sont d’ailleurs emprunts de cette routine que leurs auteurs cherchaient justement à dénoncer au sein du couple franco-allemand. Les couples successifs n’ayant pas accompagné avec la même énergie l’évolution des relations bilatérales, ils ne jouirent pas tous non plus du même degré de popularité auprès du grand public. Ceci explique pourquoi, les pionniers de la réconciliation, Charles de Gaulle et Konrad Adenauer ont longtemps été les deux seules figures tutélaires de la caricature franco-allemande. Toujours omniprésentes après leur mort, les deux personnalités furent très régulièrement mises en abyme (sur un nuage ou sur un tableau) pour légitimer le travail de leurs héritiers respectifs. Verdun-1984 permit aux deux hommes en présence de rejoindre plus durablement que les couples précédents le panthéon de la caricature franco-allemande. De par son caractère solennel et son contenu émotionnel, la commémoration de Verdun prit le relais de celle de Reims tout en soulignant la continuité des relations franco-allemandes. Ceci explique  pourquoi le dessinateur allemand Rainer Hachfeld parle d’ «icône » pour l’évoquer (9). De nos jours, ce mot est employé à tout bout de champ. Il apparaît même galvaudé, du moins excessif dans le domaine très profane de la satire graphique. Mais ne parle-t-on pas du « miracle » de la réconciliation et les discours sur l’amitié franco-allemande ne prennent-ils pas parfois des accents mystiques ?

Leur esprit critique les empêchant d’être dupes du décorum politique ou d’interpréter au pied de la lettre cette mise en scène venue d’en haut, les dessinateurs surent rapidement exploiter la nouvelle «image dans l’image» que les dirigeants leur proposaient. Plusieurs vagues et types d’adaptations doivent cependant être distingués.   

Quelques mises en image du mano a mano
Les premiers dessins se référant à la rencontre de Verdun datent de 1984. La plupart du temps, il s’agit en fait de commentaires à chaud de l’événement. C’est le cas, par exemple, d’une caricature de Moisan publiée dans le Canard enchaîné du 26 septembre de la même année. Intitulé « La Fraternisation », le dessinateur transforme le mano a mano en une chaleureuse poignée de mains entre les deux chefs d’Etat revêtus pour l’occasion des uniformes de la Première Guerre mondiale. Il montre les tranchées et les cimetières dans lesquels ont souffert et reposent les soldats français et allemands. Mais Moisan insiste également sur la cruauté des dirigeants de l’époque. Il fait de ces derniers les responsables du carnage au cours duquel s’affrontèrent les deux peuples. Le geste de François Mitterrand et d’Helmut Kohl est d’ailleurs commenté - du haut de deux nuages - par le haut commandement des deux armées respectives. Les chefs d’alors sont choqués par l’attitude de leurs successeurs qu’ils voudraient - d’un commun accord - voir « fusiller pour l’exemple ». Rappelant que les temps ont bel et bien changé, ce dessin reste proche du message officiel délivré lors de la déclaration commune du 22 septembre (« l’hommage aux morts des combats passés »). Le travestissement des deux acteurs principaux de la scène et la transposition du mano a mano en poignée de mains relève malgré tout de l’interprétation personnelle. Ne se contentant pas d’illustrer l’événement, les caricaturistes en profitèrent très tôt pour donner leur propre version de la scène et laisser libre cours aux réminiscences que leur inspire le lieu. Plus on s’éloigne de l’événement, moins le décalage par rapport aux photographies évoquées plus haut semble évident puisque la plupart des dessinateurs, reprenant une tendance toute contemporaine du dessin de presse, préfèrent donner une vision plus épurée et a priori plus réaliste de la scène en reprenant le « costume-cravate » ou le pardessus (10). Parallèlement, le mano a mano gagna en signification se passant de plus en plus d’accessoires. C’est lui désormais qui devait occuper le premier plan de la plupart des dessins thématisant Verdun-1984. S’il inspira les caricaturistes, c’est aussi parce que ces derniers avaient l’habitude de mettre en pratique la pertinence et le symbolisme des mains. Ils s’appuyaient déjà auparavant sur le bon sens populaire et les expressions idiomatiques pour commenter des situations diverses et parfois contradictoires : «mettre la main à la pâte», «se donner un coup de mains», «demander la main de quelqu’un» ou «se livrer à un bras de fer» etc. De plus en plus variées, les interprétations a posteriori du geste de Verdun reprenaient et créditaient des images profondément ancrées dans l’inconscient collectif des deux peuples.  

L’évolution du motif : polysémie et glissement sémantique
Devenu une véritable référence, le mano a mano prit ainsi un caractère historique et put être employé hors contexte. L’impact de l’image, son caractère satirique ne repose plus dans son pouvoir sémantique d’origine, mais sur des éléments anachroniques ou sur le dialogue supposé entre les deux hommes. Ne se cantonnant pas longtemps au thème de la réconciliation, les caricaturistes prêtèrent à ces derniers les propos les plus divers, au gré des hasards de l’actualité. Ils recoururent à Verdun-1984 dès qu’il était question des relations franco-allemandes en général, associèrent ce motif dans leurs commentaires sur la politique intérieure de leur pays respectif et n’hésitèrent pas à élargir son champ d’application aux affaires européennes ou à la politique internationale. Le mano a mano repris notamment du service pour faire de la Cohabitation un ménage à trois dont Helmut Kohl figurait l’axe de symétrie en tenant par la main un premier ministre de droite et un président de gauche. Il trouva également sa place dans les dessins accompagnant les débats sur Maastricht (11). Sporadiquement, commémorations du Débarquement en Normandie obligent, les dessinateurs remirent en cause le mano a mano en sous-entendant qu’il s’agissait, comme pour le défilé de la brigade franco-allemande sur les Champs-Elysées à l’occasion du cinquantième anniversaire en 1994 (12), d’une compensation diplomatique visant à faire oublier l’absence du chancelier allemand. De façon plus blasphématoire encore, le message délivré en 1984 fut - ici ou là - détourné et permit à de nombreux dessinateurs de mettre en images les crises et périodes de doute ou de blocage au sein du couple franco-allemand à l’occasion de  chute du Mur de Berlin et de la Réunification (13). Dans le même esprit, Verdun-1984 contribua également, à la fin des années quatre-vingt, à condamner les ventes d’armes à des pays tiers.    

Verdun - 1984 : une icône à suivre
En janvier 1996, à l’occasion du décès de François Mitterrand, on assista à une nouvelle vague de dessins faisant référence au mano a mano. Le motif permettait alors d’illustrer les deux septennats du chef d’Etat français, notamment son engagement en matière de politique européenne. Cet hommage s’avérait consensuel à une époque où on polémiquait déjà beaucoup sur d’autres épisodes de la carrière politique de l’ancien président (14). Le renouvellement du personnel politique a, dans un premier temps, restreint le champ d’application du motif. Jusqu’au départ du chancelier allemand, les dessinateurs mirent en scène la coopération entre Helmut Kohl et Jacques Chirac et commentèrent à leur manière leurs passages répétés de la table de négociation à la table tout court. Après s’être demandé si le nouveau couple de dirigeants allait finir par s’entendre, les caricaturistes utilisèrent le mano a mano pour comparer et relativiser la perception immédiate du nouveau couple (par exemple en interchangeant les personnalités). Avec regret, beaucoup de dessinateurs français et allemands semblaient attendre un nouveau geste ou une nouvelle mise en scène. Dans la légende d’une caricature en trois parties publiée dans la Süddeutsche Zeitung du 13 mai  1994, Ernst Maria Lang exprimait très clairement ce point de vue, et cela avant même le décès du président : « D’abord le baiser échangé par les deux anciens, ensuite main dans la main à Verdun, après Mitterrand, on envisage déjà une troisième pose… »  Les couples président -chancelier se voient ainsi quasiment obligés de trouver un style qui lui permettra de marquer l’histoire des relations franco-allemandes. L’emphase des gestes solennels ayant laissé la place à la diplomatie en pull-over, on ne peut présager de l’évolution qui suivra dans ce domaine.       

Depuis la seconde moitié des années quatre-vingt-dix, le mano a mano n’apparaît plus il est vrai que très ponctuellement dans les caricatures. Quoiqu’il en soit, une chose est sûre : le motif a dépassé le cadre de la caricature franco-allemande pour devenir un référent à part entière de la satire politique graphique en général. Le meilleur exemple de ce glissement est le dessin publié par Plantu en 1996. Douze ans après la commémoration, le dessinateur transposa Verdun-1984 aux conflits religieux et à l’intégrisme en Algérie (15). Le mano a mano n’est pas resté une simple image d’Epinal visant à glorifier quelques idoles, il a gagné en autonomie et il faudra encore suivre son utilisation dans les années à venir.    

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NOTES
(1) Extrait de « Je me souviens », in Intempestives, Barclay, Universal Music, 1999. 
(2) Cf. GRASS, Günter, Mein Jahrhundert, Göttingen, Steidl, 1999, p. 314-317.
(3) Voir le titre du célèbre ouvrage de KNIPPING, Franz / WEISENFELD, Ernst, Eine ungewöhnliche Geschichte. Deutschland-Frankreich seit 1870, Bonn, Europa Union Verlag, 1986, 204 p.
(4) Cf. la déclaration commune clôturant la commémoration : «Nous nous sommes réconciliés. Nous nous sommes compris. Nous sommes devenus des amis. […] Aujourd’hui, le 22 septembre 1984, le chancelier de la République fédérale et le président de la République française sont venus ensemble à Verdun s’incliner sur les tombes des frères français et allemands qui sont tombés ici. En rendant hommage aux morts des combats passés, ils prouvent dans ce lieu historique que leurs peuples sont engagés sur la voix de la paix, de la raison et de la coopération amicale».
(5) Côté allemand, il restait, à l’exception d’anciens combattants de moins en moins nombreux, plutôt délaissé.
(6) Notons que le 22 septembre 1984 ne correspond à aucun événement historique puisque la bataille de Verdun s’est déroulée entre le 21 février et le 2 septembre 1916.
(7) Si les pipes d’écume et les horloges sont aujourd’hui trop datées et évoquent la seule guerre de 1870, le casque à pointe a quant à lui souvent repris du service : pour stigmatiser des questions de concurrence économique ou, en 1989,  à l’époque de la réunification de l’Allemagne.
(8) La réconciliation eut pour conséquence une remise en cause radicale des repères antérieurs. Les dessinateurs durent s’adapter à la nouvelle donne politique et trouver de nouveaux motifs ou de nouvelles techniques pour commenter les relations franco-allemandes. Notons p.ex. l’exploitation récurrente du motif du « monde à l’envers ».
(9) HACHFELD, Rainer, propos extraits d’une lettre du 29 mars 1997.
(10) Certains caricaturistes se permettent des fantaisies. Emmanuel Chaunu coiffe le président Mitterrand de son célèbre chapeau et Plantu rajoute une petite queue à la tête en forme de poire d’Helmut Kohl.
(11) Dans un dessin publié le 05 septembre 1992 dans Le Monde, Plantu  inverse par exemple les rôles et place cette fois François Mitterrand entre Helmut Kohl et Philippe Seguin pour faire le lien entre les priorités intérieures et les enjeux de la politique européenne.  
(12) Cf. le dessin de Willem paru dans Libération, le 25 mars 1994. L’auteur y reprend le mano a mano et anticipe en imaginant la remarque datée du 8 juin suivant : « Sympa d’être venu François. Le débarquement s’est bien passé ? »  
(13) Cf. le dessin de Mester présentant François Mitterrand et Helmut Kohl se tenant dignement par la main alors qu’ils ont de l’eau jusqu’à la taille. In PODSZUN, Rupprecht, Der Kanzler :Helmut Kohl im Spiegel der Karikatur , Brilon, Podszun, 1995, p. 34.
(14) Cf. le dessin sans légende d’Emmanuel Chaunu montrant Helmut Kohl, une larme à l’oeil, tendant une main vide alors que son partenaire français rejoint un nuage par une échelle de corde. Une époque vachement folle, Caen, SAECNO, 1996, p. 47. Voir aussi « Le Poids des ombres », un dessin de Rainer Hachfeld paru dans Le Monde du 12 janvier 1996. 
(15) Cf. PLANTU, Jean : Les Années vaches folles, Paris, Le Monde-Editions, 1996, p. 124.

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