Tu publies avec Zélium ton premier album personnel. C'est quoi le projet ?
Quand on fait de la figuration dans la presse, ce qui est mon cas, ce n' est pas Glénat ou Gallimard qui vont venir me chercher avec un contrat à la main. Par contre j'ai eu la chance de collaborer au magazine Zélium et d'y découvrir Cesare et les 2 Jérômes, 3 détonateurs sans lesquels rien n' aurait été envisageable. C'est grâce à eux que le projet d'album a pris forme, le merci que je leur dois pèse lourd. J' ai tellement de dessins, et qui partent dans toutes les directions, que j' avais peut-être les muscles pour un album, mais pas de squelette…
Je butais sur un titre, et c' est Cesare qui a trouvé la réponse en utilisant un dessin paru chez Cagle.com en Nov. 2016 "Welcome brainxit" … En trouvant ce titre, Cesare a déclenché une dynamique, tout devenait tout à coup plus facile, une direction prenait forme.
Il s' agit de montrer les meilleurs dessins, récents ou pas, dont la plupart ont paru et qui ont un point commun : ils ont été dessinés pour durer !
[On peut financer la publication de cet album, voir ci-dessous :]
Tu es un des rares dessinateurs à avoir pratiqué le dessin d' humour en tant que fonctionnaire…
Je n' ai pas été recruté à l' INRA pour faire du "dessin d' humour". En 1968, j' ai répondu à une petite annonce de France-soir, dans laquelle l' INRA proposait un poste de dessinateur d'études documentaires sur les maladies des plantes. Je devais présenter ma candidature auprès du Directeur du service de Pathologie Végétale au centre de Versailles, lequel, au vu de mon dossier de dessins (pas végétaux ) m' a recruté illico. Je dessinais et peignais à l' huile des plantes atteintes de mildiou, d'oïdium, de tavelures et autres affections gravissimes.
Les terrains d' expérimentation du centre dépendent du parc du château de Versailles. Cela m'a permis une première entorse à l' officialité de mon emploi :
Un autre élément important qui a favorisé mon acclimatation immédiate à ce nouvel emploi a été mon goût pour la Chasse, que je pratiquais depuis toujours ( non pas pour tuer, mais plutôt pour interrompre des trajectoires). Cette passion était partagée par le Directeur du service. Combien de fois des relevés in situ de Cercospora beticola (affection de la betterave) étaient en fait une estimation du nombre de perdreaux survivants !
À l' origine je dessinais des planches de symptômes, des dessins entomologiques, des études documentaires :
puis des couvertures d' ouvrages, des panneaux didactiques dans lesquels commencent à apparaître des caricatures de chercheurs :
C'est ainsi que je suis devenu l' illustrateur en titre du "Courrier de l'Environnement de l'INRA", dans lequel mes dessins ont connu un succès immédiat ( voir l' article de Patrick Legrand, rédac-chef du "Courrier" à la veille de ma retraite ( 2002 ) :
Cependant ma carrière à l' INRA ne fut pas toujours "un long fleuve tranquille". J' ai subi notamment une "mise au placard" pour "mauvaises relations avec son chef de service" qui m'a obligé de recourir au Tribunal Administratif de Versailles. L' INRA a été condamné et a jugé bon de ne pas faire appel et je ne désire pas m' étendre davantage sur ce triste épisode. On pourra retenir que les purs et les durs de la presse ne monopolisent pas tous les emmerdements… les périphériques, les pas tout-à-fait qui cassent le métier parce qu' ils travaillent au rabais, et enfin les fonctionnaires, - suprême honte ! - ne sont pas toujours des petits favorisés comme l' entretien une certaine doxa… À la suite de ce jugement, l' INRA m'a octroyé un superbe bureau, une promotion de grade, des dommages et intérêts et j' ai terminé modestement ma carrière dans la gloire.
En dehors de l' INRA tu as beaucoup dessiné. Quelles sont les expériences qui t'ont le plus marqué ?
Le dessin m' a permis quelques week-ends prolongés en Europe. J'étais régulièrement invité en Irlande (Rathdrum, Skibbereen), mais aussi ponctuellement à Ayr (Écosse) Birkenhead, Shrewsbury (Angleterre) où on m' a demandé d' organiser en 2005 l'expo "the best of french cartoonists" (avec un discours dans mon anglais de cuisine) et enfin Hastings en 2016 :
Aussi en Italie : Fossano, invité par mon ami et conscrit Emilio Isca qui m' a remis à l'occasion la distinction de "Maestro del Sorriso 2008", Borgo san Dalmazzo, Cuneo...
J' ai vécu quelques émotions secondaires, notamment en Grèce, à Patras, capitale culturelle de l' Europe pour 2006, où j' étais invité avec Kiro du Canard Enchaîné et Zabuski… Après un somptueux repas, j'ai souhaité dire quelques mots de remerciements aux organisateurs et aux collègues dessinateurs présents autour de la table… Aris Malandrakis, journaliste et francophone de surcroît, m' a donné la parole. J'ai commencé à remercier avec mon mauvais anglais, pour enchaîner de suite avec une chanson grecque qui évoque le cas des réfugiés d'Asie mineure : H Προσφυγια (les réfugiés). Détail : je ne connais pas la langue ...tout en sachant la signification de ce que je chantais... Standing ovation ! beaucoup de gens pleuraient. j'ai bafouillé : it is in memory of my father… il était d' origine grecque, langue dont il ne m' avait jamais dit un mot. Une dame s' est jetée sur moi et m' a dit en english : la chanson que tu as chanté, c' est mon beau-père qui l' a écrite ! Je découvrais le pays pour la première fois, et j' en devenais invité permanent...
Je peux ajouter au nombre des expériences marquantes, des récompenses venant de St Just le Martel, Louviers, Vianden au Luxembourg… et la remise de la médaille de la ville de Castelnaudary, en 2013, par Monsieur le Maire, notre Ami Patrick Maugard (c' est le genre de plaisir qui dure longtemps !) et enfin un prix au fabuleux World Press Cartoon en 2013 aussi… le top ! Muito obrigado !
Les amis qui sont d' ailleurs vous apportent toujours quelque chose. Les ratatinés ne prennent leur pied qu' entre eux, ils ont du succès en ce moment. Ils ne craignent pas le manque d'oxygène, les macérations, la consanguinité… Devant l'autre ils sont méfiants, parfois agressifs, jamais curieux …ils finiront par crever, asphyxiés par leurs certitudes…
- Tu as dessiné en Corse également ?
En classe de 4ème, je savais tout de la Corse sans y avoir jamais mis les pieds. Mon Ami Jean-Laurent m' avait tout dit. C'était mon Ami d' ailleurs. Il était né à Hanoï où son père poursuivait une carrière militaire. Il parlait de son île avec délectation et sensibilité, je me régalais de l'écouter. Il m' avait dit : Larousse, ne te marie jamais avec une Corse, et c' est ce que j' ai fini par faire. Ce lien avec un pays qui est devenu un peu le mien, m' a révélé les "insuffisances" de son insularité et les carences de l' État Français. J' ai commencé à dessiner dans le journal autonomiste "Arriti" (debout ) sous le pseudonyme de Pincu (indéfini : diable). C' était en 76. J' y retrouvais une signature au bas d' autres dessins qui m' interpellaient très familièrement, celle de Battì… nous ne nous sommes connus de visu que quelques années plus tard. J' étais en compagnie d'Iturria (de Sud-ouest, et de plus marié aussi avec une Corse) nous sommes arrivés au village de Cervioni et Battì était à la terrasse du bar, qui nous attendait… Je ne peux pas dire qu' on s' est découverts, j' ai eu plutôt l' impression qu' on s'est retrouvé… C' est une belle amitié, qui avait déjà commencé avant notre rencontre sans qu' on en prenne conscience. Mon plus récent dessin corse date de mai dernier dans le magazine "U Taravu", le voici :
En 2011 Cartooning for Peace organise une grande exposition à Bastia "Libérons les crayons", avec 25 dessinateurs venant des USA, Algérie, Israël, Palestine, Turquie, et bien sûr de Corse…au nombre desquels se trouvent, entre autres, Battì et moi-même. L' évènement connait un grand succès et à l' issue de ce dernier, nous avons découvert tous les deux que nous figurons désormais dans la liste des membres de Cartooning for Peace.
Tu as un rôle également dans la création de France-Cartoons alias Feco-France...
En 1997, Serdu, dessinateur Belge et cher Ami, me pistonne pour participer au jury de concours de Knokke-Heist. Je suis donc invité en ce lieu où devait se tenir également une Assemblée générale de la FECO (FEderation of Cartoonists Organisations). Serdu m' invite donc aussi à assister à cette Assemblée en tant qu' observateur. Au cours de cette dernière le président de la session s' étonne qu' il n' y ait pas encore de FECO-France et me demande si la création d' une antenne en France serait susceptible d'intéresser mes compatriotes dessinateurs. Sans m' engager officiellement, je propose cependant de faire une enquête à ce sujet. Je dois dire que j'étais séduit par une organisation permettant une communication entre professionnels de divers horizons et basée sur des valeurs communes. Je voulais bien œuvrer dans ce sens, mais en aucun cas être le président de cette antenne. Le projet à mis 5 ans pour mûrir. En 2002, frais retraité, j' ai déposé les statuts tout neufs de FECO-France à la Préfecture des Yvelines. FECO-France était née et sa naissance enregistrée au Journal Officiel du 15-VI-2002 sous le N° 2084. Le groupe comptait 11 adhérents à cette époque.
Le Président Directeur Général était Roger Penwil (UK). Il nous a beaucoup aidé dans nos débuts chaotiques. Sa formule était : Drawing the world together. Dans ce contexte FECO-France ne pouvait que prospérer. Les Français sont devenus le groupe le plus important en effectifs et en actions. En 2015 le "Museo della Satira e della Caricatura" di Forte dei Marmi attribue le 43 ème Prix de la Satire Politique à FECO-France et rend un hommage appuyé à nos collègues de Charlie Hebdo. Cette dynamique est définitivement cassée en 2017 [suite à la participation du dessinateur Bernard Bouton, alors Président directeur général de FECO-International, à un concours organisé par l’Iran, Ndlr] : Les Français quittent la FECO, les Anglais en font de même avec une déclaration sans ambages : PCO cannot allow itself to be associated in any way with holocaust denial. Ce départ de la FECO s' est accompagné d' un accroissement notable des effectifs passés à 183 adhérents, dont plusieurs internationaux (notamment 7 dessinateurs Italiens et une vingtaine de Cagle boys-USA). et FECO-France devient France-Cartoons.
À quoi ça sert un dessin de presse ?
On peut lui trouver des tas d' utilités, de rôles sociaux ou de missions sacrées …mais en ce qui me concerne, que j'en sois l' auteur (tant mieux !) ou simplement le spectateur, le dessin de presse sert surtout à me faire plaisir… Ce point de vue n' est pas du tout original, il suffit d'y penser ! Quand on "flashe" devant un bon dessin, la première des choses c' est qu'on désire le partager : le support sur lequel on l' a trouvé devient subsidiaire, on ne se passe pas un journal, on se passe un dessin ! Les textes ont beau exercer leur dictature dans certains media, dans ce cas ils passent au vestiaire… Bien sûr il faut de la pertinence, de l' impertinence aussi et surtout de l' humour ! cet humour fulgurant qui surprend même son auteur, le "witz" des Allemands. Rendez-vous compte un peu, si c' est vous qui êtes l'auteur de cette merveille, votre ego, déjà surdimensionné par votre statut de dessinateur de presse, est cette fois à la limite de l'implosion ! On peux connaître de grandes satisfactions après avoir réalisé un dessin qui cloue définitivement la cible qu'il a choisi, plus de réponse possible : échec et mat ! (j'ai illustré récemment la décision newyorktimesque approuvée par Al Baghdadi …ce n' est pas une critique, c' est une approbation ! on ne s' en remet pas !). Cela dit, avec ou sans humour, le dessin de presse transporte une alerte. On peut alerter aussi avec du texte, à la différence qu' il faut lire, alors que le dessin se regarde …parce que le Trait économise le Verbe (et ça tout le monde ne l' a pas encore compris). Les dessins continueront-ils toujours à nous vacciner ?
Il y a un dessin que je privilégie parmi tant d'autres :
Comment as tu vécu le 7 janvier 2015 ?
Après le drame, on a eu l' impression qu' une vinaigrette n' était qu' un seul liquide. On a tous partagé la sidération, la condamnation (ça ne coûte rien) et la "détermination", ce mot qui ressort régulièrement dans la bouche des édiles chaque fois que nous sommes au plus bas. Après le nivellement du temps (pas pour tous), les tièdes, ces salauds qui avaient un instant déserté la scène médiatique, commencent à réapparaître… C' est le grand moment du questionnement : Comment a t-ON pu en arriver là ? ...en mélangeant indistinctement victimes et bourreaux sous un même vocable : ON Et bien c' est non. La vraie question c' est : Comment en sont-ILS arrivés là ? La réponse est dans leur livre (Thomas d' Aquin disait : Timeo hominem unius libris). Ils pourront toujours relativiser pour évacuer ("oui virgule mais", cher à Mr Plenel, qui est parfois sous anesthésie), traquer l'"amalgame", se contorsionner devant les évidences, essayer de nous vendre des tapis fabriqués à Lyon… Mais voilà que l'huile s' est finalement bien séparée du vinaigre. On va pouvoir enfin parler de la vraie Charlie-Hebdophobie. Pour le reste, qu' ils fassent d'ABORD leur aggiornamento.
Après le 7 janvier (et bien avant cette date) l'autocensure a toujours fonctionné. Dans le meilleur des cas, le message subsiste, mais on en change la forme... Quand on choisit de renoncer au message, c' est qu' ILS ont gagné. Plantu et Riss nous ont fait part de choix opposés à ce sujet. En règle générale, je pencherais plutôt du côté de "Cartooning for War". En tous les cas, je voudrais ne jamais quitter "Cartooning for Truth". Je dois lutter contre une tendance à utiliser Voltaire de la sorte : "Je ne partage pas vos idées, mais je me battrai jusqu' à la mort pour que vous fermiez définitivement votre sale gueule". Bien au contraire, maintenant, il va falloir adapter sur le plan graphique les multiples précautions oratoires dont les medias' entourent devant des interlocuteurs bardés de certitudes et détenteurs de la vérité. Il faut tolérer leur intolérance. Ces "croyants" font le même voyage que nous, mais eux ils sont encombrés de bagages. Ils emmerdent le Monde pour qu' on les aide à les porter. Qu'ils aillent se faire foutre.
Post Scriptum :
J' ai parlé de la Chasse que j' ai pratiqué longtemps (et jusqu' en Irlande) et qui m' a procuré beaucoup de plaisir… À l' INRA, il y avait une Amicale de Chasseurs. C' était un des rares endroits où la hiérarchie ne conditionnait pas les rapports humains... Directeurs, Ingénieurs, Techniciens et Ouvriers étaient reclassés en fonction de leur mérite cynégétique. Cette digression me permet de mettre l' accent sur un détail significatif : À L' INRA, la "chasse" changeait d' appellation et devenait la "destruction de nuisibles". Les Lièvres par exemple quittaient leur statut de "gibier" pour devenir un "nuisible" à éliminer, car il peut faire beaucoup de dégâts dans les cultures de blé d'hiver et bousiller des essais in situ. Tous les chasseurs (ou presque) savent, ainsi que tous les écologistes (ou presque), que la culture extensive du maïs est un facteur déterminant de la diminution des effectifs de perdrix grise. Les grandes étendues de maïs offrent un couvert aux compagnies de perdreaux, où elles se réfugient lorsqu' elles sont dérangées. Dans ces maïs, étant donné la hauteur de chaque plant, la luminosité est insuffisante et empêche un développement normal des graminées qui nourrissent habituellement ces oiseaux. De plus ce qui pourrait être consommé se trouve à 1mètre 40 du sol en moyenne (les épis de maïs) Résultat : les volatiles ont un couvert (qui exerce sur eux un tropisme) mais rien à bouffer dedans... Cette situation s' aggrave quand il pleut : le sol, dépourvu de végétation, donc de capacité d’absorption, devient détrempé : les poussins de perdreaux marchent dans la boue qui leur offre une belle paire de bottes… et ils en crèvent ! La Chasse tue, mais elle gère. L'Agriculture, elle, élimine, et la Science peut lui apporter son concours, pour qui "gibier" devient "nuisible". Ce qui compte pour la Science, c'est de retrouver dans la Nature les conditions d’asepsie d'un laboratoire. Les "verts" sont-ils au courant de ça ?
Interview de Rousso réalisée par Guillaume Doizy