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Dessin de Grandjouan, Le Rire n° 406, 16/8/1902.

Par Raymond Bachollet

Article publié dans Le Collectionneur français N°154, p. 11-13, février 1979.
Première chronique d'une suite de 200 articles de R. Bachollet sur la presse satirique illustrée (de 1870 à 1914 principalement) et occasionnellement sur des affichistes du XXe siècle, publiés dans Le Collectionneur Français de 1979 à 2002. Ces articles sont réunis en trois volumes et peuvent être consultés à la Bibliothèque Forney, 1 rue du Figuier, Paris (cote NS 77935 - index)".


C’est peut-être à l'occasion de la diffusion à la télévision de « Zola ou la conscience humaine », série dramatique d'Armand Lanoux et Stellio Lorenzi, consacrée à l'affaire Dreyfus, que le grand public a pu percevoir le rôle joué, comme témoins et acteurs, par la grande presse et par les journaux satiriques, dans cette crise qui a secoué la France à la fin du siècle dernier.
L'extraordinaire richesse des documents authentiques présentés à chaque étape de cette remarquable série télévisée, en contrepoint du jeu dramatique, a permis, mieux que bien des discours, de cerner la complexité des faits et des opinions de cette terrible affaire.
Mais ne sont-ce pas tous ces titres de journaux, tous ces articles, tous ces dessins de presse, qui ont transformé le jeu dramatique en actualité saisissante ?
Ce que ce même public continue d'ignorer, sans doute, c'est que la majorité des documents présentés ont été prêtés par des collectionneurs privés dont les anciennes et patientes recherches avaient permis au fil des années de sauver d'une destruction certaine un patrimoine ignoré ou méprisé par le plus grand nombre. Qu'y a-t-il, en effet, de plus périssable qu'un Journal, qu'une revue hebdomadaire, marchandises « consommables par excellence » ?
Et c'est pourtant contre ce mouvement général de consommation sauvage et de destruction bornée que lutte le « collectionneur », ce personnage aux facettes multiples, amoureux du passé pour conserver paradoxalement aux générations actuelles et futures le fil conducteur qui peut permettre à un peuple de garder le contact avec ses racines profondes. Car, dans ce domaine, il s'agit bien d'un patrimoine prestigieux

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Dessin de André Gill, « Bulletin de vote », La Lune rousse n° 37, 19/8/1877.

En effet, la presse satirique française de, XIe et XXe siècles est certainement la plus riche et la plus variée des productions de tous les temps et de tous les pays... depuis qu'un génial précurseur, le dessinateur et journaliste français Charles Philipon eût mis au goût du jour la satire politique et sociale, en créant « La Caricature » en 1830, puis deux ans
plus tard, le fameux « Charivari » envié par l'Europe entière, deux journaux à caricatures, où s'illustrèrent, en particulier, Daumier, Granville, Cham, Bertall, et bien d'autres. Au fil des années, d'autres journaux virent le jour : « La Lune », « L'Eclipse », « Les Hommes d'aujourd'hui », animé surtout par André Gill, « Le Grelot », « Le Hanneton », « Le Triboulet »... et les ancêtres des journaux « amusants » : « Le Petit Journal pour rire », où collaborèrent Nadar et Grévin, et « Le Journal pour rire » qui, après des transformations successives, devait devenir « Le Journal amusant », encore vigoureux au lendemain de la Première Guerre mondiale.

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Dessin de Daumier, « Un quart d'heure après sa mort, il était encore en vie. », Le Charivari, 20/2/1866.

Grâce à quelques auteurs. John Grand-Carteret (1), Arsène Alexandre (2) et plus récemment Philippe Roberts-Jones (3), tous ces journaux satiriques parus avant 1890 et leurs principaux collaborateurs ont bénéficié de commentaires et de reproductions variés. Il serait injuste de ne pas mentionner les efforts similaires de la collection « Kiosque » des éditions Armand Colin qui, de 1959 à 1967, a publié pas moins de 32 titres -pour la plupart épuisés, malheureusement - sur la presse en général.
Pourtant, parmi ces ouvrages, un seul (4) aborde pour la première fois l'étude des revues satiriques après 1890. L'auteur fait vraiment œuvre de pionnier, car, comme il le souligne lui-même dans son introduction, « la presse satirique illustrée n'a donné lieu jusqu'à ce jour à aucun travail sérieux ». Les journaux « amusants » sont à peine signalés dans les histoires de la presse française et il n'existe aucune monographie sur l'une des revues majeures de l'époque. Faute de ces travaux préalables, l'auteur, réduit à limiter ses ambitions, a tenté - avec succès - de donner de précieux points de repère dans une matière trop riche.
Trop riche, certainement, car la période qui s'étend de 1880 à la Première Guerre mondiale est celle qui voit apparaître un nombre invraisemblable de feuilles satiriques illustrées d'une exceptionnelle qualité. C'est plus de 250 titres différents que le kiosque à journaux de l'époque propose à ses éventuels lecteurs. Grandjouan, l'un des principaux dessinateurs politiques de son temps et collaborateur assidu de la célèbre a Assiette au beurre », illustre plaisamment ce phénomène dans un numéro spécial du « Rire » daté de 1902.

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Dessin de Daumier, « Un parricide », Le Charivari, 16/4/1850.

Pourtant, sur ces millions de journaux dont la raison d'être était de flatter, d'instruire, de provoquer ou de distraire un court instant, combien nous sont-ils parvenus ? On peut à la fois s'étonner que tant d'exemplaires n'aient pas échappé à une destruction complète et s'indigner qu'aucune mesure n'ait jamais été prise pour une meilleure préservation.
Bien sûr, certaines revues comme « L'Assiette au beurre », « Le Rire », déjà cités, « Le Courrier français », « Le Gil Blas illustré », « La Caricature » de Robida, et quelques autres, devenus très tôt des « objets de collection » ont bénéficié du soin apporté par leur éditeur respectif à mettre en vente régulièrement les fascicules reliés de l'année précédente.

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Dessin de Vallotton, « L'âge du papier », Le Cri de Paris, 1898.

D'autres revues ont été paradoxalement préservées par la brièveté même leur existence qui facilitait leur conservation, comme « Le Canard sauvage », « L'Escarmouche », « Le Cocorico », « La Feuille » de Zo d'Axa, « Le Mot » de Paul Iribe, « La Charrette charrie »...
Par contre certaines revues, même remarquables, ont dû être particulièrement difficiles à collectionner - dans leur totalité - comme « Le Charivari » qui a paru près d'un siècle, ou comme le charmant « Mirliton » d'Aristide Bruant et Steinlen dont la parution s'étale sur plus de vingt ans pour un nombre restreint de numéros avec des variations fantaisistes dans le rythme et la présentation.

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Dessin de Jules Renard Draner, « Conséquences de l'abolition du cautionnement », Le Ch
arivari, 28/2/1881.

Mais toutes les autres revues, plus modestes, et toutes celles qui nous sont parvenues non reliées, à l'état brut, ne doivent leur salut qu'à la complicité discrète et émouvante de plusieurs générations.
Complicité pourtant bien nécessaire, car il n'est pas rare de constater des « trous » et même des manques importants dans les collections nationales de périodiques, en dépit du « dépôt légal » qui fait obligation à chaque éditeur de déposer à la Bibliothèque nationale (dès leur parution) plusieurs exemplaires de ses publications.

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Dessin de Grün, « Les mois gais », Le Courrier français n° 5, 30/1/1898.

Toutes les remarques précédentes amènent tôt ou tard l'amateur à faire la constatation que ce patrimoine exceptionnel est non seulement ignoré par la majorité de ses compatriotes, mais pratiquement négligé par les pouvoirs publics qui n'ont jamais songé, ni à créer un musée de la presse et de la caricature, ni à favoriser l'organisation de manifestations publiques d'importance. Une seule initiative - privée - une exposition présentant, en 1977, la collection de journaux d'Eliane et Pierre Dassau, sous le titre évocateur et combien instructif de « Journaux d'autrefois, actualité d'aujourd'hui », au Centre d'action culturelle d'Auxerre, a tourné court au bout de quelques semaines ! Serait-ce le caractère irrévérencieux de la presse satirique en général qui fait hésiter le pouvoir en place ? Ou la simple méconnaissance de nos richesses ? Car il faudra bien le reconnaître un jour, la caricature, « art mineur », dit-on parfois, a sans doute modelé, plus que l'art des musées, le goût des Français dès la fin du siècle dernier et préparé ou accompagné bien des révolutions artistiques. Mais n'anticipons pas.

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Dessin de Abel Faivre, Le Rire, 1898.

Dans l'immédiat, le « Collectionneur français » se propose d'apporter sa contribution à un travail de longue haleine en faisant paraître chaque mois une feuille technique sur une ou plusieurs revues satiriques illustrées, agrémentée de quelques reproductions. Cette fiche indiquera avec le maximum de précision la durée et les irrégularités éventuelles de parution, les principales caractéristiques de la revue, et la liste de ses principaux collaborateurs, journalistes et dessinateurs. Ces informations seront données évidemment sous toutes réserves. Les lecteurs les plus avertis auront à cœur de faire connaître les erreurs relevées, les rectifications nécessaires et les commentaires susceptibles d'enrichir les connaissances de tous.

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Dessin de Paul Iribe, Le Témoin n° 28, 11/7/1908.

Alors que certaines activités concernant les collections en vogue se mettent en place, le secteur de la presse satirique reste encore à l'écart des mouvements de regroupement des collectionneurs, ce qui fait à la fois sa force et sa faiblesse. Sa force, car cette production, à mi-chemin de l'affiche, du livre et de la carte postale d'illustrateur, n'a pas connu la même inflation. Sa faiblesse, car le relatif isolement des collectionneurs limite trop les échanges, ne facilite pas la confrontation des connaissances lacunaires des uns et des autres, et ne permet pas de faire appel éventuellement aux derniers témoins d'une époque, ou à leurs proches, qui pourraient apporter dans, ce vaste domaine une contribution indispensable.

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Notes
(1) Les Mœurs et la caricature en France, Librairie illustrée, 1888.
(2) L’Art du rire et la caricature, Librairies-Imprimeries réunies, vers 1895.
(3) La Presse satirique illustrée entre 1860 et 1890, Institut de Presse, 1956.
(4) J. Lethève, La Caricature et la Presse sous la IIIe République, Armand Colin, 1961.
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