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Dessin de Charb, Charlie Hebdo du 17 juin 2009

Dessin de Siné et Jiho, Siné Hebdo du 17 juin 2009

 

Le développement d’Internet ces dernières années a considérablement modifié la presse dans son ensemble, et bien entendu les conditions de réception de l’information par le lecteur. Avec la mise à disposition quasiment en temps réel des événements via les sites internet des grands journaux qui s’est développée dans la lignée des radios d’info continue puis des télés du même genre, le traitement de l’information s’inscrit dans une immédiateté factuelle permanente. Internet permet l’adjonction de médias jusque-là réservés à d’autres supports, comme par exemple la vidéo, et enfin la multiplication des données. A contrario, la réduction de la taille des articles et la forte demande de réaction à chaud de « spécialistes », alors même que les faits demeurent encore à peine connus, induit une tendance plus grande encore à la mise en scène d’une information spectacle et peu fiable. Qu’en est-il de nos journaux satiriques ?

De ce point de vue, Charlie et Siné Hebdo ont adopté une stratégie toute différente l’un de l’autre. Jusque récemment, le journal de Philippe Val s’était contenté d’un site relativement figé, séduisant pour le regard, mais au contenu limité. Le développement récent d’une interface conviviale modifie largement la donne, tandis que Siné Hebdo se contente d’une technologie « blog » dont la seule hiérarchie consiste à superposer quelques informations, le dessin de couverture hebdomadaire, les sommaires et quelques vidéos.

Mais même chez Siné Hebdo, le rapport du lecteur au journal se modifie sensiblement, puisque dès le mardi, l’internaute peut prendre connaissance du dessin de « une », ainsi que du sommaire. Il ne découvre plus alors un dessin imprimé de grande taille, immédiatement associé à d’autres dessins et à divers texte qui, ensemble, forment un tout, mais juste un dessin isolé et de taille modeste (taille en pixel qui change d’ailleurs d’une semaine sur l’autre…), édité sur un écran lumineux et dont les détails demeurent inaccessibles. D’un point de vue commercial, l’image peut tout aussi bien inciter l’internaute le lendemain à visiter son kiosque préféré, ou au contraire, peu enthousiasmé par l’image, à bouder le journal satirique. Pour l’acheteur éventuel, la lecture du dessin se sera donc réalisée en deux temps. Une première approche globale le mardi aura préparé la confrontation du lendemain. L’appropriation de la « une » se fera donc de manière segmentée et progressive, permettant sans doute au lecteur d’adopter un regard plus mûr sur l’œuvre papier, mais dans un contexte où l’effet de surprise aura quasiment disparu.

Le site de Charlie Hebdo propose (impose) à l’internaute une option supplémentaire. Non seulement le visiteur peut consulter le dessin de « une » sous la forme d’une image de grande taille dès le mardi, avec possibilité d’explorer l’œuvre dans ses moindres détails, mais le bandeau du site, traditionnellement réservé au nom du média, accueille une animation flash mettant en scène le dessin de couverture, animation que l’on retrouve sur chaque page du site. La possibilité de consulter une grande image, fort appréciable au demeurant, n’est pas sans entraîner quelques distorsion, puisqu’en fonction de la taille de son écran, l’internaute découvrira le dessin dans son ensemble ou au contraire, de manière tronquée, avec nécessité de jouer avec l’ascenseur. Mais l’animation flash entraîne une modification bien plus grande encore de l’appréhension du dessin de « une ».

Dans le cas présent, l’animation a pour cadre un rectangle oblong très étiré, format qui détermine de manière drastique le type de balayage et de présentation des différents éléments constituant l’image. L’animation, contrairement à ce que produirait une prise de vue du dessin avec une caméra, ne consiste pas seulement en un balayage de l’image avec d’éventuels zoomages.

Le maquettiste reprend les principaux éléments constituants de l’œuvre et les combine de manière à réaliser une narration avec une accroche, un développement et une chute. Pour ce faire, et sans doute de manière inconsciente, il réalise le schéma de lecture qui rendra intelligible l’œuvre. Intelligible ? Il s’agit bien de jouer avec l’internaute et de viser à provoquer au mieux le rire, l’étonnement ou l’indignation.

En tout état de cause, contrairement à la lecture de l’image papier traditionnelle qui s’offre dans son intégralité avec nécessité pour le lecteur de s’y frayer un chemin, l’animation impose à l’internaute un sens de lecture très encadré, mais évidemment intelligent.

L’animation dispose de quelques effets, en plus d’un son éventuel. Insertion d’éléments dans le cadre par la gauche, la droite, le haut, le bas, voire le milieu par un jeu de fondu, superpositions, zoomages. Le déplacement des éléments n’adopte pas obligatoirement un caractère linéaire. Il peut devenir circulaire, voire plus chaotique si nécessaire.

Le dessin, image fixe à deux dimensions, adopte donc pour l’occasion le mouvement. Une narration s’élabore, constituée d’une succession qui n’a plus grand-chose à voir avec l’image de départ. Cette semaine par exemple, l’animation ne reprend pas la calligraphie que Charb utilise pour le titre et pour le texte de l’image. Le maquettiste choisit des typographies plus froides, certes dans le même esprit, mais nettement différentes. Lettres bâtons au cordeau pour le titre et une onciale plutôt maigre pour le reste, tandis que le dessin, pour des questions de lisibilité, choisit une écriture grasse. De ce point de vue, le maquettiste modifie le dessin original et lui donne une seconde vie, même si l’idée principale demeure le fait du caricaturiste.

L’animation joue avec l’internaute, qui découvre la narration dans un climat d’attente et d’excitation potentielle, dans un temps beaucoup plus long que dans le cadre d’une lecture d’image traditionnelle qui elle, induit une approche plus globale et plus immédiate. Les grincheux objecteront sans doute que l’animation a un caractère pédagogique, ludique et narratif qui affadit l'impact visuel et psychologique du dessin de presse.

A chaque média ses possibles et il faut bien avouer que les animations permettent de rompre avec le caractère statique inhérent aux sites Internet. De ce point de vue, Charlie Hebdo a plutôt réussi son pari !

Les dessinateurs réfléchissent-ils à cette mise en scène quand ils élaborent leur image ? Interviennent-ils pour « aider » le maquettiste à réaliser la construction de son synopsis ?

En tous cas, avec ce procédé, le dessin satirique se consomme d’une nouvelle manière, qui fait écho à des expériences mêlant caricature, satire et vidéo, qui restent encore assez limitées mais qui deviendront peut-être la règle demain. Dans le cas de Charlie-Hebdo, il ne s'agit pas d'une animation autonome, puisqu'elle vise à décliner un dessin produit pour la presse papier (et éventuellement adapté à d'autres supports comme le tee-shirt par exemple).

Pour l’heure, contentons nous d’images qui exhalent leur mauvaise odeur d’encre fraîche. Comme dans l’animation, relevons une hiérarchisation du dessin de Charb en trois partie : titre, texte, dessin en contrepoint, le gag, cette fois résultant plutôt du texte. Charb associe bien sûr l’actualité du bac et de son épreuve « phare » de philosophie, à un aspect de la vie politique intérieure, provoqué par la stratégie dite d’ouverture et le remaniement ministériel annoncé. Le dessinateur choisit de parodier le sujet de bac type, que les médias, chaque année, relaient avec joie, demandant à divers « spécialistes » de les commenter après avoir relaté les réactions des bacheliers.

Le bac, véritable institution scolaire et sociale, considéré comme une épreuve majeure de la vie, représente un passage obligé et quasiment sacré. Dans cette image, le contraste parodique s’établit surtout entre le sérieux et la complexité des sujets traditionnels, formulés souvent de manière alambiquée et ici la trivialité du propos. L’écriture, qui imite la calligraphie d’écolier appliqué, voire le texte que le professeur écrit au tableau noir, inscrit visuellement la mise en scène dans le cadre scolaire. Le petit personnage, en bas à droite (qualifié par quelques attributs traditionnels : la table individuelle, le cartable, le stylo et la feuille blanche), dans ce dessin au chemin de lecture vertical et oblique, figure, par son attitude, l’impossibilité de résoudre l’équation. Le dessinateur, et Charlie Hebdo dans son ensemble, se montrent particulièrement féroces à l’encontre des « lèche-culs » qui tournent autour du président de la République, quel que soit leur pedigree, mais avec une dent supplémentaire contre les « traîtres » provenant de la gauche. On pense évidemment actuellement à un certain Allègre...

Siné Hebdo de son côté associe un fait-divers largement commenté par la presse à la question du réchauffement climatique, qui renvoie à la récente projection mondiale du film Home.

L’affaire des bébés congelés a bien sûr marqué nos univers mentaux et inspiré, à l’époque des faits, les dessinateurs, produisant pour l’occasion quelques bonnes saillies d’humour noir risquant, comme ça a été le cas avec le dessin de Charlie montrant le crash du vol AF 447, de susciter des réactions outrées.

Mais depuis le fait-divers, plusieurs mois se sont écoulés et le dessinateur doit se sentir plus à l’aise (mais moins « percutant ») pour traiter un tel sujet. Dans le cas présent, Siné et Jiho jouent évidemment sur la congélation des bébés à laquelle ils donnent une explication positive. Elle permettrait finalement de protéger les nouveaux-nés du réchauffement climatique, générateur de désordres et de mort.

Evidemment, le dessin flirte avec l’absurde. Visuellement, le gag s’articule autour de la poussette/landau, transformé(e) en congélateur sur roue. Notons une fois de plus le caractère particulièrement désuet du dessin de Siné, qui se montre insensible aux mutations techniques récentes en matière de transport des enfants, mais qui respecte bien là son style.

L’image satirique recourt souvent au principe de la métamorphose avec l’animalisation par exemple, l’infantilisation ou la diabolisation. Les dessinateurs produisent plus rarement des transformations d’objets. L’analogie formelle qui autorise cette combinaison s’établit entre la forme rectangulaire du congélateur et celle de la nacelle. Pour la compréhension de l’image, le système de roues et surtout la présence de la femme poussant l’objet incongru s’avèrent bien sûr indispensables et renvoient directement au fait-divers, très présent dans les médias en ce moment du fait du procès.

Néanmoins, les auteurs de l’image considèrent sans doute le dessin comme insuffisant, puisqu’ils « l’expliquent » au lecteur par un titre et un sous-titre très (trop) littéral et qui laisse peu de place à l’énigme. On aurait pu imaginer un autre angle d’attaque du style « Réchauffement climatique : affaire Courjault, une mère prévoyante » orientant le lecteur, mais sans évoquer directement l’objet représenté sous nos yeux. La redondance autour de la poussette-congélateur décrite et dessinée, semble traduire le manque de confiance des auteurs dans leur dessin, ou… dans la capacité du lecteur à comprendre l’objet représenté !


Charb en utilisant l’expression triviale « sucer » (grossière d'autant plus lorsqu'elle apparait dans un écrit public, mais néanmoins très présente dans le langage courant pour dénoncer quelque camarade de classe ou un collègue de travail trop bien vu par les chefs) ou Siné et Jiho avec ce dessin emprunt d’humour noir, n’hésitent pas à recourir à une certaine provocation caricaturale.

Frédéric Lefebvre va sans doute une fois de plus prendre des sueurs froides et faire trembler les dessinateurs sans coeur…

 

Guillaume Doizy, le 17 juin 2009

 

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