Les actes de colloques ressemblent parfois à des cabinets de curiosité, avec leur lot d’articles pointus, brillants et bigarrés. Chaque page recèle ses merveilles, même s’il est parfois difficile de percevoir le fil conducteur, censé avoir réuni tant de talents académiques.

De la création à la confrontation, dirigé par Pascal Dupuy (Université de Rouen), s’inscrit dans cette veine. Issu d’une journée d’études organisée il y a plusieurs années, l’ensemble, qui porte sur la « diffusion et [la] politique des images entre 1750 et 1848 », comme l’indique le sous-titre, ne manque pas d’intérêt.

Loin de nous la volonté de présenter ici l’ensemble des contributions, qui ne concernent pas uniquement l'image satirique. Nous nous focaliserons plutôt sur la problématique de la réception des caricatures, de leur public, de leur influence éventuelle, cette quête transparaissant dans certaines contributions, même si l’on sait combien les sources permettant d’envisager les phénomènes de réception restent rares.

La question de la réception est bien celle de la diffusion, des diffusions devrait on dire. L’analyse des canaux médiatiques de circulation des images constitue la première étape dans l’appréhension de la réception, aspect assez peu étudié il y a encore une cinquantaine d’années, lorsque les images satiriques titillent une nouvelle génération de chercheureuses. Cette circulation, on en perçoit la complexité au travers des copies de gravures satiriques étudiées par Rolf Reichardt entre la fin du XVIIIe siècle et la révolution de 1848. Copies endogènes d’abord, pour surfer sur le succès commercial et répondre à différents usages des images, certaines étant parfois reproduites en miniature et en peinture sur des boutons de vêtements, par exemple. Copies dans le cadre d’une diffusion internationale ensuite, avec une véritable européanisation (plutôt que mondialisation) de l’image satirique, le recours aux symboles favorisant la compréhension au-delà des différences linguistiques. Les copies d’une même gravure, avec parfois un grand nombre de déclinaisons, tendent à attirer notre regard sur les images qui auraient atteint la plus grande notoriété. Elles confortent également l’idée d’une forte et rapide circulation au-delà des frontières nationales, notamment grâce au journal satirique qui émerge dans les années 1830. Ces circulations traduisent un évident succès, sans rien vraiment révéler du public qui se les approprie au-delà des cercles des dessinateurs ou des éditeurs et patrons de presse eux-mêmes.

L’étude d’une publication à laquelle a activement participé le dessinateur Anglais Gillray cherche à lever le voile sur cette question du public, auquel sont destinées les caricatures. Tim Clayton rappelle combien l’image satirique dans l’Angleterre de la fin du XVIIIe siècle tient une place spécifique, l’exemple de Gillray apparaissant comme emblématique, non seulement des trajectoires sinueuses des dessinateurs de l’époque, mais également de foi des élites dans le supposé pouvoir politique des gravures satiriques, et donc la propagande qui en résulte.

Face à un risque de répression accru, le trublion Gillray finit par se laisser « acheter » par un parti qui ne correspond pas à sa sensibilité politique. Après avoir regardé d’un œil plutôt favorable la Révolution française, il met son talent au service de Pitt et des anti-jacobins, multipliant les gravures. Une publication retient particulièrement l’attention de Tim Clayton, du fait de son processus d’édition, par voie de souscription. On retrouve, dans la liste des souscripteurs le nom de 250 personnalités politiques ou culturelles principalement liées au parti anti-français de Pitt, seules les élites ayant la capacité à souscrire à une publication onéreuse de ce type. Si cette dernière n’est pas représentative de la circulation des images satiriques en général, elle révèle combien la question économique pèse dans la gestation et la diffusion des caricatures. Et si Gillray touche une pension gouvernementale pour réaliser ses gravures, nombre des représentations politiques publiées à l’époque sont « subventionnées » pour toucher un public plus large.

Depuis le renouveau des études sur l’image satirique il y a cinquante ans, chaque auteurice y va de son couplet sur le caractère populaire de la diffusion médiatique des images, et même sur le « pouvoir » des images sur l’opinion. Rares sont les chercheureuses à se démarquer de cette doxa fondée sur l’intuition plus que sur des sources probantes.

Et pour cause, on peine à observer ce public, cette appropriation des images par les foules. La dernière contribution de ce recueil, par l’auteur de ces lignes, apporte un éclairage inédit sur des réactions violentes d’individus favorables à Louis-Napoléon Bonaparte, confrontés à une multiplications des caricatures contre leur champion dans le cadre de la première élection présidentielle française (décembre 1848). Car la réception, ce sont bien sûr également les réactions éruptives qui, dans le cas étudié, constituent une vague iconoclaste en plein cœur de la France de 1848. Dans de nombreuses villes de province en effet, des libraires sont attaqués, parfois fort brutalement, contraints de retirer de leurs vitrines des caricatures hostiles à Louis-Napoléon, sous peine de voir leur magasin vandalisé ou de subir des violences physiques, de nombreuses voies de fait ayant été constatées par la presse.

Ce recueil ne manquera pas de passionner, bien au-delà de cette question du public que nous avons choisi ici de privilégier. En attendant de nouvelles publications qui lèveront encore un peu plus le voile sur cette question de la réception de la caricature.

GD

Sommaire :

Remerciements

Introduction

Première partie. Diffusion matérielle et modèles

Gervaise Brouwers
Fortunes et infortunes des « manières anglaises ». La diffusion des techniques anglaises de l'estampe entre France et Angleterre

Sofiane Taouchichet
Sérialiser la satire graphique

Rolf Reichardt
Les modèles graphiques circulent par copies, 1789-1848

Pierre Wachenheim
La diffusion des estampes antijésuites en France du règne de Louis XV à la Restauration

Tim Clayton
James Gillray, ses gravures antijacobines et son public

Seconde partie. Le xixe siècle et ses révolutions

Jacqueline du Pasquier
Les cristallo-cérames ou la célébration du pouvoir

Charles-Éloi Vial
Lapins, faisans et perdrix, héros des barricades de 1830

Saskia Hanselaar
Visibilité et reconnaissance de la femme auteur par la diffusion lithographique sous la monarchie de Juillet : réception de la série d'intellectuelles de Julien Léopold Boilly

Guillaume Doizy
La première élection présidentielle française (1848) : tensions autour de la caricature

Bibliographie

Table des figures

Les auteurs

Tag(s) : #Comptes-rendus ouvrages, #Analyses sur la caricature, #Dessinateurs Caricaturistes
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