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Doizy, Guillaume, Dessin de presse et Internet, Eiris, Brest, 2010, 229 p., 10 euros.

Doizy signe ici un petit livre courageux sur la nouvelle vie qui commence sur le web pour l’univers des images satiriques et de leurs auteurs. Comme pour la plupart des activités humaines, le web est en train de transformer radicalement et profondément l’ensemble de nos rapports sociaux et créatifs. Le courage de Doizy est d’aborder la mutation pendant qu’elle se vit, et donc sans le recul nécessaire à la compréhension globale des phénomènes de grande importance.
Sur les 228 pages du livre, Doizy consacre les 86 premières à l’analyse du phénomène et à la synthèse des entrevues qu’il a menées avec 49 dessinateurs et professionnels de la presse, entrevues qui se retrouvent intégralement reproduites dans les 142 pages suivantes. Il est à regretter que les entrevues en anglais (et même en allemand) ne soient pas traduites mais, bon, c’est mon réflexe de Québécoise qui me pousse à des réactions sans doute excessives par rapport à la présence de l’anglais dans un livre en langue française. De même que le regret de retrouver l’expression Pure Players, au lieu du très explicite web média!
D’emblée, Doizy pose que ce tour d’horizon est le prélude à des études plus en profondeur. Les axes sur lesquels s’articulent son propos étant somme toute assez pointus sauf le premier : il s’agit d’un tour d’horizon de la situation du transfert des dessins de presse de la presse traditionnelle à Internet. Par la suite, il traite des sites et blogues, dans un exposé énumératif qui nous semble devoir perdre rapidement de son actualité tant la situation est en mouvance. Le même parcours descriptif accompagne un long passage sur les sites d’archivages, intéressant en premier lieu les chercheurs mais pas nécessairement le grand public. Enfin, la section la plus consistante pose un regard critique sur les mutations en profondeur apportées par le nouveau médium sur les pratiques des dessinateurs.
J’ai enseigné de nombreuses années en communication et je me suis penchée particulièrement sur les pratiques médiatiques du web; j’ai été à même de constater que le monde des chercheurs et des penseurs du web se divise en deux clans. D’une part, les euphoriques à tout crin, qui clament haut et fort que la révolution numérique va tout bouleverser, qu’une ère de communication globale est à nos portes, et que le fameux cyber espace est le territoire d’une nouvelle liberté. Face à ces utopistes des temps nouveaux, les réticents à cet enthousiasme délirant s’appliquent plutôt à dénoncer les dérives et à tenter de placer des balises pour une nouvelle pratique médiatique. Doizy ferait sans doute davantage partie des prudents, qui constatent plus les méfaits que les bienfaits du nouveau médium. Penchons-nous sur les sous-titres des derniers passages : « caisse de résonance sans écho », « dévaluation de l’oeuvre », « dilution du dessin d’actualité », « décontextualisation ». Doizy conclut en soulignant les paradoxes de cette évolution  et les interrogations sur l’avenir du dessin de presse traditionnel.
Nous le suivons volontiers sur ses inquiétudes quant à la mutation en cours mais sans doute pas d’une façon si globale. Oui, en effet, les dessinateurs sont peu ou très peu payés pour leurs dessins « publiés » sur le web. Oui, tout cet amoncellement de sites empilant les dessins les uns contre les autres sans hiérarchie ni classement fait craindre le pire pour les chercheurs. La notion d’original disparaît, la notion de propriété d’une idée aussi. Mais c’est la crise globale de la presse traditionnelle qu’il faut interroger. Et sans doute aussi la notion d’œuvre d’art et le processus de la création. Les journalistes non plus ne sont pas payés pour leurs articles sur le web. Tous les jours, des artistes de toutes disciplines voient leurs œuvres piratées. Certains s’en frottent les mains, d’autres hurlent au scandale. La révolution numérique ne fait que commencer et c’est vraiment d’une RÉVOLUTION qu’il s’agit.
Pour les jeunes, ceux qui n’ont connu que la vie en numérique, tous ces comportements sont normaux. Nous aurions tendance à regarder sereinement  la situation et à espérer beaucoup de tous ces changements. Les images transmises par les cellulaires « intelligents », les dessins satiriques échangés entre blogs au même titre que des citations ou des musiques, les dessinateurs au courant en temps réel des œuvres publiées tout autour du monde, voilà de nouvelles pratiques stimulantes! Le débat soulevé par Doizy est passionnant et il reste à souhaiter que le voile levé par ce livre sur les liens entre le web et le dessin de presse ne soit que la première étape d’une recherche plus approfondie sur les effets à long terme d’Internet sur la pratique du métier de dessinateur d’humour.


Mira Falardeau, spécialiste de l’humour visuel

 

Voir la 4e de couverture et le sommaire de l'ouvrage

 

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