Bauer dessine pour le Progrès de Lyon depuis 2004, avec l’obligation de commenter l’actualité au jour le jour. Radiographie d’un parcours professionnel et décryptage d’un « métier » particulier : dessinateur de presse pour un journal quotidien.
Dessiner dans la « grande » presse quotidienne, ça ne vient pas tout seul. Comment en es-tu arrivé là ?
Par un milliard de chemins en fait! Il n existe aucune école qui forme à devenir dessinateur de presse. Mon cursus a été d étudier aux arts graphiques de Lyon, pendant quatre ans, ce qui m a ensuite amené à travailler en agence de pub, de com, ou j ai exercé les métiers de graphiste, illustrateur, roughman, concepteur... Ensuite les aléas de la vie m ont emmené sur d’autres routes aussi différentes qu’enrichissantes, de vendeur de jeux vidéos a la Fnac que j ai quittée au moment ou je faisais la formation Direction (au bout de 4 ans), de tatoueur à Pigalle, à Bastille, de parapentiste à enfin, en 1999 le métier de dessinateur de presse…
Parvenir à dessiner dans un quotidien, c’est une forme de reconnaissance et même de consécration, c’est la possibilité d’être « lu » par des dizaines de milliers de lecteurs ?
Oui avant de devenir le dessinateur officiel du Progrès de Lyon, j’ai bossé pour un paquet de magazines et journaux, comme pigiste (ce qui ne veut pas dire précaire) mais je multipliais les supports pour multiplier les piges, donc mes salaires... Certains pour des collaborations ponctuelles, d autres de plusieurs années (Marianne, L Actu, Zurban, etc etc...) Voilà la liste non exhaustive des supports avec qui j ai pigé ou avec qui je pige régulièrement, pour donner une idée : attention, c est parti : L'Huma, Marianne, Le Progrès, Rue89, Barricades, Siné hebdo, Sciences et Vie Juniors, Factuel-Info, Le courrier de Guadeloupe, la ville de besancon, la Maison Victor Hugo, Siné Hebdo, Bakchich, Zurban, La Mèche, Infrarouge, Psikopat, Amnesty International, ADDX, Spirit, Satiricon, BVV, Le Cirque Plume, Sud, MFQ, L'Actu (Play Back Presse), Gereso, Syndicalisme Hebdo, Spirit, Canal+,M6, La lettre de la FIDH, Vol Libre, Parapente Mag, Journaux du Festiventu (depuis 1999), Festival des Polyphonies de Calvi éditions 2011/2012 La Riposte, Paganino... et je participe a plusieurs festivals ou je fais des dessins en direct ainsi que des interventions de dessins en direct sur des colloques, des symposiums, des événements... mais encore des affiches pour le théâtre, de cirques... Et je fais des livres (peu), d ailleurs mon dernier bébé sort cette semaine ("Sur le fil de la Plume" 100 dessins sur la création du dernier spectacle du Cirque Plume "Tempus fugit" ? C’est mon deuxième opus avec eux… Une aventure magnifique !!!
Qu’est-ce que la rédaction attend de toi, comment et par quelles étapes s’effectue le choix du sujet jusqu’au dessin final.
Chaque matin, avec mon premier café, rituel immuable de la revue de presse (radio, web)… on est à ce moment là dans ce que l on appelle l’actualité "froide", le choix s’affine au fil des heures qui passent et les sujets se définissent d’eux même dans leur priorité. Le rédacteur en chef du Progrès, m’envoie en général vers 11h un premier jet des sujets possibles. Des réunions à 14 heures puis 17 heures permettent à la rédaction de définir le chemin de fer du journal du lendemain (la Une, l’édito, les « ig » (informations générales), les informations nationales et régionales. On est à ce moment là jusqu’à une heure du bouclage (entre 21h et 22h ) dans l’actualité "chaude"... Connaissant très bien ma rédaction, il est assez rare que nos sujets ne coïncident pas... En clair, je commence à dessiner vers 14h, 14h30, inutile de plancher sur des dessins qui ne seront pas retenus. Je propose deux dessins par jour (parfois trois quand l’actu est riche) et c'est la rédaction qui décide du choix du dessin. Et cela six fois par semaine !
Plus généralement, la (les) rédaction(s) attend(ent) de moi en fonction de la ligne éditoriale une vision décalée, sarcastique, inattendue, tendre ou mordante voire méchante, des faits d’actualité. Le but est de surprendre, faire rire, émouvoir et toucher parfois les lecteurs. les mettre en boule, les révolter, les agacer.. hummm j aime :) !!! Le pire dans ce boulot: devenir gentil et consensuel.
Commenter l’actualité, un exercice difficile : quelle est la part de la subjectivité quelles limites explicites ou implicite impose le « grand » journal, destiné à un large public ?
Dans certains journaux la carte blanche est totale, on peut (voir on nous demande) de choquer d’être agressif, de laisser les tabous aux vestiaires, c est bien agréable. Dans d’autres comme le Progrès notamment qui est un journal à fort tirage et lu dans plusieurs départements et régions, l’intérêt est que le support étant lu par un très large public (en âge, en opinions politiques, en catégories socio professionnelles, etc., etc.), il faut adapter son dessin et son message; j’ai autant carte blanche mais avec une ligne édito plus serrée, donc il faut développer un dessin encore plus "intelligent" (le risque étant d’aller vers des positions molles et mal définies, des positions floues) ; donc je me permets d’aborder tous les sujets mais sur un angle moins brut de décoffrage; en gros j’évite les dessins avec des bites et des têtes coupées... Je la joue plus fine mais j’aborde tous les thèmes sociétaux... Et le challenge devient plus qu’intéressant !!!
T’arrive-t-il de commenter l’actualité politique régionale ? Quels sont tes rapports avec les élus en général ?
Non très peu, je traite beaucoup plus l’actu nationale et internationale… Je connais certains politiques bien sûr, mais ne les fréquente pas. Certains, c’est clair n’aiment pas du tout le regard que je porte sur leur bobine et leurs activités, d’autres arrivent à s’en amuser... La plupart aiment beaucoup les dessins que je publie sur leurs adversaires politiques, en feignant d oublier que je les taille eux aussi !!!
Le lecteur d’aujourd’hui a pris l’habitude de réagir à ce qu’il lit ou ce qu’il voit dans le journal. Quelles réactions provoquent tes dessins ; t’arrive-t-il de dialoguer avec « tes » lecteurs ?
Les vrais lecteurs sont ceux que les éditos, les articles et les dessins intéressent... Je parle assez souvent aux lecteurs oui, soit au comptoir des cafés, soit dans les tgv, avions (mon métier me fait me balader assez souvent ou encore dans les salons de dessinateurs de presse où les lecteurs viennent clairement, non seulement pour voir nos originaux, mais aussi nous rencontrer physiquement, voir nos "bobines", et parler de notre métier. Et repartir avec un petit dessin dédicacé. Par ailleurs quand je voyage dans des pays étrangers, cela fait toujours bizarre de voir dans un kiosque un de ses dessins à New York, au Maroc, en Inde, etc., etc.. C'est là ou l’on se rend compte de la portée, en tout cas de la diffusion de la presse... et donc de nos dessins humoristiques !!!
De nombreuses villes ont créé ces dernières années des festivals de dessin d’actualité et d’humour. Lyon reste en dehors du mouvement ?
Hélas !!! ou alors je n ai pas été invité!!! Je ne vis pas à Lyon, mais je dessine pour le Progrès depuis 10 ans et je suis plus qu’étonné de ne jamais collaborer avec d’autres journaux lyonnais, des entreprises Lyonnaises, des colloques pour des dessins en direct !!! C’est étrange, je travaille partout, de Marseille à Paris, à Nantes, et dans bien d’autres villes, mais je ne suis jamais sollicité par les Lyonnais qui pourtant me connaissent bien et surtout connaissent bien mon travail (à raison de 6 dessins par semaines depuis une décennie)... Je lance donc un appel, Lyonnais, Lyonnaises, faites moi bosser quoi !!!!! J’adore ça !!!