Présentation des organisateurs : Dans le cadre du nouvel accrochage de ses collections et à l’occasion des commémorations du centenaire de la Grande Guerre, le musée Peynet et du Dessin humoristique propose une section consacrée au dessin de presse durant la première guerre mondiale. En effet, la presse à cette occasion va jouer pour la première fois de l’Histoire sur une telle échelle un rôle tout à fait particulier, toute puissance médiatique de soutien aux armées et outil inégalé de propagande. Le gouvernement français, traumatisé par la désastreuse Affaire Dreyfus et autres scandales en tous genres (Panama, décorations), souhaite dès le début du conflit avoir la main sur les quotidiens et autres périodiques. Dès le 30 juillet 1914, soit trois jours avant la mobilisation générale, naît Anastasie*, très officiel service de la censure. Tout ce qui peut porter et véhiculer l’information va être disséqué, lissé ; armée et politiques vont marcher de concert.
Venant compléter efficacement les filtres mis en place par l’État-major sur les courriers émanant du front (1 million 800 000 lettres de poilus, 21 millions de colis et 9 millions de cartes postales traités hebdomadairement par 25 commissions constituées de plus de 5000 censeurs), journalistes et dessinateurs vont devoir se plier à des conditions drastiques pour exercer leur métier. Il faut, en résumé, glorifier le conflit, dénoncer l’agresseur barbare et annihiler les défaitistes et pacifistes. Le dessinateur se mue ainsi en « soldat de l’arrière » : Illustration et satire s’invitent sur tous les supports. Les journaux « récalcitrants » se trouvent marginalisés par des procédés radicaux alternant coûts prohibitifs du papier ou soudaines absences de livraisons. Inversement, quotidiens et dessinateurs méritants recevront de hautes distinctions pour leurs faits d’armes, jusqu’à la croix de guerre ! La « presse patriotique » se scinde en deux familles distinctes : celle de la caricature et celle de l’illustration de guerre, plus allégorique.
L’accrochage "Le Dessin de presse pendant la première guerre mondiale" propose des estampes du dessinateur Forain, des unes caricaturales de journaux, des lithographies d’Hansi ou Poulbot, des documents divers et des objets d’époque permettant d’appréhender au mieux l’importance de l’image et du verbe, non seulement dans le cadre de l’effort national de guerre, mais également sur le moral des troupes au front.
Selon l’adage britannique voulant que « la vérité soit la première victime de la guerre », les dessinateurs Favre, Sabattier, Poulbot, Scott, Henriot, Forain, Hansi ou Simont vont rivaliser d’inventivité dans cet « effort national ». Les Pieds Nickelés, escrocs filous, hâbleurs et indolents, créés par Forton en 1908, gloires de ce début de siècle, vont inciter l’État-major à solliciter leur auteur pour faire de Croquignol, Ribouldingue et Filochard des héros débrouillards, incarnant les valeurs populaires contre « le Boche » ; tous sont représentés dans l’exposition.
Au fond de leurs tranchées, les malheureux poilus, avisés sporadiquement de cette mascarade par des acheminements de presse savamment édulcorés, inventeront le terme « bourrage de crânes ». L’Allemagne durant ce conflit n’adoptera jamais, « médiatiquement parlant », les mêmes armes que ses adversaires, délaissant volontiers l’humour (à quelques rares exceptions près) pour davantage axer une propagande militariste destinée à glorifier ses héros, ne fournissant aux lecteurs impatients que de plates allégories. De fait, et dès lors que les quotidiens français parviennent en Allemagne avec les ravages que l’on imagine sur le moral des troupes et des lecteurs en général, l’effet de cette « triste réponse » sera à terme contre-productif sur les populations d’outre-Rhin. Le Général Ludendorff, responsable de la propagande et confronté aux inimitiés entre militaires et politiques, ne saura jamais tirer la quintessence de cette arme redoutable, si méthodiquement utilisée par ses adversaires.
Commentaire de Caricatures&Caricature : les organisateurs de cette exposition présentent le contexte de la guerre de manière déformée. Évoquant la censure, il n'est pas juste de considérer le "filtre étatique" sur les correspondances par exemple non seulement comme opérationnel dès le début du conflit mais encore totalement efficace ensuite. Il ne deviendra vraiment opérationnel qu'en... 1917 ! Dire que "journalistes et dessinateurs vont devoir se plier à des conditions drastiques" faites alors, revient à adopter une vision romantique des médias et surtout à dédouaner les élites journalistiques de leur rôle tout à fait volontaire dans l'affaire. L’État n'a pas besoin de tenir la main des dessinateurs ou des journalistes ni à lutter contre une opposition à la guerre qui bouillonnerait dans les milieux artistiques. Quant au contrôle général sur la production des images que sous entend l'article, il n'existera qu'à partir de la Seconde guerre mondiale. L’État français peine en fait à mettre en place de véritables instruments de propagande, laissant l'initiative privée remplir ce rôle. L’État produit lui même assez peu d'images directement et à des occasions très particulières, notamment dans le cadre des emprunts. A propos de l'Allemagne : la presse satirique, très dynamique en Allemagne, continue de paraître pendant la guerre et la caricature est bien présente dans le paysage médiatique allemand tout au long du conflit, même si les cartes postales satiriques sont peu à peu prohibées et si en effet leur ton est moins violent et trivial que de l'autre côté du Rhin. Enfin, il n'est pas sûr que montrer les caricatures de guerre dans un musée permette "d'appréhender au mieux l’importance de l’image et du verbe, (...) sur le moral des troupes au front". Aucun indicateur pertinent n'a été trouvé à ce jour qui permette de mesurer l'influence de l'image sur le moral des troupes. Globalement, les troupes mobilisées étaient peu soumises aux images, contrairement à l'arrière et plutôt que de penser la propagande comme ayant eu une influence sur le moral des troupes il vaudrait sans doute mieux insister sur l'importance de l'écrit dans la diffusion du discours de guerre et sur le fossé considérable entre le discours guerrier fabriqué par les élites et les représentations populaires pendant le conflit. Un fossé que l'on peut mesurer lorsque l'on prend la peine de lire par exemple la correspondance que l'on retrouve au dos des cartes postales, à l'époque toutes illustrées de motifs patriotiques.
INFORMATIONS PRATIQUES
Musée Peynet et du Dessin humoristique
Place nationale, 06600 Antibes
t. +33 (0)4 92 90 54 29 / 30
www.antibes-juanlespins.com
Horaires d’ouverture au public
Ouvert tous les jours sauf le lundi
10 h – 12 h et 14 h – 18 h
Plein tarif : 3,00 €
Demi-tarif : 1,50 €
Gratuit pour les moins de 18 ans et besoins spécifiques.