Interview réalisée par Marie Clément-Charon reproduite in extenso ci-dessous :
Censure. Licencié sans ménagement après trente-deux ans de collaboration avec le journal Le Monde, le dessinateur et illustrateur de presse Nicolas Vial revient sur cette étrange affaire. Il a répondu aux questions de Valeurs actuelles lors de l'inauguration du Salon de la Marine, où il expose (photo).
« Comme si j'avais pris un grand coup de matraque sur la tête » : c'est ainsi que Nicolas Vial raconte la sensation qui l'a saisi lorsqu'il a appris qu'il n'illustrerait plus la rubrique Débats du Monde, alors qu'il s'en chargeait depuis 2009. C'est là qu'il a compris que cette quasi-institution, à laquelle il collaborait sans interruption depuis 1982, est devenue une entreprise comme les autres, où l'on licencie sans explication et par téléphone.
Nicolas Vial connaît bien la presse : depuis ses débuts au sortir des beaux-arts de Paris, il a été publié dans bien des journaux et magazines (l'Evénement du jeudi, le Journal du dimanche, Madame Figaro, l'Express, le Nouvel Observateur, Télérama etc.).
Le jeu de la vérité
Dans cette affaire, c'est parole contre parole, car Nicolas Vial ne peut s'appuyer sur aucune trace écrite : licencié oralement par le directeur artistique du Monde, dont la première inquiétude sera de savoir s'il a ou non « reçu un mail de commande », il a toujours travaillé en confiance et par téléphone avec ses interlocuteurs. Les dessins lui étaient commandés sur un simple appel ; lui rappelait avant de commencer à travailler pour savoir si le sujet avait changé et livrait ensuite le dessin au journal.
Depuis que Nicolas Truong était responsable des pages Débats, il avait perçu un changement notable. Une volonté de contrôle total de la part de ce rédacteur en chef sur « ses » pages. Qui lui faisait s'exonérer de l'avis du directeur artistique, Aris Papathéodorou, pour le choix des illustrations, exigeant d'être le seul interlocuteur de ses pigistes.
Assisterait-on à une « guerre des deux Nicolas » ?
Nicolas Vial dépeint Nicolas Truong comme guidé par « l'envie de plaire », la peur « de déplaire, de faire des vagues ». Quitte à publier des illustrations bien lisses, « qui ne dérangent pas ». Son arrivée à la tête des pages Débats a été marquée, pour Nicolas Vial, par une très nette augmentation des refus de dessins. Trop polémiques, trop orientés ? « Pendant la campagne de 2012, j'ai tapé sur tout le monde sans distinction, revendique le dessinateur. J'ai fait quelques caricatures assez gratinées sous Sarkozy. Sans que cela pose problème. » En mai 2013, c'est un dessin sur François Hollande qui sera apparemment le déclencheur. Le président y apparaît s'enfonçant dans un fauteuil rouge trop grand pour lui et prononçant son fameux « Moi, président de la République ». « Il est passé en l'absence de Nicolas Truong, et a été validé par toute la chaîne de décision sans encombre, bien au contraire ! », se souvient Nicolas Vial. Mais la machine s'emballe. Et Aris Papathéodorou transmet à Vial un laconique : « Tu arrêtes ton dessin en cours. Ce n'est plus toi qui illustres les pages Débats. » Fermez le ban.
« Le Monde » du silence
Nicolas Vial n'obtiendra aucune explication. Ses demandes répétées resteront sans réponse. Il n'a pas non plus été reçu par qui que ce soit, malgré un e-mail adressé à la direction du journal dès le 16 mai. La violence ordinaire va être suivie d'une mise au placard en règle. On lui demandera bien quelques dessins, mais avec des contrordres, des annulations ou des délais encore plus courts qui prennent des airs de harcèlement. Les commandes se raréfient. Nicolas Vial est de fait blacklisté de la rubrique politique, et à partir de l'automne 2013, plus rien.Il se lassera de se battre face à un mur d'indifférence et se résoudra à porter l'affaire devant les prud'hommes, en octobre 2013.
Nicolas Vial s'est aperçu qu'il existe une sorte de « pacte de non-agression » entre les grands médias. Il connaît un certains nombre de rédacteurs en chef, qui au récit de ses malheurs l'ont tous assuré de leur soutien. Avant de lui répondre qu'il ne leur était pas possible de prendre son parti contre le Monde, « intouchable » aux dires de tous. Il se démène pourtant pour comprendre ce qui lui arrive, faisant même appel à David Kessler, conseiller du président, qui prendra la peine de le recevoir à l'Elysée. Et obtient la quasi-certitude que le Palais n'a pas demandé sa tête.
Deux versions s'affrontent à la barre
Le dossier a été plaidé le 30 janvier devant les prud'hommes. Curieusement, l'avocate du Monde a y présenté Nicolas Vial comme étant essentiellement un peintre, et non un dessinateur de presse. De plus, elle a déclaré aux conseillers prud'homaux qu'elle n'était « pas là pour dire du mal de Nicolas Vial, très estimé de la direction du journal ». Et d'ajouter qu'il n'a jamais été question de licenciement, et que toute l'affaire relèverait du malentendu !
Ledit malentendu n'a pas été levé depuis. Et il doit attendre le 2 avril pour être fixé sur son sort.