Du 3 octobre 2014 au 17 janvier 2015, salle d’exposition de la médiathèque André Malraux, Strasbourg. Exposition sélectionnée et soutenue par la commission du centenaire. Commissaire : Olivier Deloignon
Présentation d'Olivier Deloignon :
La célébration du centenaire de la Première guerre mondiale est l’occasion de jeter un regard rétrospectif sur les raisons d’un tel naufrage de la raison dans une Europe pourtant plurimillénaire et civilisée. Étais-ce possible sans ce que David Freedberg nomme « le pouvoir des images » ?
En effet, les journaux, les magazines, les livres, les affiches avant guerre étaient de formidables pourvoyeurs de représentations dont le grand public était très friand. Pourquoi, pensèrent probablement les belligérants, ne pas enrôler les images dans le conflit ? Car la guerre, on le sait moins, a été l’occasion d’une débauche de représentations dessinées destinées à scander, émouvoir, faire rire, combattre mais aussi pousser au refus de l’altérité ou stimuler le patriot[ard]isme et le sacrifice chez les grands comme chez les enfants. Aux illustrations caustiques, drôles, méchantes des uns répondaient les contre-illustrations virtuoses, satiriques, railleuses des autres dans un crescendo graphique brillamment orchestré. À la poudre des canons a fait écho la pointe du crayon.
En puisant dans les fonds de la médiathèque Malraux il s’est agi de rouvrir les boites quasi oubliées conservant cette imagerie propagandaire, aussitôt mise sous le boisseau la paix revenue. La particularité du fonds patrimonial étant d’avoir été constitué alors que l’Alsace Moselle était terre d’Empire, les rayonnages renferment une impressionnante et très complète collection d’illustrés germaniques mais aussi des journaux de tranchées prussiens... C’est donc des documents tout à fait exceptionnels dans les collections françaises qui sont présentés en grand nombre dans l’exposition. Leur caractère parfois particulièrement « sulfureux » les rend souvent d’un abord délicat si l’on se cantonne à décliner les poncifs de l’histoire des rapports franco-allemands. Pourtant, leur richesse graphique, leur inventivité plastique, leurs qualités formelles en font des documents de premier ordre et d’une modernité sidérante.
Ces milliers de planches, jamais montrées depuis, rivalisent d’inventivité plastique pour transmettre des messages d’une simplicité désarmante mais d’une efficacité redoutable. Le plomb des mines remplaçant celui craché par les carabines. Le public de l’époque était-il somnambule, inconscient ou anesthésié par une telle pyrotechnie graphique ? Non ! Il jouissait des cette explosion créative en oubliant le quotidien, riant de peur d’avoir à en pleurer. L’encre des illustrés a ainsi répliqué à la bourbe des tranchées.
C’est pourquoi nous avons choisi de proposer une autre vision que celle imposée par l’Histoire des vainqueurs et son cortège compassionnel de boue, de chrysanthèmes et de sang ponctué de quelques images de l’autre « à charge ». Une histoire ludique qui montre comment le même propos est conjugué de part et d’autre dans une partie de ping-pong graphique virtuose et de mauvaise foi partagée. Le parcours dans l’exposition devient alors l’occasion, pour le pérégrin contemporain, de s’interroger avec les rares esprits révoltés de l’époque sur notre rapport aux images et leur parfois lénifiant pouvoir dans les contextes de guerre froide, tiède ou chaude.