Topor Dessinateur de presse, préface de Jacques Vallet, texte d'Alexandre Devaux, Les Cahiers dessinés, 365 p., 35 euros.
Nous ne saurions trop louer cette excellente livraison des Cahiers dessinés consacrée au génial Topor. Si l’exposition Topor organisée par la galerie Anne Barrault à Paris a pu laisser les amateurs sur leur faim (assez peu d’œuvres présentées, une gamme de sujets un peu trop restreinte avec des dessins essentiellement centrés sur le sexe et la « merde »), ce très bel ouvrage consacré à celui qui refusait de se définir comme un « dessinateur de presse » mais plutôt comme un « dessinateur dans la presse », comblera tous les lecteurs. Après une très belle introduction photographique (cahier en noir et blanc) et une préface de Jacques Vallet, Alexandre Devaux retrace l’extraordinaire parcours de Topor dans la presse de son temps. Loin des stakhanovistes du crayon, celui qui fut écrivain, cinéaste, acteur, poète et peintre a produit une œuvre graphique paradoxale : peu productif par rapport à bien de ses collègues, Topor n’en a pas moins fait la « une » de nombreux journaux, magazines et revues, même si la plupart du temps le dessinateur d’origine polonaise a travaillé pour des revues « amies » plutôt confidentielles et éphémères.
On doit également reconnaître à Topor un style atypique, aux antipodes de la ligne claire des Sennep, Cabu ou même Willem, un style qui renvoie plutôt dans ses caractéristiques graphiques aux illustrations naïves du XIXe siècle destinées avant tout aux enfants ou au bon peuple. Un style marqué par la désuétude au service d’une vision fantasmagorique de l’humanité. Peu intéressé par l’actualité politique et sociale, Topor s’est avant tout complu à explorer le corps. Mais loin de s’appuyer sur l’expressivité théâtrale des personnages, prétextes à jeux d’esprit ou commentaires de la vie sociale, en chirurgien fanatique Topor a désarticulé, métamorphosé, combiné, recomposé la physionomie des êtres pour traduire leurs souffrances, leurs angoisses et les émotions qui les traversent.
C’est indubitablement cette quête existentialiste reflet d’interrogations sur la vie, l’amour et la mort, qui a séduit certains directeurs artistiques autant qu’elle en a rebuté d’autres. Repoussant les limites du dicible autant que du montrable sans quasiment jamais attaquer aucune personnalité de la vie publique (hormis de Gaulle en 1968), Topor fascine par son inventivité autant que par l’âpreté morbide de son monde, sa tristesse parfois, sa poésie souvent, loin, très loin de la superficialité du dessin d’humour de cette seconde moitié de XXe siècle.
Après le très intéressant texte d’Alexandre Devaux et quelques interviews d’amis du dessinateur (Willem, Pouchin et Picha), le recueil reproduit les dessins de presse de Topor classés par journaux et la plupart du temps dans leur « jus » (excellente initiative !) lorsqu’ils ont été publiés en « une ». On a hélas trop souvent pris l’habitude de sortir de leur contexte visuel les dessins publiés dans la presse… Autre point fort de l’ouvrage, des notices systématiques décrivent en quelques lignes l’histoire des journaux présentés*, leur sensibilité politique, désignent leurs fondateurs ou leurs directeurs artistiques, la période de collaboration de Topor. Enfin le lecteur se réjouira de découvrir le caractère international de cette œuvre dessinée de Topor, nombre de ses dessins ayant été repris par des journaux étrangers, en Europe principalement mais aussi en Amérique du Sud.
L’absence en fin d’ouvrage d’un index des journaux cités n’empêche pas de considérer cet opus de 365 pages comme une publication majeure dont la très grande qualité des reproductions sert merveilleusement l’univers foisonnant de Topor. Un ouvrage à ne pas manquer !
Guillaume Doizy, octobre 2014
* Petit bémol en ce qui concerne la notice du journal Minute pour lequel Topor a fourni quelques dessins en 1962. P. 128, on peut lire en effet que les prises de position du journal « à l’extrême droite ne surgissent que dans les années 1970. Topor et d’autres dessinateurs (Gébé, Bosc, Cardon, Serre…) y ont participé du n°1 au n°19, d’avril à août 1962 avant de quitter le journal ». Précisons d’abord que Minute, loin d’attendre les années 1970, défend ouvertement l’OAS dès la fin de l’année 1963 et affiche l’année suivante un racisme anti arabe nauséabond autant que virulent. Quant à la formulation sur les dessinateurs, s’agit-il d’une maladresse ? Elle laisse entendre que tous ces dessinateurs ont rapidement quitté le journal, ce qui n’est pas le cas. La fourchette invoquée (n°1 au n°19, d’avril à août 1962) concerne uniquement Topor. Cardon s’échappe en 1963 pour désaccord politique, quant à l’anticolonialiste Bosc, il cesse toute collaboration à une date plus que tardive au regard de l’évolution pro Algérie française de l’hebdomadaire, c'est-à-dire en février 1965 (Solo quitte également cette même année). Serre persiste lui jusqu’en 1978… Pour en savoir plus, cliquer ici…
Topor, dessinateur de presse - Roland Topor - Les Cahiers dessinés
Topor, dessinateur de presse - Roland Topor chez Les Cahiers dessinés - Préface de Jacques Vallet Texte d'Alexandre Devaux Tout a commencé en juillet 1958, lorsque paraît en couverture de la re...
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