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Ce pourrait être la « Geste » d'un chevalier des temps modernes dont les armes seraient la pointe d'une plume trempée dans l'humour et celle d'une épée animée par un esprit brillant. Un homme aux mille et une vies ! Epiques, héroïques et mouvementées.
Né le 14 mars 1886 à New-York, lors d'un voyage d'affaires de son père, négociant en tissus, Jean-Charles Barrez allias Joë Bridge, était destiné à suivre la même voie. Mais la révélation d'un don certain pour le dessin, encouragé par son prof' d'allemand au collège Stanislas, où il est interne, va changer le cours de sa vie.
A vingt et un an, il s'échappe de son foyer pour débuter de plain pied dans le secrétariat de Music-Hall. La rupture est consommée. Son père ne veut à aucun prix voir son nom porté par un « saltimbanque » ! C'est déjà la mode des pseudonymes anglo-saxons et d'un certain jeu de cartes : ce sera Joë Bridge ; en français : le pont, tout un symbole!
Bachelier à dix sept ans, licencié en droit, ès- lettres, il a appris l'anglais et l'allemand et pratique l'escrime au collège. Sa vivacité d'esprit en fera un champion amateur national et international aux nombreux titres.
Le 27 décembre 1912, à la suite d'une polémique dans la revue « les Armes », un duel mémorable l'oppose au Maître d'Armes, G. Bourdette. L'amateur aura raison du maître !
Le matin même, il livre l'affiche de « L'habit vert » pour le Théâtre des Variétés.
Un an plus tôt, il crée pour le journal « Comoedia » où il travaille désormais comme journaliste, Gédéon Gueule d'Empeigne, son personnage fétiche et sa chienne Roquet...te 30-12 pour promouvoir les revues du Ba-ta-clan.
Il fait du canot et découvre la Marne, l'amour de la nature et l'aviron.
Ses passions ne cesseront de s'entremêler, mais le dessin sera tout au long de sa carrière, le fil permanent de ses multiples activités : journalisme, publicité, music-hall, sport et même les deux guerres...
Justement, le 4 août 1914, éclate la première guerre mondiale. Mobilisé dès le 2ème jour, le Sergent Barrez s'impose par sa bravoure. Grièvement blessé puis fait prisonnier, il est transféré au camp d'Aten-Grabow, en Prusse orientale. Au beau milieu de cette tourmente, c'est la rencontre miraculeuse avec son copain Maurice Chevalier qu'il retrouve soudain parmi les milliers de prisonniers. Fort de cette amitié, il monte un cabaret de fortune : « La Boite à Grabow » et y écrit des revues qu'ils joueront ensemble. Il remonte ainsi le moral de ses camarades. Infirmier, il les soignera du Typhus. Après une nouvelle tentative d'évasion réussie en octobre 1916, sa conduite durant ses 27 mois de captivité lui vaudra la Médaille d'Argent des Epidémies et la Médaille Militaire.
Avec Forain, Neumont, Willette, Poulbot et Hansi, il fonde en 1920, dans la tradition du « Cabaret du Chat Noir », « la République de Montmartre » pour promouvoir la gaîté et l'esprit français et venir en aide aux artistes malheureux. Dans une magnifique bande dessinée, éditée dans les années 30, « Mowgli ou la Meute Enchantée », il lui rendra un hommage émouvant.
1920 : les années folles ! Les débuts de l'automobile, l'essor du sport, le développement de la publicité pour susciter les envies et lancer la consommation. Celui que l'on surnomme
« le Toulouse Lautrec de l'Affiche » crée, en 1922, la première agence moderne de publicité :
"Les Ateliers Joë Bridge" regroupant une douzaine d'excellents artistes dans des spécialités diverses. Il en sortira des œuvres encore connues aujourd'hui : Olida, les Cigares Diplomates, Moto-sacoche, Voisin, Vermorel...etc...
Une succursale : « Cinétude » réalise le 1er dessin animé publicitaire pour les Parfums Harris.
Transformant, en une nuit, la boutique d'un tailleur du boulevard des Capucines en une Bastille d'où Gédéon promeut les rabais d'un marchand de chaussures, il préfigure les « événementiels » !
Pour lancer des inhalateurs de poche, il crée, en 1921 un nouveau personnage aussi célèbre et une formule récurrente : « Ugène, passe moi l'odorigène », déclinée dans toute la presse. Succès garanti : c'est déjà du marketing !
En 1925, il retrouve l'aviron et devient président et entraîneur du Rowing Club de Paris à Asnières. De 1924 à 1928, il est vice-président de la Ligue parisienne de foot-ball, président du Stade Olympique de l'Est.
Dans les années 30, il invente un numéro de Music-Hall original et inédit. Alliant performances artistique et physique, il dessine en direct sur un tableau de 3m par 2m, tout en parlant et chantant, accompagné par un orchestre, caricaturant les célébrités du moment. Son esprit et sa gouaille de chansonnier le feront applaudir sur toutes les scènes de France, Belgique, Suisse, Allemagne et Angleterre où, pendant 12 ans, des tournées s'enchaîneront.
1939 : la drôle de guerre. Comme au camp d'Alten-Grabow, 23 ans après, Joë et Chevalier se retrouvent sur les planches pour divertir les soldats lors d'une tournée sur le front avec Nita Raya et Joséphine Baker, lieutenante de l'armée américaine et pour laquelle, il écrira « O mon Tommy ».
Dans les cabarets parisiens, sa verve et son fusain ne ménagent pas l'occupant. Il entre dans la résistance en 1942, dans le réseau « Vengeance », sous le pseudonyme de … Bayard. Le 8 mai 1944, après une arrestation manquée, il rejoint le maquis dans l'Eure. Agent de liaison, officier FFI, à 58 ans, il transporte sur sa bicyclette des armes démontées, du plastic et participe au parachutage des alliés. Il est affecté ensuite comme capitaine dans une compagnie de transports à Evreux.
En avril 1945, il s'engage au 1er Régiment de Marche de la Légion étrangère qui combattra et repoussera les Allemands de Strasbourg à l’ Arlberg, au Tyrol.
La remise de la Légion d'Honneur le 10 juin 1952, après la Croix de guerre en 1945 laveront l'honneur et le nom du patriote blessé par des trahisons familiales irréconciliables suscitées par la collaboration en 1943.
Retour au journalisme : sa conduite exemplaire l'accrédite pour être envoyé spécial de « La France au combat », en octobre 1946, au procès de Nuremberg où son crayon exécute déjà les dignitaires du régime nazi avant qu'ils ne pendent au bout d'une corde !
En juillet 1952, il réalise pour le journal belge « La Dernière Heure », une bande dessinée « Jefke suit le Tour de France ». Chaque soir, après l'arrivée, il doit remettre à la Gare du Nord, au machiniste du train, le « dessin d'exé » relatant l'étape afin que le journal le récupère et l'imprime !
Syndicaliste infatigable, défenseur passionné des reporters dessinateurs à la Commission de la Carte, il sera président des dessinateurs journalistes de 1947 à 1958 au S.N.J. (Syndicat National des Journalistes)
La France des années 60. Le tournoi des 5 nations fait découvrir le rugby à des badauds, parfois frigorifiés, massés devant les vitrines des magasins d'électro ménager où des postes de télévisions, encore rares dans les foyers, diffusent en direct et en noir et blanc, les reportages des matchs commentés par l'inénarrable Roger Couderc !
Ancien rugbyman dans sa jeunesse, Joë Bridge va en restituer remarquablement le mouvement dans de nombreux dessins qu'il livrera à la Fédération Française de Rugby jusqu'en 1964. Ce seront ses dernières commandes. Après s'être réconcilié avec son vieux copain, Maurice Chevalier dont le chemin, hélas, divergea du sien dans les années 40, Joë s'en ira rejoindre le 10 avril 1967, les Pierrots du Paradis de sa Butte Montmartre où il vécut.
Le journaliste, publicitaire, agent de liaison, correspondant de guerre, n'aura jamais cessé d'être finalement ce « Messager » tel qu'une photo le représentait à 13 ans, jouant ce rôle, au collège Stanislas, dans une pièce à la gloire... du chevalier Bayard ! La boucle est bouclée.
Joë Bridge était mon père. Je l'ai connu 20 ans.
Bien après sa disparition, j'avais fait un rêve étrange et prémonitoire dans lequel il évoquait...Hermès.
J'étais devenu son « Messager » !
Jean Barrez, le 26/06/2012