Ce dessin, devenu célébrissime parce que posté par Charlie le 7 janvier au matin sur Twitter, figurant Al-Baghdadi déclarant pour ses vœux : « Et surtout la santé ! », il l’a conçu comme les autres...
Interview d'Hélène Honoré publiée sur le site de l'Humanité.fr
Aviez-vous imaginé la possibilité de perdre votre papa dans de telles circonstances ? Étiez-vous inquiète ?
Hélène Honoré Pas du tout. Lui-même n’était absolument pas inquiet. Lorsqu’il était en dédicace, il avait l’habitude de ne pas afficher en grand sur la vitrine qu’il faisait partie de l’équipe de Charlie Hebdo pour éviter que des gens ne viennent polémiquer ou proférer des insultes. C’est tout. C’était arrivé, mais cela s’était toujours terminé en rigolade. Les gens ont bien le droit, encore aujourd’hui, de critiquer Charlie. Il n’y a aucun problème là-dessus. Mais il y a une différence entre aimer, ne pas aimer, l’acheter, ne pas l’acheter, trouver ça drôle ou pas, et prendre une kalachnikov pour venir tuer tout le monde ! Cela, non, nous ne l’imaginions pas. Quand un dessin réalisé dans votre coin vous amuse, amuse votre entourage, est diffusé auprès de quelques milliers de lecteurs qui achètent le journal, vous ne pouvez pas imaginer que cela puisse être utilisé ensuite par des… Je n’ai pas le terme qui puisse les définir… Faire un journal satirique n’a jamais été perçu comme un acte à risques. On est en France ! Qu’on apprécie ou non tel ou tel titre, ici la presse travaille dans une certaine liberté, tout de même. Mon père avait la carte de presse. C’était un journaliste. Ses dessins, c’était sa façon de penser. Qui est aussi la mienne. Nous avions beaucoup de points communs.
Et ces points communs, vous pouvez mettre des mots dessus ?
Hélène Honoré Se tenir du côté du plus faible. Du côté de celui est exploité par le plus fort. Que ce soit dans le cadre de l’entreprise, de l’immigration et des sans-papiers, du féminisme, par exemple. Au-delà du militantisme, se tenir du côté du plus faible dans toutes les situations était sa façon de penser à chaque seconde, une structure mentale qui le faisait se placer du côté de la femme de tout pays, y compris de France, sur les questions de prostitution, d’exploitation de cette dernière, en particulier. Le plus faible en entreprise, ce peut être le salarié face à un employeur. Durant la guerre d’Algérie, c’étaient les colonisés face aux colonisateurs. Tous ceux qui sont exploités, opprimés, utilisés par d’autres. Souvent, on se questionnait, avec beaucoup d’humour : « Qui vit sans exploiter les autres ? » Et on se disait, en rigolant : « Céline Dion ! » Qu’elle soit riche ne pose pas de problème. Elle n’exploite personne. Qu’on n’aime ou pas ce qu’elle chante, elle vit de son travail. L’idée de se placer du côté de ceux qui vivent de leur travail et non pas du travail des autres était essentielle pour mon père. Son engagement en ce sens s’étendait d’ailleurs à tout être vivant, y compris aux animaux dont certains sont exploités, réduits à l’état de choses, par pur intérêt financier ou par plaisir pour certains. Il a longtemps été militant dans un syndicat, à défendre notamment les droits des pigistes. Il était de gauche. Évidemment. Il a voté Mélenchon à l’élection présidentielle. Mais n’était plus engagé dans un parti depuis les années 1980, tout en portant grand intérêt à la politique au sens propre du terme. Il avait intégré ses valeurs. Il les vivait. À travers le dessin politique, il pouvait s’exprimer. C’est peut-être aussi cela qui a fait qu’il ne ressentait plus le besoin de militer au sein d’une organisation. Ses dessins n’avaient pas vocation à imposer quoi que ce soit en tant que tel. Mon père ne faisait que livrer sa lecture du monde, sans obliger quiconque à penser comme lui. « Voilà comment ce monde fait écho en moi », c’était le sens de son travail.
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