"Nous ne sommes pas Charlie" : un supplément sur la caricature du journal d'extrême droite Présent

Le blog de François Forcadell, d’une très grande utilité pour tous ceux qui s’intéressent au dessin de presse, a récemment évoqué un hors-série de l’hebdomadaire d’extrême droite Présent sur “le dessin de presse à droite”, sur titré de manière provocante “nous ne sommes pas Charlie”. Pas Charlie ? Tant mieux aurait-on envie de dire ! Et en effet, hormis Konk qui dit ne s’être toujours pas remis de la disparition de Cabu et Wolinski, ces dessinateurs se définissent d’abord et avant tout par leur ancrage idéologique, opposé à celui de Charlie Hebdo. Plusieurs d’entre eux rejettent comme insupportable toute idée de blasphème, et condamnent donc Charlie Hebdo pour ses caricatures de Mahomet. La dessinatrice Chard affirme : “chez les Charlie, il y a une recherche systématique du répugnant et du blasphème. C’est un risque à prendre… et qu’il faut assumer”. L’intérêt de ce petit opus de 16 page, ne réside pas dans le fait d’évoquer quelques dessinateurs de la “droite décomplexée” ou encore de la “droite nationale”, c’est à dire Chard, Aramis, Ignas, Konk, Miège, Pinatel et Tcho, aux talents très inégaux. Le plus intéressant ne tient pas non plus dans le discours sur la caricature, formulé par la dessinatrice Chard dans son éditorial, et par l’ensemble des caricaturistes interviewés. Ce qui est dit ne témoigne pas d’une vision très claire ou très élaborée du rôle du dessin de presse et de ses enjeux. Non, l’intérêt de ce hors-série est ailleurs. Il permet de se rappeler que la caricature, contrairement à une illusion de notre époque, n’est pas seulement “de gauche”, mais qu’elle sert tous ceux qui s’en emparent, même si les dessinateurs d’extrême droite en France demeurent aujourd’hui très peu visibles et peu connus. Des dessinateurs nettement plus visibles à l’époque de la guerre d’Algérie, ou bien sûr auparavant dans les années 1930 ou encore au temps de l’Affaire Dreyfus. Ce hors-série permet également de constater que seule l’extrême droite a su avant les autres se doter d’une caricaturiste politique. C’est la fameuse et très discrète Chard, active depuis une cinquantaine d’années, qui dit n’avoir eu aucun mal à exercer son métier dans la presse droitière[1]. Dans l’univers très masculin du dessin de presse, la seule dessinatrice politique avant Chard dont on se souvienne encore était déjà très à droite : il s’agit de Gyp (Sibylle Aimée Marie Antoinette Gabrielle Riqueti de Mirabeau) qui officiait à la Belle Époque dans une veine farouchement antidreyfusarde et antisémite.

Dans son édito, la dessinatrice Chard précise sans complexe la filiation des dessinateurs “nationaux” d’aujourd’hui : “Cham sous le Second Empire, Gustave Doré qui fit des charges géniales contre les Communards et les Versaillais, l’immense Caran d’Ache et, plus près de nous, Léno, Ben…”. Léno, alias Ralph Soupault, chef de fil des dessinateurs de presse collaborationnistes et antisémites, responsable parisien du PPF de Doriot, condamné à la Libération… Ben, dessinateur pro Algérie française qui travaillait pour Aspects de la France notamment.

Ce hors-série insiste sur le fait que le dessin d’extrême droite demeure aujourd’hui sous pression, sous pression de la loi, et donc de la censure : révisionnisme, racisme, antisémitisme et homophobie constituent des motifs d’inculpation fréquents dans le dessin d’extrême droite. On a là en effet une situation inédite depuis le vote de la loi de 1881 et en dehors de la période de collaboration qui favorisait très clairement la caricature d’extrême droite. Depuis 1881, et jusqu’au retour de de Gaulle, gauche et droite ont jouit des mêmes “droits” ou subits les mêmes pressions (sous de Gaulle notamment). Le déséquilibre actuel rend difficile pour la droite décomplexée le recours à la caricature “décomplexée”. Une situation dont certains se féliciteront mais que l’on peut également regretter. Aurait-il fallu interdire à Forain, Caran d’Ache, Roger Roy ou Soupault de s’adonner comme il l’ont fait à l’art de la charge, fut il synonyme d’ignominie ?

Faut-il se ruer sur son kiosque à journaux pour acheter ce spécial caricature d'à peine 16 pages ? Pas vraiment. Le lecteur ne manquera pas de trouver très superficielles les interviews, quant à la sélection des dessins présentés, elle nous fait dire que la relève des Caran d’Ache et autre Soupault n’est pas encore trouvée !

Guillaume Doizy

[1] Comme nous l’a indiqué Chard lors d’une interview. Dans le cadre d’un travail de recherche sur la collaboration du dessinateur Bosc au journal Minute, j’ai interviewé deux « mémoires » du dessin de presse des années 1960 : Cardon qui a travaillé en 1962 et 1963 à Minute avant d’en partir pour désaccord politique et de travailler à partir de 1974 pour le Canard enchaîné, et Chard qui dessinait à la fin des années 1960 pour des journaux d’extrême droite.

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