Plantu aurait-il quelque chose à se reprocher ? On pourrait le penser en écoutant débattre le dessinateur du Monde avec Riss, directeur de l’hebdomadaire Charlie Hebdo. On le sait, la fracture entre les deux dessinateurs ne date pas d’hier. Avant le 7 janvier, c’est Charb qui se montrait le plus résolument hostile à la « ligne » défendue par Plantu depuis des années à la tête de Cartooning for peace. Autocensure d’un côté, refus de plier aux interdits des religieux de l’autre.
Plantu croyait-il que la mort de 5 dessinateurs illustres pouvait, d’un coup de baguette magique, effacer le lourd passif entre le représentant du dessin de presse éditorial en « une » d’un grand journal modéré détenu par de gros actionnaires, et un journal satirique que l’on peut qualifier de critique à l’égard du pouvoir, dénonçant certaines oppressions, et notamment les oppressions religieuses ?
Le 8 janvier 2015, Plantu a fait comme si la hache de guerre n’avait jamais été déterrée. Pendant quelques jours, oubliant qu’il avait caricaturé en « une » du Monde Charb le 21 septembre 2012 en le représentant en débile mental alors que Charb était déjà sous protection policière parce que menacé de mort, Plantu sur toutes les chaînes de télé a versé des larmes de crocodile expliquant qu'il était Charlie, et qu'il avait trouvé un riche philanthrope prêt à aider financièrement Charlie Hebdo. Plantu, le sauveur !
Que n’avait-il pas eu la bonne idée de dégoter ce magicien argenté quelques semaines ou quelques mois avant le 7 janvier, alors que Charlie Hebdo risquait de faire faillite !
Pas rancunier Riss, en acceptant de débattre avec celui qui, en diffusant cette caricature en « une » d’un grand journal, encourageait ceux qui menaçaient Charb. Pas rancunier, mais pas dupe non plus. Lors du débat au CESE, Plantu a très vite engagé l’opération séduction : « viens avec nous dans les classes, viens avec nous dans les pays arabes, on doit faire de la pédagogie, nos dessins doivent créer des ponts ».
Sur le fond, l’attentat du 7 janvier n’a pas fait bouger les positions, ni celle de Plantu, ni celle de Riss. Quand Plantu demande qu’on pratique l’autocensure et qu’on se refuse de dessiner Mahomet, Riss explique que ce serait une capitulation face à ceux qui veulent imposer la loi religieuse sur la société. Quand Plantu trouve très bien l’idée de flouter Mahomet dans un dessin de presse pour « contourner les exigences des intégristes », Riss lui répond qu’il ne contourne rien, et qu’il se soumet à leur diktat. Quand Plantu dit qu’il ne faut pas heurter les sensibilités à l’autre bout du monde pour maintenir la paix, Riss répond que Charlie Hebdo s’adresse à tous ceux qui dans le monde justement, refusent la loi religieuse et se retrouvent moins seuls en voyant que dans d’autres pays des dessinateurs se permettent de défendre jusqu’au bout la liberté de caricature des religions.
Plantu, comme à son habitude, n’a pas manqué d’évoquer tel ou tel dessinateur dans le monde, tel ou tel dessin pour… surtout ne pas répondre aux arguments sur le fond. Si le visage de Riss – très grave -, traduisait dès le début de la rencontre la souffrance de ces derniers mois, celui de Plantu s’est peu à peu décomposé pendant la discussion… Plantu devrait sans doute dans ce genre de débat s'entourer de dessinateurs comme Chappatte ou Aurel par exemple, qui théorisent de manière très intéressante ce "devoir de réserve" sur la question de la caricature du sacré.
Ce débat nous a semblé utile, dans le sens où le fossé entre Plantu et les dessinateurs de Charlie Hebdo n’était pas vraiment public jusque-là. Un débat utile, qui rappelle que coexistent dans la société différents usages du dessin de presse et de la caricature. Un débat qui permet de rappeler que le point de vue du très médiatique Plantu est loin de faire l’unanimité chez les dessinateurs de presse (et même d’ailleurs chez les membres de Cartooning for peace). Un débat utile enfin car en créant Cartooning for peace, Plantu a pour la première fois dans l’histoire posé la question de l’éthique et de la responsabilité du dessinateur, même si la réponse à cette question est loin d’être évidente et unique.
Ecouter le débat à partir de la 17ième minute (et 30 s). https://www.youtube.com/watch?v=3GeqC0T8C8s
Guillaume Doizy