La seconde moitié du XIXe siècle se passionne pour le fait divers. Avec le supplément illustré du Petit journal puis du Petit parisien, le fait divers gagne en visibilité avec de grandes illustrations en couleur. Lorsqu'en 1908 paraît L'Oeil de la police, le fait divers dispose d'un journal dédié. Car contrairement aux autres journaux illustrés du temps, L'Oeil de la police se désintéresse des figures de souverains, des découvertes scientifiques ou géographiques ou encore des hauts faits de l'actualité internationale. L'hebdomadaire, qui perdure jusqu'en 1914, fait le choix d'une hyper spécialisation (comme d'autres journaux au même moment se spécialisent dans l'antimilitarisme, la vie militaire, la gaudriole ou dans l'anticléricalisme par exemple) autour de la mise en scène du drame, de la peur, du crime et de la souffrance. Si le fait divers s'impose comme thème majeure, les éditeurs proposent également à leurs lecteurs des scènes de combat qui relèvent plus du genre militaire. Fondé en 1908, L'Oeil de la police doit sans doute beaucoup à l'hebdomadaire Le fait-divers illustré, lancé trois ans auparavant. Contrairement aux autres journaux illustrés, ces nouveaux titres accrochent leur lecteur dès la couverture avec un début de récit de quelques phrases, dont on découvre la suite en feuilletant le reste du journal. Une manière de faire grandir la curiosité au delà de l'attrait de l'illustration. Les deux titres, de 12 pages chacun, offrent une grande image de couverture et une 4e consacrée aux faits de la semaine. L’œil de la police néanmoins innove par une mise en page très originale de cette revue hebdomadaire des petits faits divers, organisant ces images non plus en vignettes juxtaposées mais dans une composition dynamique dans laquelle le motif de l’œil tient une place centrale.
Le fait divers illustré inonde littéralement la presse de l'époque. Il a joué un rôle certain dans le succès des journaux catholiques comme Le Pèlerin et La Croix illustrée par exemple, sinon dans la plupart des suppléments illustrés des journaux quotidiens de province publiés à la Belle Époque.
Bien que le drame structure le contenu éditorial de L'Oeil de la police, la mise en image de la violence demeure retenue. Si le rouge permet d'évoquer le sang, les corps démembrés, déchiquetés, ouverts, dénudés ou tuméfiés sont extrêmement rares. La dramatisation s'exprime au travers de la mise en scène générale, de la disposition des corps (toujours en mouvement) sans oublier l'expression des visages. Il est intéressant de comparer la "une" de L'Oeil de la police invoquant un "nouveau radeau de la Méduse" 'voir dans la galerie ci-dessous) et la peinture de Géricault réalisée quasiment un siècle plus tôt, en 1819. Contrairement à l'hebdomadaire, le peintre avait fait le choix du morbide, des corps cadavériques, d'une expressivité macabre glaçante, que l'on ne retrouve absolument pas en "une" du journal.
La réussite de ces hebdomadaires publiés à la Belle Époque tient sans doute à l'articulation entre les images certes retenues, et les textes nettement plus suggestifs et moralisateurs. Crimes, explosions, catastrophes, accidents automobiles ou d'avion, crimes raciaux, suicides, nourrissent les peurs collectives, alimentent un voyeurisme généralisé et traduisent une vraie fascination pour le "mal".
GD