Coco, de Charlie Hebdo : "J'ai envie que mes dessins soient compris" interview par Theoma
Discrète dans les médias, la dessinatrice de Charlie Hebdo Corinne Rey, alias Coco, a accepté de répondre à quelques questions, revenant notamment sur l’Après-Charlie. Elle nous offre son regard sur le dessin de presse, sur ses limites, sur son rôle et ses enjeux.
Salut Coco, qui es tu ?
Je suis Coco. Je suis maman. J’ai deux frères, je suis issue d’une famille ordinaire : un papa vendeur, et une maman au foyer. Je suis dessinatrice de presse, et je suis une grande fumeuse, qui galère à arrêter !
Le dessin de presse, c’est quoi ?
Le dessin de presse, c’est un dessin engagé, qui dénonce, critique et fait rire. C’est un dessin particulier, impactant, qui doit être selon moi à la fois efficace, et synthétique. On le confond souvent avec la caricature. Or, la caricature, si elle fait partie du dessin de presse, reste un outil pour dégager un propos. Le dessin de presse se doit d’être drôle et efficace, et la caricature est un moyen d’y parvenir.
Comment être certain de rendre une caricature pertinente ?
Cabu me disait : « Tout est dans les yeux ». Si on foire le regard, ça ne ressemble plus au sujet. Tu peux foirer le menton, les oreilles, ça on s’en fout. Mais les yeux, c’est le plus important : le reste suit naturellement, c’est un tout. Il y a des personnes plus faciles à dessiner que d’autres. J’étais passée chez Ruquier pour la sortie du bouquin de Christophe Conte (auteur des Billets durs, dans les Inrocks, ndlr), et il avait montré un dessin de Christine Boutin et Frigide Barjot à poil avec les chapeaux des Demoiselles de Rochefort, que j’avais fait. Il m’a dit : « Vraiment, vous y allez fort ! », et ça m’a marqué ! Je lui ai répondu que non, elles sont comme elles sont, moi je n’invente pas grand chose ! Il y a des personnes qui sont vraiment faciles à dessiner, car leur tronche s’y prête ! Frigide Barjot, c’est comme ça ! Physiquement, elle n’est pas jojo, et ses idées ne la rendent pas belle non plus. À dessiner, c’est facile : tout est là !
Cette vocation, d'où vient-elle ?
J’ai commencé à dessiner très jeune. J’ai deux frères, je suis la seule fille : le dessin a toujours été un moyen d’être dans ma bulle. Au lycée, je caricaturais les profs, ça faisait marrer. Le côté artistique et simple du dessin (papier/crayon) me ressemble. J’aime bien la simplicité du dessin. Je suis franche, donc j’aime le côté incisif du dessin de presse. Il dénonce, il critique - négativement ou positivement. Le dessin synthétise des choses mieux qu’un texte. J’aime ça. On voit dans le dessin de presse que certains ont un style épuré, qui laisse surtout la place aux idées. Je suis d’accord avec ça, le dessin de presse, c’est d’abord des idées. Mais j’aime aussi le graphisme, la beauté du trait. Personnellement, j’ai encore des progrès à faire, j’ai quelques failles, notamment les décors et les perspectives.
Quelles sont tes inspirations ?
J’ai été à « l’école Charlie ». J’ai beaucoup appris là-bas. J’y ai rencontré des gens très simples, très drôles. Ça pissait d’idées et de vannes. Le métier de dessinateur est un métier d’ordinaire solitaire, c’était la première fois que je bossais dans une ambiance collective comme ça, que je me confrontais à une forme d’émulation. Alors évidemment, qui n’a jamais été admiratif en voyant Cabu dessiner des gens aussi facilement ? Deux traits, un regard et c’est bon ! L’école Charlie a été très formatrice, pour moi. Dans mes références, j’ai aussi Franquin : j’ai été une grande lectrice de Gaston Lagaff et des Idées noires, ce sont des univers incroyables. Franquin peut tout dessiner. J’aime bien aussi les Simpson, c’est une très bonne critique de la société américaine profonde, et des rapports humains. On est parfois dans le cliché avec les Simpson, mais j’aime bien cet univers graphique.
Que signifie ce boulot pour toi ?
Je dessine tous les jours. Ça paraît con à dire, mais sans le dessin, qu’est-ce que je ferai ? J’ai la chance que ça ait marché assez vite de mon côté. Après mon stage chez Charlie (à la sortie de mes études aux Beaux Arts de Poitiers), j’ai créé un site internet pour diffuser mes dessins, tout en continuant à aller à Charlie. Puis, j’ai pu publier sur des sites, dans des journaux. Puis dans des journaux de plus grande ampleur. Ce boulot signifie ce que je suis : mes idées, mon regard sur le monde et sur la société. Il signifie ce que je pense de tous les sujets : religion, politique, société. C’est un peu moi, en fait. Je ne me conçois pas sans dessin. Ça fait partie de moi... Bon, je ne nique pas avec mes crayons, par contre ! (Rires)
Penses-tu que cette discipline est nécessaire ?
Elle est nécessaire pour défendre les choses importantes. À Charlie, on est très attachés à la défense de la liberté d’expression et de la laïcité. Ce sont des choses qui me paraissent essentielles. Je crois au « Vivre ensemble », même si aujourd’hui on est plus dans une idée de « Se supporter ensemble ». Je crois que beaucoup de pays nous envient la laïcité, et nous envient Charlie. En France, on a cette chance d’être une république démocratique. On a la chance d’avoir cette liberté d’expression qui nous permet de dire ce que l’on veut. La limite, c’est la loi. La loi c’est quoi ? C’est ce qui interdit la diffamation, l’injure. Mes dessins ne tombent jamais là-dedans. C’est donc nécessaire, car avec ce genre de discipline, on est libre de poser des questions, d’inviter à penser autrement, à réfléchir. Le dessin du petit Aylan à côté du panneau McDonald’s par exemple, a fait polémique dans le monde entier. Certains ont dit « Vous vous moquez de l’enfant ». Mais on ne s’en est moqué en rien ! Riss a dessiné l’enfant tel qu’il était sur la plage : on n’a pas inventé cette image. Cette photo a ému le monde entier, nous les premiers. Le dessin critiquait l’Europe, le panneau McDo montrait l’ironie de tout cela. À travers ce dessin, c’est l’Europe qui était pointée du doigt. On a voulu montrer le contraste entre l’Europe merveilleuse que l’on vend aux migrants, et la réalité : Calais, les tentes, la boue, la mort. Les migrants arrivent par bateaux entiers, que fait le Gouvernement ? On s’émeut à peine, il n’y a que des blablas, mais aucune solution de fond ! C’est cette actualité et cette Europe que l’on a voulu dénoncer. Après, il y a beaucoup de personnes qui ont découvert Charlie et l’esprit satirique l’an dernier, et n’ont pas les codes de lecture nécessaires. C’est une des raisons pour lesquelles le dessin a choqué. Il ne faut pas se cantonner à lire l’image telle qu’elle est : il faut comprendre ce qu’il y a derrière.
Le dessin de presse doit-il être engagé ?
Évidemment ! On n’est pas là pour faire du main stream et aller dans le sens de Monsieur Tout-le-monde ! Si l’on est là pour dessiner des souris, des bisounours, si l’on est là pour dire « les terroristes c’est pas bien », quel est l’intérêt ? Il faut aller plus loin ! Quand je vois les dessins de Plantu avec marqué « Connards » pour dénoncer les terroristes, j’ai envie de dire « Bah oui, on est tous de cet avis. Mais à part ça ? » Il faut inviter une réflexion et aller plus loin que le sujet en lui-même. Il faut dénoncer, tout simplement. Dans le cas précis du terrorisme, c’est cette appropriation et cette interprétation que les terroristes font d’une religion, qu’il faut montrer du doigt. Tous les musulmans en pâtissent : c’est de ça qu’il faut parler, c’est ça qu’il faut montrer. Alors oui, les terroristes sont des connards, mais si on ne dit rien d’autre dans nos dessins, ça tombe à plat !
Te considères-tu comme une journaliste ? Une artiste ?
Je trouve le mot « artiste » un peu pédant. Dessinatrice-reporter... ou dessinatrice- journaliste. Le dessin de presse est forcément journalistique puisqu’il se rapporte à la presse et, même si ça reste du dessin, il y a tout de même des angles qui sont choisis, des idées qui sont adoptées, à propos de l’actualité. On défend notre opinion et on apporte notre vision sur le monde. Il y a un sens critique et une information avant tout. C’est ça, le journalisme ! Quand je suis en reportage, par exemple dans une manif, je me mets d’abord en situation de public. Je discute avec les gens, je note ce qu’ils me disent. Puis j’essaie de modeler la chose, pour que ça donne quelque chose de cohérent : comme un article ! Donc oui, dessinatrice-journaliste, ça me va bien.
Le dessin est-il une manière pour toi de rester gamine ?
Le dessin est propre à l’enfance, et touche tout le monde. C’est un moyen d’expression universel, naïf et enfantin de prime abord. C’est un des premiers langages, avant même la parole. Même les gens qui ne dessinent pas ont déjà eu une approche du dessin. C’est aussi pour ça, je crois, que les gens ont été choqués et ont marché le 11 janvier. Alors aujourd’hui, mes propos sont évidemment ceux d’un adulte et n’ont rien d’enfantin, mais dans la forme, c’est vrai qu’une part d’enfance demeure. Et puis à la rédaction, nous sommes tous un peu gamins ! On travaille dans une ambiance de déconne, tout en étant sérieux et professionnels. Charb était beaucoup comme ça. Il déconnait énormément et nous faisait beaucoup marrer, mais c’était aussi un boulimique de travail. Il avait ce côté sérieux et déconneur en même temps. Et puis Cabu, aussi. C’est un éternel enfant. Ça se voyait sur son visage.
Comment travailles-tu concrètement ?
Simplement ! On pourrait penser qu’avec les nouvelles technologies, on dessine sur ordinateur, mais pas du tout. En tous les cas, pas chez Charlie. On travaille avec papier, crayons, stylos. Ma méthode de travail, celle que j’ai apprise chez Charlie, est la suivante : je fais une revue de presse pour commencer. J’y inclue des sujets d’actualité, des sujets qui m’intéressent et me parlent, sur lesquels je pourrais éventuellement trouver une idée. J’essaie de trouver des angles, des pistes. L’idée vient en cinq minutes, en trois heures, en trois jours, ça dépend. Je réfléchis à ce que je pense de la situation, à ce que j’ai envie de dire. Puis je mets en forme mon idée. Je crayonne rarement, je travaille directement sur mon dessin. J’aime beaucoup travailler avec l’aquarelle (même si je suis encore novice en la matière). Le noir et blanc va très bien aussi, Riss l’utilise beaucoup. Cabu aussi ne faisait quasiment que du noir et blanc. Il coloriait super mal, en passant son gros doigt sur ses pastels secs !
Hormis la loi, y a-t-il selon toi une autre limite, dans le dessin de presse ?
En dehors de la loi, pour moi, il n’y en a pas. Je ne me suis jamais cachée pour pouvoir dessiner quoi que ce soit. La religion par exemple : pour moi, en tant qu’athée, un prophète ne représente rien. Quand on caricature un politique, on en fait un personnage, c’est pareil pour la religion. Ça devient un outil, pour faire passer une idée. Je ne trouve pas ça choquant non plus, je crois que c’est juste un moyen de dire quelque chose. Même pour un croyant : le croyant qui voit son prophète dessiné (que cela soit interdit ou pas), même si ça le dérange, ne perd pas sa foi à cause de ce dessin ! Le croyant qui a foi en son dieu, et bien il a foi en son dieu, et puis mon dessin c’est autre chose ! Il n’engage en rien son dieu, ni sa foi de croyant, quelle que soit sa religion !
C’est l’idée du « ceci n’est pas une pipe » ?
C’est tout à fait ça ! On dessine notre interprétation du sujet, cette interprétation nous est propre et n’atteint en rien le sujet d’origine. On critique des dogmes, jamais des individus. Et c’est ce qui est tragique dans le 7 janvier. Quand on fait un dessin, c’est pour ouvrir un débat, une discussion. Tuer pour un dessin, un article, un blog, c’est scandaleux, abominable, où que ce soit.
As-tu changé ta façon de travailler depuis le 7 janvier 2015 ?
Non, je ne crois pas. Rien n’a changé sur le fond du journal. On a toujours les mêmes convictions. Moi, je fais toujours le métier que je voulais faire, celui que j’ai appris chez Charlie. On se place toujours du côté des plus faibles, du côté des minorités, et de leur défense. C’est un fer de lance pour Charlie ! La chose qui a le plus changé, c’est l’impact mondial de nos dessins. Je pourrais m’en taper, mais j’ai envie que mes dessins soient compris et pas interprétés injustement ou à tort.
Comment perçois-tu ton métier aujourd’hui ?
Après l’attentat, je me suis focalisée sur le dessin. Je me suis mise dans une bulle. Ça été dur, on était peu nombreux et dans un état déplorable. Aujourd’hui, je perçois mon métier avec beaucoup plus de responsabilités qu’avant, par la force des choses, parce que deux cons sont arrivés un matin... Deux cons pas si cons que ça finalement ! Je ne vais pas leur prêter « l’intelligence d’un cendrier vide », c’est beaucoup plus profond : ils savaient ce qu’ils faisaient. Donc oui, j’ai beaucoup plus de responsabilités, par rapport au journal notamment : il faut que le journal dure et vive, c’est ce qui nous fait tous tenir. Je pense qu’énormément de personnes qui ont défilé le 11 janvier, ne l’ont pas fait pour rien. C’est vrai que dans les mois qui ont suivi, beaucoup de gens ont craché sur ce jour, et moi je ne suis absolument pas d’accord avec ça. Quelle que soit la raison pour laquelle les gens ont défilé, ils étaient là dans un mouvement solidaire : pour soutenir la liberté d’expression, pour soutenir Charlie, pour soutenir les juifs, les policiers. Ils ont marché contre l’antisémitisme, contre la haine, contre le terrorisme. En bref, pour plein de raisons qui sont valables et fortes. Les gens auront beau pisser sur le 11 janvier autant qu’ils voudront, ce jour là a existé, et il est gravé dans nos esprits.
Vous avez organisé pour la première fois cette année « Le Prix Charlie ». Avez-vous vu ça comme une renaissance ? Un espoir ? Un passage de flambeau ?
On pourrait y voir quelque chose comme ça, en effet. C’est Iegor Gran, un rédacteur de l’équipe, qui a eu cette idée de faire écrire les jeunes. Pour cette première édition, le thème imposé était « Et si on remplaçait le bac par... ». On a tout de suite adhéré, car même si Charlie est surtout connu pour ses dessins, c’est aussi un journal qui propose des articles de fonds. C’était une manière de tâter le terrain, de voir ce que les jeunes avaient dans le ventre. On voulait lire ce qu’ils avaient envie d’écrire, de dire, parce qu’on sait que les jeunes ont des choses à dire ! On a été très agréablement surpris du nombre de textes que nous avons reçu : 1350, et sans beaucoup de communication ! Il y avait des textes assez pourraves c’est vrai (un participant a écrit « bite bite bite bite bite » par exemple, ndlr). Mais j’ai lu aussi de très bons textes, très bien écrits. Dans l’ensemble, les textes foisonnaient d’idées et de points de vue. C’est ce que l’on attendait, comme résultat. Et si ça peut susciter chez les jeunes l’envie d’écrire sur le monde et sur ce qu’ils en pensent, c’est très bien. Donc j’ai bon espoir. Ce sera d’ailleurs reconduit l’an prochain, et (c’est un scoop !) on pense également à un prix dessin.
Quel est ton meilleur dessin ?
Ma couv’ sur Bowie, peut-être ? C’est une idée toute conne, mais ça m’est venu assez rapidement. J’aimais bien cette image du « costume réglisse », c’était graphique. Et puis j’aimais bien l’artiste, donc le sujet me parlait. J’aime aussi beaucoup la couv’ « Ils ont les armes, on les emmerde, on a le champagne » : c’est presque comme une petite fierté personnelle, car si le 13 novembre a choqué tout le monde, pour nous ça a eu une résonance particulière. Une impression de déjà-vu. Les idées ont donc fusé. Après, il y a un autre dessin que j’aime bien, que j’ai fait au moment du Mariage pour Tous : j’avais dessiné deux femmes à poil qui s’embrassaient, avec des petites touffes sur le pubis, en écrivant « Oui au Mariage pour Touffes ! ». On ne fait pas beaucoup de jeux de mots à Charlie, mais celui là était bien passé.
As-tu envie de dire merde à quelqu’un ?
À plein de gens ! À tous les fachos, les gros cons qui ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, à tous les extrémistes quels qu’ils soient... J’ai envie de dire merde à tous les cons. Je les emmerde bien profondément, et je continuerai mon métier pour ça : juste pour les faire chier !
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