Goldstein, Robert Justin, M. Nedd, Andrew (Eds.), Political Censorship of the Visual Arts in Nineteenth-Century Europe, Arresting Images, Palgrave Macmillan (version papier à 90 dollars)
Depuis plusieurs décennies, l'américain Robert Justin Goldstein s'attache à l'étude de la censure en France et en Europe. Avec ce nouvel ouvrage collectif, co-dirigé avec Andrew M. Nedd, Robert Goldstein ouvre un peu plus encore l'horizon de la recherche sur le sujet. L'objectif est double : il s'agit non seulement ne pas se limiter à un seul pays pour pouvoir ainsi opérer des comparaisons éclairantes, mais en plus de ne pas se cantonner à la censure du dessin satirique, objet prioritaire de ce type de travaux. Beaux-Arts et théâtres sont parfois explorés au même titre que la presse, même s'il apparait très vite que chaque secteur de la vie culturelle a son rythme propre, ses lois, ses censeurs. Il faut saluer la qualité de cet ouvrage (en anglais), et également l'intelligence des éditeurs, qui ont opté pour la publication de textes charpentés, détaillés et parfois longs, aux antipodes des normes trop souvent en vigueur dans certaines revues universitaires françaises dans lesquelles dominent trop souvent les études rapides et par voie de conséquence trop peu approfondies. Si dans cet opus les auteurs se sont parfois cantonnés à un genre particulier, ils ont néanmoins prioritairement exploré la question de la censure de la satire visuelle, ce qui n'est pas pour nous déplaire.
La fourchette chronologique envisagée englobe un long 19e siècle (jusqu'à la Grande Guerre), c'est à dire une période historique de transition, qui voit peu à peu les régimes autoritaires laisser place à la démocratie parlementaire ou à d'autres types de régime, dans le cadre de crises sociétales profondes. Sur les cinq articles proposés le premier s'intéresse uniquement à la censure de l'art abstrait (en Russie), tandis que les quatre autres accordent une large place à l'étude de la satire visuelle. La censure en France, en Autriche-Hongrie, en Italie et en Allemagne, sont ainsi présentées de manière chronologique avec un zonage géographique quand les disparités régionales font naître des régimes de censure spécifiques.
C'est bien sûr la censure politique qui fait l'objet ici d'une étude approfondie, la censure dans ses dimensions juridiques et administratives. Les auteurs n'ont pas manqué également de s'intéresser à la réalité de l'application des règles de censure, et leur conséquences matérielles pour les éditeurs et les dessinateurs.
Comme on s'en doute, impossible d'évoquer le processus censorial sans restituer une histoire du matériaux censuré. Au delà de la question posée, le lecteur se passionnera donc pour ces larges panoramas de l'histoire de la presse et de ses images que les auteurs sollicités n'ont pas manqué de dépeindre. On s'émerveillera tout particulièrement de la contribution de Catherine Horel sur l'Autriche-Hongrie de 1867 à 1914, une région de l'Europe traversée par la question des nationalités, marqué par des traditions culturelles, linguistiques et politiques très diverses, et donc caractérisée par une très forte hétérogénéité en matière de satire visuelle, mais également de censure des images. Malgré la très grande complexité du contexte, l'auteure décrit avec précision une presse satirique foisonnante dans ses rapports avec les mouvements politiques, dans les crises qu'elle traverse, les tabous qu'elle véhicule.
On a peut-être là la limite de ce genre d'exercice, vu sa difficulté : s'il est aisé de décrire les lois et règlements qui président à la censure politique et juridique, on peine en général à mesurer ce qui, dans le travail du dessinateur, relèverait d'une autocensure collective, liée aux préventions morales que porte inconsciemment toute société. La recherche sur la censure "officielle" rechigne en général à envisager l'image satirique dans le rapport de force social, c'est à dire sous l'angle du bras de fer qui encadre sa diffusion, un bras de fer qui s'opère dans le cadre de la réception non seulement entre le dessinateur et l’État ou les institutions, mais également le public. Contrairement à ce que l'on peut lire parfois, les réactions parfois violentes et donc hostiles de la société civile à l'encontre de caricature ne sont pas nouvelles et ont largement participé de la censure de ce type de représentations. Enfin, on peut également regretter que les questions économiques soient rarement envisagées comme source de censure.
Par sa richesse et par la diversité des aires géographiques étudiées, cet ouvrage, sans équivalent, nous semble absolument incontournable.
Guillaume Doizy
Sommaire :
Andrew M. Nedd : Introduction
Margaret Bridget Betz, Andrew M Nedd : "Irony, Derision, and Magical Wit: Censors as a Spur to Russian Abstract Art"
Robert Justin Goldstein : "France"
Catherine Horel : "Austria-Hungary 1867-1914"
Ursula E Koch, Martin Loiperdinger : "Political Images and Censorship in Germany before 1914"
Antonello Negri et Marta Sironi : "Censorship of the Visual Arts in Italy 1815-1915.
Political Censorship of the Visual Arts in | Robert Justin Goldstein | Palgrave Macmillan
In this comprehensive account of censorship of the visual arts in nineteenth-century Europe, when imagery was accessible to the illiterate in ways that...