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Les commémorations de la Grande Guerre ont connu en 2016 un certain essoufflement par rapport aux deux années qui ont précédé, l'activité mémorielle ne disparaissant néanmoins pas totalement. On lira avec plaisir et intérêt le très beau catalogue qui accompagne l'exposition "1914 – 1918 : Guerre d’images – Images de guerre" qui se tient actuellement à Strasbourg. Avec le déclenchement de la Guerre, l'Allemagne a connu une vague d'archivage et de collectionnite des documents ayant trait au conflit. Si la France a connu un même mouvement (la collection des époux Leblanc a servi de fond à l'actuelle BDIC), la loi interdisait de réunir les publications ennemies. En Allemagne, et a fortiori à Strasbourg, diverses institutions ont collecté une vaste documentation graphique, complétée par des dons privés plus tardifs. C'est à partir de ce fond de journaux, d'affiches et de cartes postales que cette exposition s'intéresse au discours "satirique" et "propagandiste" de la Grande Guerre.
Superbement illustré, le catalogue qui reproduit l'intégralité des documents présentés est accompagné de cinq textes évoquant les fonds utilisés, la propagande de guerre, les thèmes de l'iconographie satirique, les illustrateurs en Alsace et enfin l'imagerie inspirée des grands mythes historiques, très présente dans ces images de guerre.
Deux points méritent sans doute une discussion approfondie. Le premier concerne la question de la "propagande", terme jamais défini avec précision par les auteurs du catalogue qui englobent dans cette catégorie la carte postale produite par un "petit" éditeur de Strasbourg aussi bien que le dessin de presse adressé aux journaux à partir de 1917 par les services de Ludendorff. Dans son article, David Welch évoque dans un paragraphe, la propagande par l'affiche, sans jamais citer aucun placard illustré produit directement par les services de l’État, ni même renseigner le lecteur sur les mécanismes de décision et de commande afférant à de telles affiches. Il désigne par ailleurs les affiches pour l'emprunt et celles qui concernent les journées patriotiques sans considérer que ces images relèvent plus de la réclame que de la propagande. Inciter le passant à donner son argent ou des vêtements ne relève pas en soi de la "propagande", censée orienter l'opinion, modifier son regard sur le conflit.
Le gros de la production d'images pendant la guerre se réalise en fait sur les bases de l'économie marchande. Dans ces conditions, c'est bien le citoyen qui se tourne vers les images pour leur valeur d'usage et paie même pour se les procurer, alors que la propagande cherchera à peser sur l'opinion publique en "imposant" ses images dans l'espace public. Si la propagande par l'écrit au travers des communiqués de guerre a joué un rôle fondamental en 14-18, l'image tient une place encore très réduite dans les préoccupations des dirigeants de l'époque, qui opèrent certes une censure des imprimés, mais ne cherchent pas encore à diffuser une iconographie spécifique pour peser sur les consciences.
Réunir toutes ces images sous le terme de "propagande" revient à considérer toute production à caractère patriotique comme propagandiste. On assiste certes dès le début des hostilités à une homogénéisation spontanée du discours diffusé par des milliers d'éditeurs privés. Il faut pour autant se garder de confondre l'intention des éditeurs et le statut des images. La propagande se moque de la loi du marché, tandis que l'éditeur cherche à écouler sa marchandise, répondant à la demande du moment tout en étant confronté à la concurrence très forte également. Conséquence, si la propagande maintient jusqu'au bout du conflit une rhétorique guerrière, le commerce des images subit de son côté une évolution qui semble traduire la lassitude de la population face aux duretés et à la durée de la Guerre.
L'exposition s'intéresse aux grands thèmes de l'iconographie de guerre sans envisager leur évolution et les variations de ton des images tout au long du conflit, ni d'ailleurs s'interroger sur la place de ces images guerrières dans l'ensemble de la production visuelle. On a là un biais sans doute contestable mais lié à la nature même des collections qui se sont construites à l'époque : on cherche à évoquer l'iconographie de la grande guerre au travers des seules images patriotiques et guerrières. Certes, les collections "de guerre" sont en général constituées de ces seules images, mais l'historien ne doit-il pas s'interroger sur la représentativité historique de ces documents ? Ne doit-il pas replacer cette documentation dans l'ensemble du flux visuel d'une époque pour s'interroger sur les questions de réception et donc sur la question des imaginaires collectifs ? Chercher à mesurer l'évolution de l'iconographie et replacer ces images dans la production globale permettrait de relativiser cette question de la "propagande" et de mieux percevoir la frontière entre édition privée et propagande publique.
Toutes questions qui ne réduisent en rien l'intérêt de ce superbe et passionnant catalogue.
Guillaume Doizy
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