Modes de circulation des images entre 1750 et 1848 : représentation, politique et diffusion

Université de Rouen, 5 mai 2017

Depuis un demi-siècle, de nombreuses études fondées sur des recherches originales ont largement souligné l’importance des images, sous toutes leurs formes, dans la constitution de l’imaginaire politique, symbologique et fantasmatique dans la France et plus généralement l’Europe des XVIIIe et XIXe siècles. La gravure, l’estampe et la lithographie ont tout particulièrement fait l’objet de travaux qui ont mis en évidence le caractère à la fois singulier et universel de leur langage, fondé partiellement sur une résurgence de thèmes venus d’un passé lointain et souvent associé à des concepts politiques et à des motifs nouveaux. Dans ce cadre, les événements révolutionnaires de la fin du XVIIIe siècle et de la première partie du XIXe siècle ont donné une nouvelle dimension aux images, réinventant leurs motifs en les associant aux nouvelles mœurs et valeurs politiques dans des campagnes publiques d’agitation ou d’intégration. Même s’il reste encore de nombreuses voies et chemins inexplorés, le contenu des images, leurs sens possible et les mécanismes généraux de leur présence dans l’espace social nous sont à présent mieux connus et familiers. Toutefois, ces travaux, aussi indispensables soient-ils pour notre compréhension des imaginaires culturels et politiques du temps, font souvent l’impasse, faute d’intérêt ou de sources, sur la diffusion des images et sur leur réception auprès d’un public dont nous savons encore trop peu de choses. Notre Journée d’études vise modestement, à combler ces lacunes en s’attachant principalement aux caractères matériels de la diffusion et de la réception des images entre 1780 et 1848, soit une longue période marquée par une intensification majeure des affrontements politiques qui deviennent déterminants dans l’élaboration du présent et de l’avenir des sociétés contemporaines.

Nous souhaiterions ainsi pouvoir apporter des éclaircissements sur le prix de revient et de vente des images, leur réseau et relai de diffusion, leur public et leur accueil. Nous voudrions également interroger les milieux artistiques qui les imaginent ou qui les créent, ceux qui les fabriquent ainsi que les marchands et les éditeurs qui les vendent. Que savons-nous des liens des images et des imagiers avec la presse, avec les éditeurs de journaux et tous les « rousseau du ruisseau » selon la formule consacrée ? Que savons-nous du public fervent de ces images, de leurs relations avec leur contenu, de la place qu’elles occupent dans leurs réflexions politiques et dans leur vie quotidienne ? On est ainsi conduit à s’attacher avec profit aux sources primaires qui, analysées, permettent d’envisager le prix moyen des images, les méthodes de leur diffusion et le public ciblé. Relayés par les journaux, les catalogues de ventes deviennent ainsi une source privilégiée tandis que le public peut être connu à partir du témoignage des lecteurs. Mais, les images peuvent elles mêmes être interrogées, en particulier celles qui représentent les boutiques d’estampes si souvent présentes dans le fond des gravures depuis les années 1780, notamment en Angleterre. La dissémination des motifs d’une image à l’autre, d’un médium vers un autre, peut être également révélatrice d’une diffusion et d’une lecture multiple des images et révéler la qualité ou la popularité de leur réception auprès de publics le plus souvent hétéroclites. Il s’agit là de quelques propositions de directions de travail qui n’ont rien d’exhaustif, et les communicants sont invités à imaginer leurs propres méthodes d’analyse permettant d’approcher une compréhension plus fine de la portée des images, sous toutes leurs formes, sur un public et de leur effet possible sur l’évolution des régimes politiques et des normes sociales en pleine mutation. On est ainsi conduit à réfléchir sur leur potentielle influence dans ces transformations.

Pour répondre à ces questions et ainsi donner quelques éléments d’appréciation de l’impact des images auprès de la société européenne de la fin du XVIIIe siècle et de la première partie du XIXe siècle, nous pouvons prendre appui sur nombre de travaux récents qui ont ouvert la voie en s’attachant par exemple à la diffusion des gravures ou de la littérature populaire entre le XVIe et le XIXe siècles. Concernant l’imprimé, une excellente synthèse[1] a été récemment publiée dans un ouvrage édité par Joad Raymond éclairant la production, par pays, par thèmes, formes et genres de la « littérature populaire » avant 1660. La gravure (sur bois) y est présente en particulier dans un chapitre rédigé par Helen Pierce[2] dans lequel l’auteure analyse la fonction, le type et le contenu des illustrations des ouvrages imprimés en Angleterre et en Irlande au XVIe siècle. Un autre ouvrage, plus centré sur la diffusion des images et des imprimés observés en longue durée peut être également d’une grande utilité[3]dans nos débats. On y perçoit à partir d’articles fondés sur l’étude de cas européens les moyens multiples de diffusion spécifiques de l’imprimé et des images, selon les pays, même si les divers mécanismes peuvent se retrouver ici ou là, à l’occasion. Apparait également dans plusieurs chapitres, le milieu des producteurs, les métiers, les procédés de vente, leur notoriété et éventuellement leur indépendance et leur prospérité. Le tout, appuyé sur des analyses relatives à trois siècles de production, forme un ensemble indispensable pour la connaissance matérielle de la diffusion des imprimés et des images en Europe et une source d’inspiration pour notre propre appréciation des choses. On pourrait encore citer l’article un peu plus ancien de Carol Gibson-Wood[4] sur la consommation des images à la fin du XVIIe siècle à Londres, étude qui à partir d’une source originale (les catalogues des ventes aux enchères) perçoit très finement l’importance accordée aux images dans les intérieurs bourgeois londoniens au lendemain de la Glorieuse révolution de 1688. On peut également y associer la thèse d’Eirween E. C. Nicholson sur les consommateurs et les spectateurs des images en Angleterre au XVIIIe siècle[5]. Il faut également tenir compte des nombreux ouvrages publiés et édités sous la responsabilité de Rolf Reichardt qui, associé à une équipe de chercheurs internationaux, a suggéré depuis une quinzaine d’années bien des pistes et ouvert bien des chantiers sur la diffusion de la gravure sous la Révolution et l’Empire en Europe et ainsi largement affermi notre connaissance dans ces domaines[6]. Enfin, on tirera encore profit de la lecture de l’ouvrage[7] passionnant d’Hendrik Ziegler qui a récemment réinvesti le dossier portant sur la propagande ou la manipulation des images sous Louis XIV, en entreprenant d’apprécier les retombées politiques des effets de communication et en s’intéressant de manière originale aux détournements, aux contre-images et aux débats contradictoires qui ont contribué à imposer des vues et des objectifs politiques souvent opposés : l’ouvrage permet ainsi d’envisager à la fois l’utilisation par Louis XIV de l’art comme moyen politique, mais également de déceler des changements d’orientation et de stratégie dans sa politique, en fonction en particulier des aléas de la situation internationale, et des objectifs poursuivis qui indiquent chez le grand monarque à la fois une volonté inébranlable d’affirmer sa souveraineté tout en tenant compte des exigences et des attentes de ses ennemis étrangers et de ses sujets.

Tous ses travaux, et quelques autres tout aussi méritoires mais que je ne peux ici tous citer dans cette courte présentation, représentent une socle de réflexion que nos propres débats et communications lors de cette Journée d’étude, ambitionnent d’étendre et d’enrichir.

Pascal Dupuy, Université de Rouen

pascal.dupuy@univ-rouen.fr

 

[1] Joan Raymond (ed.), Cheap Print in Britain and Ireland to 1660, The Oxford History of Popular Print Culture, Oxford, Oxford University Press, 2011, 672 pages.

[2] Helen Pierce, Images, Representation, and Counter-representation in Joan Raymond (ed.), Ibid, p. 263-279.

[3] Roeland Harms, Joad Raymond et Jeroen Salman (ed), Not Dead Things. The Dissemination of Popular Print in England and Wales, Italy, and the Low Countries, 1500-1820, Leiden, Brill, 2013, 358 pages.

[4] Carol Gibson-Wood, Picture Consumption in London at the End of the Seventeenth Centuryin The Art Bulletin, Vol. LXXXIV, n°3, septembre 2002, p. 491-500.

[5] Pour un résumé de ses travaux, voir son article : Eirwen E. C. Nicholson, “Consumers and spectators: The Public of the Political Print in Eighteenth-Century England” in History, Vol. 81, n° 261, janvier 1996, p. 5-21.

[6] Voir par exemple : (en collaboration avec Hubertus Kohle), Visualizing the Revolution. Politics and pictorial arts in late eighteenth-century France, Londres, Reaktion Books, 2008 et (en collaboration avec Wolfgang Cilleßen, dir.), Revolution und Gegenrevolution in der europäischen Bildpublizistik 1789-1889, Berlin, 2006, Hildesheim, Georg Olms Verlag, 2010.

[7] Hendrik Ziegler, Louis XIV et ses ennemis. Image, propagande et contestation, Centre Allemand d’histoire de l’art, Centre de recherche du château de Versailles, Presses universitaires de Vincennes, Saint-Denis, 2013, 409 pages

Tag(s) : #Débats Conférences Colloques, #Appels à communication
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