Guillaume Doizy, « Édouard Drumont et La Libre parole illustrée : la caricature, figure majeure du discours antisémite ? », Cahiers d’histoire. Revue d’histoire critique, 135 | 2017, 97-125.

Pour argumenter l’idée d’un rôle prééminent de la caricature dans la diffusion de l’antisémitisme, on avance généralement que les leaders du mouvement auraient très vite perçu le potentiel politique de l’image. Lors du renouveau antisémite de la fin du XIXe siècle, l’auteur de La France juive, Édouard Drumont, lance en effet, un an après avoir fondé le quotidien La Libre parole, un hebdomadaire illustré de caricatures. Il s’agit du premier journal antisémite satirique illustré publié en France, initiative perçue par l’historiographie comme emblématique d’une prise de conscience par les élites antisémites de « l’importance du dessin » dans le combat contre les juifs. Cette feuille, dans laquelle on retrouve des crayons illustres de l’époque tels Willette, Émile Cohl, Benjamin Rabier, Émile Bayard ou Alfred Le Petit, marque indéniablement une étape dans la construction, la diffusion et l’enracinement de la rhétorique caricaturale hostile aux juifs. Néanmoins, les conditions dans lesquelles émerge ce périodique, sa durée de vie assez courte (4 ans), l’absence de relance du titre en 1898 et 1899 au plus fort de l’affaire Dreyfus, interrogent sur les relations entre Drumont et la caricature, et plus généralement entre le mouvement antisémite et l’image satirique, voire même entre les élites et la caricature. Quelle a été la dynamique de la caricature antisémite avant l’affaire Dreyfus ? Quelle place La Libre parole illustrée tient-elle dans cette dynamique ? Quel regard portent les antisémites sur la caricature ? C’est à ces questions que nous chercherons à répondre, en nous intéressant plus spécifiquement aux publications lancées ou parrainées par le « pape » de l’antisémitisme, Édouard Drumont.

C’est avec La France juive, livre publié en 1886, que Drumont s’impose et donne une « impulsion définitive à l’antisémitisme en France ». L’auteur établit et popularise les bases de la doctrine antisémite, agrégat de trois courants porteurs d’antisémitisme au XIXe siècle : le catholicisme, le socialisme et l’antirépublicanisme, la question de la « race » tenant une place importante dans la doxa qui émerge. Rapidement, ce gros ouvrage, d’abord édité à compte d’auteur, suscite de nombreux commentaires et de vives réactions dans la presse, des duels, puis un véritable engouement de librairie. Le succès est tel qu’en février 1887 paraissent à la Librairie Blériot les quatre premières livraisons d’une version illustrée du texte, qui fera l’objet d’un gros volume de 954 pages l’année suivante. L’ensemble donne la part belle aux « vues, portraits, cartes et plans », qui laissent en fait très peu de place aux images relevant de la caricature. On peut signaler dans cet ensemble assez terne quelques exceptions : deux dessins allemands sous-titrés « types juifs » et une pleine page de Frédéric Régamey dénonçant la puissance financière juive. Rien de très agressif, rien de comparable aux dessins produits depuis 1885 par Adolphe Willette dans Le Courrier français, dont nous avons analysé par ailleurs le rôle moteur dans l’émergence de la caricature antisémite en France. À la « décharge » de Drumont et de ses collaborateurs, la presse est à l’époque quasiment dénuée de caricature antisémite, le dessinateur Willette faisant office de précurseur particulièrement convaincu et violent dans ses charges, mais très isolé. Willette a d’ailleurs publié en 1886, peu après le lancement de La France juive, un extraordinaire portrait de Drumont en croisé terrassant le judaïsme, attestant de l’admiration du dessinateur pour l’ouvrage et pour l’homme.

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Tag(s) : #News, #Analyses sur la caricature
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