Le site de la BNF publie deux longs billets consacrés aux "idées nouvelles" telles que s'en emparent les dessinateurs de presse suite à la révolution de 1848. Ces idées nouvelles sont incarnées par les socialistes utopiques et leurs nombreuses "lubies". Si Agnès Sandras contextualise avec brio le flux caricatural produit par les dessinateurs de presse contre ces novateurs politiques et sociaux, on s'étonne néanmoins du fait que jamais la sensibilité politique des dessinateurs en question ou des supports qui accueillent leur travail ne soit discutée. Or, cet aspect de la question n'est pas sans importance. Les cibles des dessinateurs sont avant tout déterminées par les rapports sociaux et par le fait que les dessinateurs s'identifient soit à la République "sage" et conservatrice, soit à d'autres formes de régimes antirépublicains mais nullement socialisant. En 1848, les dessinateurs révolutionnaires de 1830 qui soutenaient les révoltes ouvrières se gardent de soutenir les émeutiers lors des journées de Juin. La caricature, loin d'être alors un instrument de contestation ou d'émancipation, prône l'ordre contre le mouvement social.
D'où ce tir de barrage contre les socialistes utopiques, qui correspond alors à la sensibilité "sociologique" des lecteurs de la presse satirique. La presse satirique ne reflète pas les diverses opinions qui circulent dans la population mais les sensibilités dominantes ou capables d'attirer à elles des dessinateurs et de considérer le dessin de presse comme un vecteur potentiel valable. En France, le dessin de presse est d'abord et surtout dans la première moitié du XIXe siècle l'instrument du mouvement républicain (de plus en plus conservateur), un instrument qui, dans ses cibles et dans son ton, saura même s'adapter à la très grande presse industrielle jusqu'à fleurir en "une" des journaux quotidiens à grand tirage. En 1848, le dessin de presse socialiste utopiques n'existe hélas pas. Il aurait "parlé" tout autrement ne le fait le reste de la presse, des idées nouvelles.
L'article d'Agnès Sandras restitue avec grande précision la "réception" médiatique de certains des dessins satiriques commentés par la presse elle même, toutes sensibilités confondues cette fois, un regard journalistique et politique sur la caricature qui ne manque pas d'intérêt. En conclusion, l'auteure nous interroge sur le sens à donner à ces caricatures et nous invite à ne pas les juger comme conservatrices et réactionnaires, mais au contraire, comme porteuses d'un sens plus favorable. Agnès Sandras voit beaucoup d'ironie dans les dessins contre les "idées nouvelles", une ironie qui in fine les servirait au point de leur avoir permis de gagner en notoriété. Il faut néanmoins confronter ces dessins au reste des images publiées par ces journaux. En l'absence de dessins directement favorables aux socialistes utopiques, il nous semble difficile d'imaginer que le lectorat puisse voir de l'ironie dans l'ensemble des ces images à charge. Les dessins antisocialistes de 1848 favoriseraient une forme de "sacralisation" des utopistes, comme l'écrit Agnès Sandras. Si l'ironie de ces oeuvres semble ne pas avoir été goûtée par les socialistes utopiques eux-mêmes, la discussion vaut néanmoins que l'on s'y arrête.
Guillaume Doizy
Début de l'article d'Agnès Sandras :
L’année 1848 est celle d’un intense bouillonnement politique. Avec les trois journées révolutionnaires de février (22 au 24), la Monarchie de Juillet est renversée. Le 25, la République est proclamée et le gouvernement provisoire prend des mesures politiques et sociales concernant le suffrage universel, la liberté de réunion, la liberté de la presse, l’enseignement primaire gratuit et obligatoire, l’abolition de l’esclavage, le travail, etc. Les journées de juin (23 au 26), motivées par une crise économique et sociale, sont cependant réprimées dans le sang. Le 4 novembre, la Constitution de la Seconde République est promulguée. L’Assemblée (pouvoir législatif) et le président (pouvoir exécutif) sont élus au suffrage universel masculin. En décembre, Louis-Napoléon Bonaparte remporte largement l’élection présidentielle, soutenu par le « Parti de l’Ordre »...
1848 et la " foire aux idées nouvelles " (Partie I)
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