Sketches from an unquiet country - Canadian graphic satire 1840-1940, sous la direction de Dominic Hardy, Annie Gérin et Lora Senechal Carney, McGill-Queen's University Press, 2018, 304 p.

Ce livre se structure autour d'une idée majeure : la satire graphique jouerait un rôle fondamental dans la construction de l'identité canadienne...
Oui, mais je dois préciser que je ne cherche pas à faire de la satire graphique un élément comme tel de cette identité, quelle qu’elle serait : celle-ci serait construite - et peut-être faut-il dire carrément ‘bricolée’ - dans une durée qui s’inaugure avec la Confédération canadienne, en 1867, devenant forcément de plus en plus longue alors que les décennies se succèdent. Les institutions légales, civiques, économiques, politiques sont bien sûr mis déjà en place par les deux régimes coloniaux qui ont façonné l’idée et la réalité du ‘Canada’, la France puis la Grande-Bretagne, au gré des transformations sociales, économiques et politiques traversées par ces deux nations, elles-mêmes ‘auto-bricoleuses’ si je puis dire; mais au lendemain de l’autonomie canadienne, alors qu’on a déjà commencé à tricoter un récit qui tient compte de cette épopée déjà vieille de 250 ans, on se donne la tâche de penser, dire et définir ce qui serait une ‘identité nationale’ : travail toujours en cours, toujours contesté, renouvelé plus de 175 ans plus tard… Ma propre réflexion sur cette histoire a été formée à même mes études sur la satire graphique canadienne, et je n’ai jamais pu me libérer de l’idée – (dé)formation professionnelle sans doute – que le projet du Canada est lui-même un jeu, une variation sur un thème. Quand on creuse l’histoire de sa mise en place, on ne peut que se heurter aux ambiguïtés et déchirures qui marquent l’échiquier politique. On ne peut que s’étonner devant la construction romantique de cette histoire, de cette identité, qui ancre le Canada à la fois dans une modernité dynamique et dans un passé aussi inventé qu’il est réel, et qui masque, sous le projet économique florissant d’un autre pays de ressources naturelles réuni par un chemin de fer transcontinental, la dépossession radicale et brutale, génocidaire, des Premières Nations millénaires qui ont accueilli les sociétés colonisatrices au 17e siècle. Les luttes internes de la communauté européenne effacent les effets de la politique consensuelle qui met en œuvre cette dépossession des sociétés et des territoires autochtones. Depuis les débuts de la colonie britannique – les données sont moins évidentes pour la période française – on peut dire qu’on importe sur ces territoires tous les comportements sociaux dont la satire est un élément discursif très couru, qui permet d’articuler les conflits intrafraternaux de la communauté européenne : la satire graphique se met en évidence rapidement, bien qu’on n’en conserve que très peu de traces avant les années 1840; c’est donc une composante de l’arsenal dont on dispose pour traiter des positions conflictuelles dans le but de faire triompher une vision ou une autre de ce que doit être ce Canada en devenir. À partir de la Confédération ces conflits se réorganisent, entre autres, autour de projets de développement d’icônes nationaux – Miss Canada, Johnny Canuck, Baptiste Ladébauche. Les satiristes, actifs ou actives dans les lettres ou dans l’illustration, se livrent à cette aventure de plein gré, même s’ils sont en train de construire avec leur public le cadre de référence qui permet de donner à ces icônes en herbe un sens, une efficacité, une lisibilité (et une visibilité).


On parle souvent du "pouvoir" de la satire visuelle, sans pour autant parvenir à trouver des éléments tangibles sur lesquels mesurer ce "pouvoir", qu'il faudrait d'ailleurs définir. Pour vous, l'image satirique aurait surtout la capacité à diffuser des valeurs spécifiques, que l'écrit serait incapable de porter. Pouvez-vous préciser ?
Je suis bien d’accord qu’il y a un problème dans ce recours au concept de ‘pouvoir’.
Cette capacité à diffuser des valeurs spécifiques qui doivent être autrement « illisibles » constitue, pour moi, une hypothèse de recherche qui est déjà validée par l’exemple de la série « By-Town Coons » d’Henri Julien (Montreal Daily Star, janvier-mars 1899); j’y reviens plus loin. Ici, remarquons que ces images représentent de manière non-dénigrante, « illustrationnelle », naturaliste et non-caricaturale si on veut, les membres du gouvernement libéral de Wilfrid Laurier (premier ministre du Canada 1896-1911) en blackface minstrels. Julien, probablement libéral lui-même, francophone tout comme le premier ministre, doit livrer ces dessins pour son employeur, Hugh Graham, éditeur à la tête de l’élite commerciale anglophone-conservatrice du Canada. Les dessins qui résultent de la commande accompagnent des textes de ‘chansons’ qui tournent en (auto-)dérision les politiques de chaque ministre à son tour; à la faveur de ‘voix’ qui imitent le music-hall anglais de fin-de-siècle, ainsi que les ‘similipatois’ africain-américain et canadien-français qui sont vecteurs d’une moquerie dirigée contre la langue et l’accent de l’Autre. Et pourtant, ces images ne sont pas caricaturales en soi : Julien représente fidèlement les corps et visages qu’il connait si bien pour les avoir dessiné en reportage à partir de la galerie de presse du Parlement à Ottawa. L’humour dépend d’une confusion de genres; et je crois que dans ces interstices Julien fait clin d’œil à sa communauté linguistique (les francophones lisent couramment le Star, le contraire n’étant pas du tout vrai pour la communauté anglophone face à la presse francophone). C’est une réalité des démarches artistiques ‘subalternes’ : on déjoue l’opprobre qu’on nous invite à accepter en manipulant le médium pour faire passer un deuxième degré de message à notre propre communauté, de manière implicite.
J’ai donné ici un exemple que je connais bien et j’avoue, ce faisant, que je n’ai pas terminé le travail : il reste à ré-évaluer cette série, By-Town Coons, dont la teneur est tout de même fondamentalement raciste, en la mesurant face aux autres productions de l’époque, dont certaines sont issues des communautés africaine-américaine et africaine-canadienne. Néanmoins, dans la logique de colonialisme culturel il n’est pas difficile de reconnaitre dans la position de Julien une complicité très difficile. Y résiste-t-il ou pas? Comment déchiffrer son intention, surtout puisqu’il ne nous a pas laissé de texte écrit… c’est en portant une attention aux images une par une, série par série, qu’on y arrivera un jour.
 
Vous constatez une très grande volatilité des titres de la presse satirique au Canada depuis deux siècles et un tarissement après la Seconde Guerre Mondiale, spécificité qui caractérise également la France et de nombreux autres pays. Comment expliquer cette difficulté de l'image satirique à s'inscrire dans le temps long ?
Pour le Canada, on pourrait évoquer des « problèmes d’infrastructure » qui sont fascinants si l’on y réfléchit sous l’angle de cette construction de toutes pièces d’une nouvelle nation, de ce que pourrait être son identité, etc. Avant les années 1860, les technologies de l’impression de l’image illustrée sont en place mais on manque d’artistes-graveurs formés à la maitrise de l’illustration et du corps humain et donc capables de bricoler convenablement l’image satirique, qui dépend d’une virtuosité et d’une inventivité appréciables et suffisamment fertiles pour assurer une production soutenue d’images – dans la sérialité dont dépend la relation imprimé-public. Par ailleurs, ce public n’est pas non plus suffisamment large pour assurer la masse critique nécessaire à l’embauche rentable d’artisans de l’image, tel qu’on voit dans les métropoles européennes, ou encore étatsuniennes : grands ateliers d’artistes-graveurs capables de générer des images dessinées qu’on reporte ensuite dans le processus de gravure sur bois. La lithographie est présente au Canada presque depuis sa commercialisation initiale dans les années 1820, mais là encore extrêmement rares sont les artistes qui peuvent ou veulent s’en servir pour créer des images lithographiques à la manière des publications européennes. C’est dans ce contexte de marché fragile, embryonnaire, que les premiers illustrés satiriques des années 1840 adaptent (et détournent) des images gravées ou lithographiées en provenance des illustrés européens qu’on importe; tirant une partie de leur humour du fait que le public aura déjà vu telle ou telle image et l’aura donc reconnue à même son adaptation dans une version plus crue, déployée dans le texte de manière ironique. Suite à la Confédération de 1867, le Canada est au premier plan des inventions et brevets qui cherchent le graal de la reproduction photomécanique de l’image dessinée (et photographiée) et peut plus aisément soutenir un marché pour ce type d’image en raison de la substitution des artisans, trop chers et trop peu nombreux, par des procédés mécaniques. Mais la viabilité économique de ce type d’organisation du travail se déploie mieux sur les grandes surfaces des journaux quotidiens, ou encore des illustrés mensuels et hebdomadaires hybrides, qui injectent la caricature dans un mélange de reportage et de feuilletons illustrés. La viabilité du journal hebdomadaire satirique illustré est toujours fragile dans l’économie canadienne, et c’est ce qui explique l’éphéméralité fondamentale de ces journaux, à l’exception du Grip de Toronto (1873-1894, créature surtout d’un seul rédacteur-dessinateur-graveur, John Wilson Bengough) ou des variantes du Canard fondé par l’humoriste et journaliste Hector Berthelot en 1877; ce journal survit jusqu’à la fin des années 1930 mais a lâché son mandat satirique pour préférer surtout les gags drôlatiques. Les années 1920-1950 sont ainsi l’âge d’or de la satire graphique dans le journal quotidien (Arthur Racey au Montreal Star, Albéric Bourgeois à La Presse, Robert LaPalme dans Le Canada et Le Devoir), bien qu’une dernière efflorescence de journaux satiriques politiques de droite et de gauche émerge de Montréal et de Toronto dans les années 1930. Tout ‘pouvoir’ de l’image caricaturale dans ces décennies est surtout lié donc à la force de circulation du journal en question; le Star et La Presse se tiennent plutôt dans une distance confortablement moqueuse, pas trop bouleversante, vis-à-vis des situations politiques et sociales que vivent ses lecteurs. Les journaux Le Canada et Le Devoir sont pour des raisons différentes plus ‘engagés’, et on pourrait dire que tout ‘pouvoir’ des images satiriques qu’ils hébergent se mesurerait en évaluant la force de la réception de leurs discours dans la société, chose déjà un peu plus facile à entreprendre.
 
Vous avez choisi une "caricature" antisémite pour illustrer la couverture de l'ouvrage. Un seul article porte sur l'antisémitisme. Pourquoi cette image de couverture ? Quelle place tient l'antisémitisme dans la production de la satire visuelle au Canada depuis deux siècles ?
L’image a été tout d’abord la proposition de McGill-Queens qui y a reconnu un des plus frappants exemples de ce que nous (Annie Gérin et Lora Senechal Carney, mes corédactrices et moi-même) avions argué : que le Canada est loin d’être la société somnifère et sans histoire qui constitue un aspect assez fort de… la caricature qu’on fait des canadiens! – même au Canada. Il faut dire que dans le contexte des recherches sur l’histoire du Québec et du Canada depuis 40 ans, reconnaitre et rendre visible les programmes fascistes et antisémitiques qui ont été fort répandus durant les années 1930 n’a pas toujours été facile. Le texte de Josée Desforges est complémentaire au mémoire de maitrise qu’elle a réalisé au sujet d’Adrien Arcand, leader fasciste canadien, et de ses journaux satiriques illustrés – premier mémoire en histoire de l’art à traiter de ce sujet au Canada. Les recherches sont encore à faire pour pousser plus loin l’évaluation quantitative du recours à l’image antisémitique au Canada. Outre les journaux d’Arcand des années 1929-1934, nous avons une tradition qui se met en place dans les années 1900-1910, sans doute influencée (au Québec et au Canada français outre-Québec, du moins) par le sensationnalisme de l’affaire Dreyfus. Mais comme on le constate dans le texte de Jaleen Grove consacré à la figure du « Pretty Girl », le Canada anglais n’était pas en reste, un Arthur Racey pouvant allègrement créer un répertoire de stéréotypes tout aussi racistes pour le journal torontois The Moon (1901-1902). Tous les efforts de recherche que nous menons à l’UQAM depuis 10 ans ont permis d’ouvrir des chantiers qui ont encore besoin de beaucoup d’ouvriers et d’ouvrières pour nous aider à reconstruire cette histoire de l’image satirique canadienne pour comprendre comment se profile sa ‘géographie humaine’, pour ainsi dire.
 
Oncle Sam, Miss Canada, la caricature antisémite, allégories, cartoon éditorial... Dès le milieu du XIXe siècle, la satire visuelle gagne la plupart des pays marqués par la révolution industrielle, donnant naissance à une culture satirique mondiale. Quelles seraient les spécificités de la satire graphique canadienne par rapport au reste du monde ?
Une première spécificité assez remarquable est l’absence de grandes contributions qui portent la marque du crayonné lithographique – donc une différence d’ordre technique, mais aussi esthétique. En revanche, les années 1840-1870 sont caractérisés par un recours assez constant à la gravure sur bois, donnant une organisation formelle et thématique qui dépend beaucoup sur un traitement de l’image qui place l’accent sur la taille directe et la ‘violence’ de l’image, violence qui peut aussi se traduire dans le schéma métaphorique global – c’est le cas des variantes de La Scie à Québec, journal anti-confédération par ailleurs, où travaille le sculpteur Jean-Baptiste Côté. Avec moins d’efficacité coriace, John Henry Walker à Montréal travaille le bois debout pour revendiquer l’esthétique du journalisme illustré; avec le Canadian Illustrated News (1869-1883) et l’Opinion publique (1870-1883), revues hebdomadaires sœurs de l’étable du duo Georges Desbarats-William Leggo, on simulera cette esthétique en reproduisant à partir d’intermédiaires photographiques les dessins « simili-gravure-sur-bois-debout » dont Henri Julien sera l’artiste principal. Au plan thématique, la caricature canadienne est ainsi caractérisée surtout par sa volonté de participer pleinement au régime de ‘commentariat’ qui traduit pour son public une première réception des projets de construction de société que véhiculent chacun des paliers de gouvernement de la nouvelle Confédération, que ce soit au plan municipal (Montréal, Québec, Toronto), provincial (Québec, Ontario) ou fédéral. On guette la corruption, qui est de taille, car la confédération passe par un projet d’unification des territoires qui s’étendent de l’océan Atlantique (la Nouvelle-Écosse) jusqu’au Pacifique (la Colombie-britannique, qui se joindra à la confédération canadienne en 1871). Les partis politiques « ne faisant pas d’élections avec des prières », se disputent à la fois des programmes idéologiques (degré d’interventionnisme de l’état dans l’agriculture, la pêche, les ressources minières et forestières, le système commercial, le transport, les traités internationaux, etc) et (donc) des programmes de patronage : avec le pouvoir vient le placement des sous-ministres et employés des gouvernements, récompensant divers soutiens aux campagnes électorales…
 
En France, la réhabilitation de Daumier par les républicains à partir des années 1880 a eu pour effet de faire passer la grande famille de la caricature et du dessin de presse au second plan, focalisant les esprits sur cette figure emblématique et normative. Le Canada connait-il un même effet de focalisation sur un dessinateur phare ?
Les deux grandes figures de la fin du 19e siècle sont sans contredit John Wilson Bengough à Toronto et Henri Julien à Montréal. On l’a vu, Bengough gère presque seul la revue Grip qui s’inscrit dans une sorte de mouvement hétéroclite qui favorise la fierté nationale, les valeurs britanniques, l’aide sociale, la réforme des institutions, le protestantisme, l’abolition de l’alcool… Bengough peut louanger les Canadiens-français et les Autochtones une semaine, et les cribler d’insultes graphiques la suivante : donc cette question transversale de l’identité et des icônes qui l’incarnent (Miss Canada, Johnny Canuck, Baptiste, les premiers ministres et personnages politiques provinciaux et fédéraux) est largement restée, dans l’imaginaire canadien, façonnée à la mesure de l’abondante iconographie que nous a laissée Bengough sur une bonne vingtaine d’années. Comme son style s’apparente à celui de son héros Thomas Nast de Harper’s Weekly, cet imaginaire prend donc la forme d’un univers dessiné partagé sur les territoires de l’Amérique du nord.
Henri Julien a une pareille production prolifique : sa participation aux revues Canadian Illustrated News et Opinion publique résulte en un répertoire impressionnant d’images satiriques à la Punch de Londres : emblématiques, parlant de l’autorité de l’équipe éditoriale, souvent plus ou moins drôles : confortant le consensus qui règne dans la grande classe moyenne commerciale et civique qui d’une part produit et d’autre part lit ces publications. Julien a aussi desservi le Montreal Daily Star pendant 20 ans (de 1888 jusqu’à sa mort en 1908). Il a longuement illustré d’une plume très fraiche et virtuose, donnant dans l’esthétique noir-et-blanc de fin de siècle en abandonnant les codes simulés de la gravure, les jeux parlementaires des partis politiques à Ottawa. Sa caricature politique comme tel sur ces deux décennies se limite à une année, 1899, alors qu’il livre un répertoire assez éblouissant d’images qui mettent en scène les membres du gouvernement de Wilfrid Laurier déguisés en blackface. Ces images sont quasi-irrecevables aujourd’hui, à moins d’en faire l’objet d’une analyse contextuelle complexe, ce que j’ai tenté de faire par ailleurs à plusieurs reprises (j’y ai consacré mes études de maitrise, et j’y travaille de nouveau en 2020, à l’aide de recherches supplémentaires qui sont en cours).
 
Dans votre introduction, vous évoquez les grandes étapes de la recherche académique sur la satire visuelle. Cette histoire commence dans les années 1960 et prend un essor considérable à partir des années 1990. Quel est l'état de la recherche actuelle par rapport aux décennies qui précèdent ? Quels sont les projets en cours ?

Les grands projets qui ont vu le jour depuis mon établissement du groupe Caricature et satire graphique à Montréal (CASGRAM) avec mes étudiant.es de maitrise et de doctorat à l’université du Québec à Montréal en 2009 ont été consacrés à la mise en place de grands blocs de recherche première. Ainsi, CASGRAM a réalisé l’inventaire de 3300 dessins originaux de l’artiste Albéric Bourgeois (1876-1962) qui a travaillé à La Presse de 1905 à 1957 où, notamment, il a réalisé des milliers de dessins de ‘Baptiste Ladébauche’ homme-passe partout canadien français, pour qui il a créé une compagne, Catherine Ladébauche. Avoir à portée de main un tel corpus est extrêmement rare au Canada. Heureusement, la veuve de l’artiste a confié ce fonds auprès du Musée des beaux-arts de Montréal en 1970 et cette institution a été clé dans l’organisation du dépôt permanent à l’institution qui est aujourd’hui Bibliothèque et archives nationales du Québec (BaNQ). Les milliers de dessins n’ayant jamais été catalogués, CASGRAM a complété cette tâche en 2014, ayant organisé avec Micheline Cambron de l’Université de Montréal le colloque Quand la caricature sort du journal : Baptiste Ladébauche 1878-1957 à BaNQ en 2013, dont les actes ont été publiés chez Fides en 2015. Une des membres de cette équipe, Nancy Perron, consacre actuellement ses recherches doctorales à la figure d’Albéric Bourgeois.
En même temps nous avons commencé le dépouillement des revues satiriques illustrées publiées au Québec à partir des années 1840; ce travail est toujours en cours, mais il a déjà permis la publication d’un article de synthèse par Josée Desforges dans Ridiculosa (2014). L’organisation du volume Sketches from an Unquiet Country s’est fait en parallèle à ces projets, afin de nous ouvrir vers une recherche pan-canadienne; il reste à faire un ouvrage plus magistral d’histoire de la caricature, que ce soit pour le Québec ou pour le Canada, pour faire suite à la seule publication de ce type qui ait vu le jour jusqu’ici, le volume The Hecklers publié en 1979 par Terry Mosher (le caricaturiste Aislin, du journal Montreal Gazette, qui vient de fêter 50 ans de carrière) et feu Peter Desbarats, journaliste renommé canadien des années 1970 (et petit-fils de ce Georges Desbarats qui a publié le Canadian Illustrated News et l’Opinion publique). Les chantiers de recherche s’ouvrent actuellement sur deux axes : le premier tiendrait compte des contributions des femmes au développement de la satire graphique au Canada depuis la fin du 18e siècle, en privilégiant des études dans la littérature personnelle (journaux intimes, correspondances, scrapbooks, etc) et en élargissant les études socioéconomiques de la caricature au Canada qui permettraient d’identifier les femmes qui auraient joué un rôle dans l’organisation du travail de l’image. Le deuxième, non des moindres mais avec un potentiel à la mesure de son envergure, consiste à établir un projet de recherche comparative transatlantique qui permettrait de tracer la circulation des images (les motifs, le style, les sujets…) entre métropoles. Les recherches sur la presse satirique montréalaise des années 1840 montrent déjà qu’il y a adoption et adaptation de motifs tirés de la presse britannique et de la presse française; cette presse locale est donc une lecture, souvent une contre-lecture satirique qui dépend du transfert et du détournement de l’image importée pour trouver sa force humoristique locale, qui dépend à son tour de l’instabilité et des ambiguïtés qui parsèment la négociation des réalités coloniales.
 

Propos de Dominic Hardy recueillis par Guillaume Doizy

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