Albert Robida, De la satire à l'anticipation, Matthieu Letourneux, Claire Barel – Moisan, 360 p., Les Impressions nouvelles, 28 euros.
Les passionnés de Robida ne manqueront pas d’arpenter cet ouvrage universitaire sur un aspect spécifique et souvent loué chez le dessinateur : ses romans et illustrations satiriques relevant de l’anticipation. Robida est en effet aujourd’hui encore apprécié pour cette verve qui lui était si personnelle et qui, selon les regards postérieurs, semblent annoncer le courant littéraire, bd et cinéma du champ « visionnaire ». Ainsi, les dessins de Robida parus dans son journal La Caricature ou encore ses romans illustrés Le Vingtième siècle ou La Vie électrique fascinent par leur audace technologique, politique et sociale, le sentiment de prescience qu’ils nous donnent. Néanmoins, ces travaux de Robida passés à la loupe par une petite vingtaine d’auteurs le sont au travers du prisme de la raison : si anticipation il y a chez le « maître », c’est d’abord et avant tout dans le cadre d’un processus purement satirique, qui pousse Robida, par un jeu de déclinaison et de procédé visant à amuser son public, à systématiser, extrapoler, prolonger, bien des problématiques largement présentes dans la société de son temps. Ainsi, les auteurices évoquent le formidable élan d’inventions techniques d’une révolution industrielle en pleine maturité, comme source d’inspiration profonde de Robida, un feu d’artifice technologique qui se diffuse à l’époque dans le grand publique au fil des Expositions universelles qui connaissent alors un immense succès, et dans lesquelles le dessinateur s’engouffre comme spectateur, mais également comme acteur.
Énergie (életrique), moyens de transport (aviation notamment), technologies (militaire par exemple), faits de société (les revendications féministes) fascinaient l’époque et nombre d’auteurs se sont intéressés à la fin du 19e siècle à ces innovations qui impactaient, pour nombre d’entre elles, le quotidien d’une bourgeoisie de plus en plus large – le public de Robida justement.
Cet ouvrage permet de comprendre comment Robida était avant tout un maître médiatique, concevant avec ses éditeurs des objets propres à nourrir sinon susciter une demande sociale. Journaux, feuilletons, illustrations, romans illustrés, planches dans lesquels les thèmes se répliquent, se répondent se démultiplient, se prolongent dans une logique systémique, ont permis à Robida d’explorer et d’extrapoler le réel vers l’avenir, mais finalement comme nombre de ses contemporains ont joué du même mécanisme de déconstruction satirique, mais pour explorer dans une veine amusante les arcanes du passé.
Dans un jeu de miroir, le travail de Robida renvoie sans aucun doute aux nombreuses parodies historiques qui paraissent alors, s’amusant de revisiter les grandes périodes – ou les grands hommes - qui ont structuré et marqué l’Europe depuis l’antiquité.
Si la caricature est une charge, elle est également tout autant une amplification.