Le dessin de presse et l’école catholique, histoire d’une querelle

La récente polémique autour du Collège privé catholique Stanislas à Paris fait bien pâle figure au regard des crises qu’ont connu les 19e et 20e siècle autour de l’école. La lutte s’est quasi systématiquement focalisée sur l’opposition entre école publique et école libre, c’est à dire privée catholique.
C’est avec l’accession des Républicains au pouvoir à la fin des années 1870 que la querelle scolaire prend une ampleur inédite. Jules Ferry fait voter trois lois en 1881 et 1882 qui instaurent l’école primaire gratuite, obligatoire et laïque. D’autres lois sur l’université ou encore l’autorisation des congrégations religieuses, dont celles qui se consacrent à l’enseignement, accentuent la tension autour de ces sujets. Il s’agit de savoir qui, de l’Église ou de la République influencera les jeunes générations. L’Église catholique est en effet alors arcboutée contre la République, les deux enseignements pouvant apparaître comme totalement antinomiques. D’un côté une soumission à la foi et au Pape de Rome, qui multiplie au 19e siècle les encycliques hostiles à la modernité et aux valeurs républicaines ; de l’autre une République qui veut débarrasser les administrations des influences royalistes, bonapartistes et également catholiques en vue d’asseoir son pouvoir. 
La querelle prend des allures de crise politico-sociale dès l’année 1880 avec par exemple deux décrets gouvernementaux. Le premier a pour objet de supprimer la Compagnie de Jésus, c’est à dire les Jésuites à qui on reproche d’être trop soumis au pouvoir de Rome. Le second décret exige des congrégations religieuses qu’elles demandent une autorisation légale d’exister sous peine de subir le même sort que les Jésuites, avec à la clef le départ en exil de milliers de religieux. D’autres mesures, en 1901 puis surtout en 1905 avec le vote de la loi de Séparation des Églises et de l’État, entretiennent la tension autour de ces questions. 
La caricature, très vaillante à l’époque avec de nombreux journaux satiriques républicains ou hostiles à Marianne, s’en donne à cœur joie. Premier reproche formulé par les anticléricaux, la piètre qualité de l’enseignement catholique. Ainsi Daumier représente-t-il un curé prosterné devant Sainte Ignorance, incarnée par un âne bien sûr. En arrière-plan un éclair déchire le ciel dans lequel on peut lire «Instruction gratuite et obligatoire ». On est en 1873 et Daumier met en image le programme républicain qui prendra corps quelques années plus tard. En 1877, le républicain Léon Gambetta, futur président du Conseil s’exclame à la tribune de la Chambre des Députés : « Je ne fais que reprendre les sentiments du peuple de France en disant : le cléricalisme, voilà l’ennemi ».
De leur côté, les dessinateurs de droite retournent l’argument de l’ignorance à leurs adversaires, en présentant par exemple l’instruction comme soumise au darwinisme, pour qui l’homme, en descendant du singe, ne serait qu’une bête sauvage. Mais les dessinateurs réactionnaires insistent surtout sur le désordre, la saleté, l’immoralité de l’enseignement laïque, qui produirait une jeunesse dépravée et dangereuse, sinon révolutionnaire. Car les enseignants de l’école publique sont censés apprendre à leurs élèves la chanson l’Internationale ou les instruisent sur les bienfaits de la Commune de Paris. Une école soumise à la doctrine anarchiste « Ni Dieu ni maître », dans laquelle les élèves se révoltent contre leurs professeurs. Voilà la rhétorique des dessinateurs catholiques.
La caricature anticléricale de son côté cherche à discréditer les enseignants catholiques en fustigeant la brutalité de leurs méthodes, les punitions, les humiliations que subissent les enfants. La caricature recourt en conséquence à l’animalisation, en transformant les professeurs en ânes, et les élèves en oies toutes identiques, marchant au pas sous la férule du maître. Un autre argument apparait à la Belle Époque, celui de la pédophilie des prêtres qui serait omniprésente dans les écoles religieuses. Les dessins les plus frappants sont ceux qui représentent des curés déversant leurs bondieuseries via des entonnoirs directement fichés dans les crânes des enfants. Ou encore des crucifix à la pointe effilée enfoncés à coup de maillet dans la têtes des élèves !
À la Belle Époque, nombre de dessinateurs se radicalisent et embrassent les idées syndicalistes révolutionnaires, sinon anarchistes. Leurs caricatures renvoient dos à dos l’Église et la République en matière d’enseignement, toutes deux dénoncées pour leur objectif dissimulé de vouloir enrégimenter la jeunesse, la priver de liberté et viser à la rendre docile à toutes les autorités, religieuse ou laïque. 
Guillaume Doizy