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Dessin de Luz, Charlie Hebdo du 12 août 2009
Dessin de Siné et Loup, Siné Hebdo du 12 août 2009
Avant de nous plonger dans l’analyse du jour, un mea culpa et un petit coup de colère.
Le mea culpa d’abord : l’auteur de cette chronique a fauté, considérablement fauté la semaine dernière en commettant une belle erreur d’interprétation à propos du dessin de Siné et Large. Plutôt que de voir dans cette charge latrinaire l’écho d’événements marseillais, il fallait, comme nous l’a rapidement rappelé Jeddo, lire ce dessin à l’aune de révélations publiées par le Canard enchaîné il y a un an. A l’époque, le généreux Sarkozy s’était fortement intéressé à la mise aux normes du petit lotissement du Cap-Nègre (50 maisons sur 26 hectares entre Toulon et Saint-Tropez, tout de même !) dans lequel sa belle-mère possède une coquette villa. A l’époque, Sarko qui n’avait pas d’affaire plus importante à traiter, tenait à ce que le raccordement des demeures au tout-à-l’égout soit compris comme un effort des riches vers plus d’écologie. Le locataire de l’Elysée, prévenant, se voulait rassurant sur le coût des travaux, la « collectivité » (quel joli mot, dans cette situation) devant aider ces pauvres malheureux…
Cette anecdote nous ayant totalement échappé, nous avions, dans un bel exemple de cécité intellectuelle, interprété l’image à la lumière d’autres événements méditerranéens. Siné et Large, au moment où Sarlozy prenait quelques jours de vacances dans sa belle-famille italienne, avaient donc choisi d’exhumer ce croustillant scandale, faisant disparaître le bonhomme dans la cuvette d’un banal WC.
Dans l’analyse que nous formulions la semaine dernière, nous émettions quelques réserves à propos de l’intelligibilité du dessin de presse trop lié à une anecdote, trop en prise avec la « petite » actualité immédiate. Nous nous posions la question de savoir qui pourrait comprendre cette main à montre dorée dans les années à venir.
Voilà un bel exemple d’image très fortement contextualisée, qui ne laisse aucune marge à l’interprétation mais qui comporte le risque de l’incompréhension, ou, polysémie oblige, d’autres lectures parallèles.
Merci donc à Jeddo et aux vigilants amis qui nous auront remis sur les rails…
Coup de colère maintenant : la discussion animée par quelques internautes sur de supposés plagiats de dessins par Catherine, Luz ou d’autres, travaillant pour Charlie Hebdo, me parait totalement erronée. Certes, on retrouve de fortes similitudes entre certains dessins de presse publiés par des auteurs différents. S’agit-il pour autant de plagiats ?
Les auteurs de ces arguments prennent leurs lecteurs pour des imbéciles. Ils nous demandent d’imaginer que des dessinateurs très productifs depuis des années, furèteraient sur les blogs d’autres caricaturistes - eux-mêmes très en vue car travaillant, comme par hasard pour un journal concurrent, - dans le but de leur « piquer » des idées. Les dessinateurs de Charlie, qui connaissent bien l’animosité cultivée à leur égard, formeraient donc une race d’imbéciles sympathiques qui n’oublieraient pas de laisser des traces bien visibles de leur forfait, histoire de donner des arguments à ceux qui leurs veulent tant de bien…
Imaginer qu’un dessinateur soit influencé par un dessin et en reprenne certains éléments de manière plus ou moins inconsciente me semble dans l’ordre des choses. Mais penser que les dessinateurs de Charlie trouvent sur les blogs de leurs concurrents de quoi s’inspirer relève de la plus grande ânerie. C’est une manière assez peu intelligente de tenter de « démonter » son adversaire, méthode qui rejoint bien sûr la théorie du complot. Les dessinateurs de Charlie, dont on peut certes trouver les dessins moins drôles et moins percutants en ce moment, agiraient par ruse et malhonnêteté.
Amusons nous tout de même du fait que des dessinateurs de Charlie se voient accusés de plagiat, tandis que Siné, chaque semaine, pompe, sans se cacher, l’idée d’un de ses collaborateurs, pour la « une » d’un tout jeune journal qui ressemble pour beaucoup à son illustre confrère… Les défenseurs inconditionnels de Siné Hebdo n’y verront sans doute là aucune contradiction !
Les âmes charitables qui véhiculent de telles idées feraient preuve, à notre avis, d’une plus grande clairvoyance à montrer et démontrer la plus grande qualité des dessins publiés dans Siné Hebdo. Exercice certainement plus difficile…
Enfin, remarquons l’incidence d’Internet sur de tels raisonnements. En quelques clics, l’internaute peut aujourd’hui visualiser des dizaines de croquis publiés sur la toile (pas sur papier), mais qui, il y a quelques années, auraient été totalement invisibles au lecteur de journaux que nous sommes. Avec la multiplication des blogs, la probabilité de croiser deux dessins similaires nous parait aujourd’hui beaucoup plus grande, sans parler d’une homogénéisation possible des manières de retranscrire l’actualité par le crayon…
Nous avons signalé à plusieurs reprises des dessins publiés le même jour dans Charlie et Siné et comportant de fortes similitudes, sans que le plagiat paraisse possible à moins de sombrer dans de rocambolesques histoires d’espionnage !
Cette semaine, nos deux hebdos préférés donneront du grain à moudre aux sceptiques. En effet, les deux « unes » rient des mêmes rodomontades du sieur Sarkozy. Les amis de Siné Hebdo crieront-ils à la copie éhontée ?
Justement, la communauté de sujet qui rapproche les deux frères ennemis nous permettra, cette fois, de mieux cerner les petites nuances qui se font jour entre deux manières de dessiner, de comprendre l’actualité.
En pensant ne pas nous tromper cette fois, disons tout simplement que Luz d’un côté, Siné et Loup de l’autre, s’intéressent à la manière dont notre président de « tous » les français choisit de réagir au « scandale des bonus », à savoir les provisions réalisées par une grande banque (aidée par l’Etat ces derniers temps), pour rétribuer ses traders. Un milliard d’euros, rien que ça, quand des dizaines de milliers de travailleurs perdent leur emploi et se voient traiter de terroristes quand ils cherchent à obtenir de meilleures indemnités de licenciements !
Siné et Charlie publient donc sur le même sujet. De son côté, Luz recourt au procédé de l’infantilisation en optant pour un jeu d’opposition de taille et de couleur, tandis que Siné choisit la métaphore du dompteur face à l’animal censé obtempérer à ses injonctions. Là encore, la procédé de l’inversion de l’échelle de taille permet de mettre en valeur l’inversion des rôles et des hiérarchies.
Dans les deux dessins, le titre fonctionne sur le mode de l’ironie « Sarko se fâche », « Sarkozy reprend les banquiers en main », en totale contradiction de sens avec le contenu de l’image. Justement, les deux journaux explorent la fracture énorme qui s’opère entre le discours musclé du président ou de ses affidés, et les actes réels. Luz, comme Siné et Loup, opposent donc deux univers : celui du président de la République d’un côté à celui des riches pour Luz et des banquiers pour Siné, de l’autre. Les deux recourent à des stéréotypes, celui du yacht de luxe sur le pont duquel se prélassent deux milliardaires (cigare, cocktail et seins siliconés), et avec Siné celui du banquier (même cigare, costume trois pièces avec pantalon rayé, - voir ce que l’historien Pastoureau écrit sur les rayures). Face à Sarkozy, les riches ou le banquiers arborent l’indifférence ou carrément le mépris. Dans les deux dessins, la taille du bateau de luxe ou celle du banquier montrent la position sociale des uns et des autres, position relative à celle du président de la République présenté soit dans une position inférieure, c'est-à-dire dans le bas de l’image en opposition au « haut » occupé par les dominants, soit au même niveau, mais d’une taille réduite, et donc ridicule. Les rapports de taille, nous l’avons déjà souligné dans différents « matchs », révèlent, au moins dans l’ère culturelle chrétienne, les hiérarchies symboliques ou sociales. La caricature hérite donc de ce point de vue d’une logique fort ancienne mais, au départ, sans visée caricaturale.
Nos deux caricaturistes s’en prennent donc à Sarkozy, placé dans les deux cas à gauche (premier élément perçu dans une lecture de gauche à droite du texte et des images). Avec Luz, le président de la République a pris l’apparence d’un gamin barbotant dans sa bouée, aidé de deux brassières et jouant avec son pistolet à eau. L’infantilisation, que nous retrouvons déjà sous le burin de Lucas Cranach quand il met en scène des charges imaginées par Luther contre la papauté, « colle » à l’actualité estivale, celle des vacances en bord de mer. Elle permet surtout, dans le cas présent, de signifier l’impuissance du président qui « joue » littéralement, véritable gamin sans pouvoir face à des « grands » peu effarouchés par ses saillies moralisatrices et ses annonces de réunions.
Siné ridiculise également Sarkozy, mais par un jeu de métaphore sans doute plus rare et peut être quelque peu désuet, métaphore que l’on retrouve bien sûr déjà à la fin du XIXe siècle à une époque où le cirque fait florès : celle du dompteur. Le président, toujours assez difficilement reconnaissable sous la plume de Siné, arbore le costume traditionnel rouge et or, qui évoque bien sûr le cirque, univers de prime abord totalement antithétique des rapports de pouvoir. Comme Luz, Siné caricature le visage de l’élu. Quand Luz agrandit le front, et étire la bouche horizontalement, Siné allonge le nez, rappelant sans doute les mensonges de Pinocchio. Comme Luz (ou vis versa bien sûr), Siné joue sur les différences de taille entre le « petit » Sarkozy juché sur un podium, mais en plus chaussé de fortes talonnettes, et le banquier démesurément grand malgré sa position assise.
Dans des deux cas les expressions des visages participent fortement du sens de l’image. Le « Sarko » de Charlie semble totalement désabusé (et non en colère comme l’indique par ironie le titre), les yeux mis clos, la tête de côté, pris d’une grosse fatigue (conséquence de son malaise ?). Loup et Siné opposent Sarkozy et le banquier dans un jeu de postures contradictoires : le dompteur, raide et sérieux sur ses petites jambes, censé dominer le fauve qui lui fait face, demeure pantois face à la bête, totalement hilare et assise sur les fesses. Le banquier non seulement rit à gorge déployée, mais encore désigne le dompteur du doigt, dans un geste moqueur et humiliant. L’homme d’argent rit des rodomontades sarkoziennes, le président de la République se tenant, par surcroît, sur l’estrade sur laquelle se tient, généralement, la bête censée montrer les dents ou exécuter quelque figure spectaculaire.
On a là évidemment la symbolique du monde à l’envers, où le dominant devient le dominé, où l’animal prend le pas sur l’homme, où celui qui trône à la tête de l’Etat devient un petit enfant.
Du point de vue de l’espace et des couleurs, les deux dessins diffèrent fortement. Comme souvent, Siné dispose ses personnages principaux sur un aplat de couleur (ici ocre jaune, couleur du sable de l’arène ?) continu, seulement animé de quelques graphismes formant les ombres portées des individus et des objets sur un sol hypothétique. L’espace demeure indéterminé et clos, contrairement aux habitudes de Charlie Hebdo qui, très souvent, inscrit la scène de la « une » dans un espace « ouvert » qui réfère au réel. Deux traits horizontaux permettent à Luz de séparer le ciel de la mer, colorés dans deux nuances de bleu et de bleu-vert. L’horizon « sort » de l’image, tout comme le yacht, cadré en gros plan et dont on ne voit qu’une petite partie, la proue. Le hors-champ permet de suggérer la surdimension de la vedette pour milliardaire.
L’espace ainsi définit par Luz induit une lecture plus narrative. Il n’est pas difficile d’imaginer le petit Sarko enfilant son maillot sur la plage sur laquelle se tient certainement le lecteur du journal, un petit Sarkozy gonflant ses brassières, chargeant son jouet, nageant tant bien que mal vers cette immense vedette. Le milliardaire, cigare en bouche, tient un cocktail qu’il s’apprête sans doute à déguster. L’action s’inscrit dans une réalité qui laisse supposer un avant et un après, comme dans les strips coutumiers de l’auteur. Siné, pour sa part, élabore une image plus symbolique qui oppose deux stéréotypes dans un « choc » plus conceptuel et intemporel.
Luz met en image l’opposition de sens par un fort contraste formel et coloré : le bas gauche s’oppose au haut droit, le coloré (Sarko et sa bouée) s’oppose au blanc du bateau, l’arrondi tranche avec le droit et l’anguleux. Noter que chez Luz, le contraste de couleur le plus fort concentre le regard sur la personne de Sarkozy, artifice qui permet de contrebalancer visuellement le fort point d’appel que constitue la masse blanche formée par la coque du navire.
Le lecteur avisé aura sans doute analysé le cheminement de son regard : en « V » dans le dessin de Luz, en « Z » chez Siné et Loup.
Dans Charlie, comme dans Siné Hebdo, les éléments opposés demeurent liés par le geste d’un des protagonistes. Sarkozy chez Luz, avec le coup de pistolet à eau sur la coque, et le banquier avec Siné, qui désigne son pitoyable censeur. Dans les deux cas, les deux éléments sont tournés l’un vers l’autre, renvoyant l’un à l’autre : la bouée et le yacht se font face, le dompteur et son « fauve » également. Ce type d'image induit un fonctionnement circulaire et n'a pas intérêt à faire "sortir" le regard.
Remarquons une différence de taille : Luz « caricature » les riches notamment en attribuant à la femme une poitrine et à l'homme un cigare - démesurés, tandis que Siné épargne relativement le banquier, pour tourner ses flèches contre le seul Sarkozy.
Enfin, Luz tourne le regard de notre vedette élyséenne vers le lecteur, témoin actif des déboires du président, tandis que l’image produite par Siné Hebdo fonctionne en vase clos.
Pour terminer, signalons la forte imprégnation médiatique du dessin de Luz. Les séances de baignades du président de la République au Cap-Nègre ont en effet fortement intéressé la presse people (qui se laisse instrumentaliser avec plaisir pour ces choses-là), montrant complaisamment Sarkozy en short de bain comme un vulgaire vacancier, mais pour l’occasion seul face à des dizaines de téléobjectifs sur une plage privée, dans un lieu paradisiaque.
Luz fait ainsi coup double, du moins chez le lecteur que les vacances du président auront un tant soit peu intéressé.
Concluons tout de même : avec des moyens graphiques assez différents, dans des dessins fonctionnant tous deux sur le mode de l’opposition, Charlie et Siné Hebdo affichent quelques nuances sur la manière de présenter l’impuissance de Sarkozy face au scandale des bonus : Luz, avec son style graphique enlevé et une composition étagée, présente Sarkozy comme ne faisant pas partie du monde des riches et comme étant incapable de les atteindre, tandis que Siné, dans un style un peu « vieillot », insiste plutôt sur le grand éclat de rire du monde bancaire face aux cris d’orfraie du président de la République qui n’a de puissant que l’apparence des mots. Dans ce dessin, le banquier semble plus humain que les riches inaccessibles du dessin de Luz...
Guillaume Doizy, le 12 août 2009
Match Charlie / Siné Hebdo du 12 août 2009