Betrand Tillier, A la charge ! La caricature en France DE 1789 A 2000, Les Editions de l’Amateur, 2005, 256 p. 260 ill.
Le livre de Bertrand Tillier paraît en concomitance avec l’exposition du Musée d’Art et d’Histoire de Saint-Denis présentée sur le même thème et la même période, de novembre 2005 à fin février
2006. Ce jeu de dialogue entre deux médias sur le même thème mérite d’être souligné.
Le livre n’est pas un catalogue de l’exposition. Il se présente comme une réflexion sur la caricature, plus que comme une histoire de celle-ci. Construit sur un plan thématique, il exploite toutes les facettes de l’image satirique sur ces deux siècles et un peu plus. Ainsi retrouve-t-on la chronologie à l’intérieur des différents chapitres.
L’historien de l’art ouvre et ferme son livre sur une réflexion au fond sur la nature de la caricature comme « genre » mineur, par opposition à la peinture, « genre » majeur. Viennent ensuite trois chapitres sur « le métier de caricaturiste » en tant qu’il se constitue à part entière progressivement, émergeant de l’anonymat au XIXe siècle, prenant, surtout dans les périodes de crise, son caractère militant, servi, après 1881, par la loi sur la liberté de la presse, même si la censure fait des retours en force tout au long du XXe siècle. Particulièrement original, le chapitre sur « les postérités » analyse l’émergence du souci des caricaturistes, au XXe siècle principalement, de construire leur histoire personnelle et de s’inscrire dans une tradition. Les sept chapitres suivants s’attachent à l’examen des procédés de la caricature : « espaces chahutés », « déclinaisons », « marionnettes et guignols », « culture de la censure », « dégradations symboliques », « procédés graphiques et textuels », « registres parodiques ».
L’une des grandes forces du livre tient à l’usage polymorphe que fait l’auteur de sa très vaste culture. Il joue des caricatures, des caricaturistes, des journaux qui les publient, de la variété de ses supports (dessins, gravures, sculptures, marionnettes), promenant constamment son lecteur à travers les deux siècles qui nous séparent de la Révolution française. La richesse de la bibliographie (17 pages en fin de volume) comme l’abondance des notes (750 en incluant les ibidem) et l’index des dessinateurs cités forment un outil remarquable.
Non moins passionnante, l’illustration offre 160 images, qui vont de la vignette à la double page. Surtout centrée sur le XIXe et le XXe siècle, elle est servie par la qualité d’un lourd papier glacé qui permet une excellente reproduction du noir et blanc et plus encore des couleurs. L’auteur s’est manifestement efforcé d’exploiter les œuvres d’un maximum de caricaturistes, sans que le génie de Daumier ne noie dans son ombre ni les talents de ses contemporains ni ceux des dessinateurs du XXe siècle. Comme le texte, l’illustration permet un vaste parcours d’un monde multiforme. La reproduction en pleine page des « unes » de nombreux périodiques est une façon efficace de les mettre en valeur. Ainsi s’explicite au regard du lecteur qui feuillette l’ouvrage ce passage du dessin de l’artiste au dessin de presse, de l’objet unique à l’objet industriel, reproduit à des dizaines de milliers, puis des centaines de milliers d’exemplaires dans la presse des deux derniers siècles.
Si l’ouvrage de Bertrand Tillier est un livre savant, il se lit avec une curiosité toujours tenue en haleine par la richesse de la documentation, comme par la finesse des analyses.
Hélène Duccini