Lu sur le site du Matin, article de Christine Talos
" De Burki à Ben en passant par Mix & Remix ou encore Barrigue, les avis des dessinateurs sont très contrastés sur la pertinence des dessins de Charlie Hebdo caricaturant Mahomet.
L’hebdomadaire Charlie Hebdo a publié ce mercredi des dessins satiriques représentant le prophète Mahomet. Ces parutions interviennent après une semaine de tensions et de violences dans le monde
contre le film américain islamophobe «Innocence of Muslims» («L’Innocence des musulmans»). Ces caricatures ont provoqué une avalanche de réactions tant positives que négatives, au sein de la
classe politique comme sur la page Facebook de l'hebdomadaire.
«C'est l'actu, il faut y aller!»
Des avis très contrastés que l'on retrouve chez les dessinateurs de presse romands. Ainsi pour Raymond Burki, caricaturiste attitré de 24 heures, Charlie Hebdo a entièrement raison de publier ces
dessins. «Il n'y a pas de raison de ne pas faire d'humour sur ce sujet-là aussi. On doit pouvoir évoquer tous les sujets, même les plus délicats», explique-t-il ainsi, en rappelant en outre que
la provocation est la raison d'être du journal satirique français.
Quant à la question de publier ces caricatures dans un contexte actuellement très tendu, il défend encore une fois l'hebdomadaire: «C'est le sujet dont tout le monde parle en ce moment. C'est
l'actualité, il faut donc y aller!» Il reconnaît toutefois qu'il n'oserait pas aller si loin pour 24 heures. «Mais si j'étais à Charlie Hebdo, je n'hésiterais pas.»
Provocation «bête et potache»
Une opinion qu'est loin de partager son confrère Barrigue, qui a lancé la revue satirique romande Vigousse. «Je ne peux absolument pas cautionner la parution de ces dessins», affirme-t-il avec
véhémence. «Cela n'apporte strictement rien au débat. C'est de la provocation bête et potache qui ne fait que rajouter de l'huile sur le feu.»
Il se dit également effaré du niveau «cour de récré» qui règne actuellement: «C'est tu me donnes un coup, je t'en donne un à mon tour», estime-t-il. Le dessinateur conclut en affirmant que ce
n'est pas l'humour premier degré de Charlie Hebdo qui permettra de lutter contre l'obscurantisme qui menace les religions.
«Une fois ça va, mais plus...»
Philippe Becquelin, alias Mix et Remix, bien connu des lecteurs de L'Hebdo et des téléspectateurs d'Infrarouge de la RTS, rejoint l'avis de Barrigue. «Charlie Hebdo a déjà publié des dessins
là-dessus, il y en a eu d'autres ailleurs avant. Alors une fois ça va, deux fois ça passe, mais trois fois, bonjour les dégâts», lance-t-il. Je ne vois donc vraiment pas l'intérêt de cette
parution, si ce n'est de se faire mousser. Cela n'apporte rien au débat.» Il rappelle en outre que les musulmans, qu'ils soient extrémistes ou modérés, n'ont pas la culture du dessin de presse.
Ces caricatures ne servent donc qu'à choquer, selon lui.
Quant à dessiner lui-même le prophète, il hésite, même s'il est est totalement pour la liberté d'expression. «Avant l'affaire des premières caricatures, je ne savais même pas qu'un non-musulman
n'avait pas le droit de dessiner Mahomet», avoue-t-il par ailleurs. Mix et Remix juge en outre délicat de jouer avec la religion des autres, surtout quand on n'en connaît pas les codes.
Une provocation réfléchie
Enfin, Ben, l'un des deux dessinateurs attitrés du journal Le Matin, se dit lui partagé. «D'un côté, je comprends le geste de Charlie Hebdo. C'est une provocation qui invite à réfléchir et à rire
sur un sujet grave, à l'opposé du film américain islamophobe qui est un gros navet ne visant qu'à dénigrer les musulmans», explique-t-il.
Mais il est clair que les caricatures du journal satirique interviennent dans un contexte ultra-tendu. Cela ne fait donc que rajouter de l'huile sur le feu, estime-t-il, même s'il faut provoquer
parfois pour qu'il y ait du débat. «Dans l'absolu, je suis pour la liberté d'expression et nous devrions pouvoir dessiner n'importe quoi. Mais nous ne pouvons pas faire comme si une partie du
monde n'existait pas.»