Alors que la profession est morose, ta carrière est depuis quelques temps en phase ascendante !
En fait comme la plupart des dessinateurs, j’ai commencé à noircir les marges de mes cahiers de collège… J’étais fan du non sens et de l’anachronisme de Gotlib ou de Pétillon mais aussi déjà de la presse satirique. Au lycée, je me souviens que mon professeur de français et de philo était un ami proche du dessinateur Delambre qui habitait dans ma région et qui bossait déjà au Canard. Je me souviens lui avoir donné des dessins pour avoir son avis… Je me souviens aussi que j’avais une vraie admiration pour ce dessinateur qui fait partie aujourd’hui de mes amis.
Ensuite j’ai fait des années de journalisme aussi bien en presse locale que sur des radios. La radio, c’était aussi une grande passion. C’est d’ailleurs à cause
de la radio que j’ai raté deux fois mon Bac, trop occupé que j’étais à présenter des émissions sur une radio locale. Plus tard, j’ai même eu deux opportunités pour bosser sur NRJ et sur Fun Radio
à Paris… mais ma vie de famille et mon attachement à ma région m’ont finalement fait changer d’avis. Au début des années 2000, j’ai bossé dans la communication institutionnelle jusqu’à encore
tout récemment d’ailleurs (ndlr : début octobre, Dominique a quitté définitivement ses fonctions d’agent territorial pour se consacrer entièrement au dessin !).
J’avais un peu mis entre parenthèses le dessin et puis il y a 8 ans, j’ai repris un peu tout doucement… sur les conseils (avisés) de quelques collègues. Voilà comment tout cela est arrivé… Mes
premiers dessins rémunérés dans Psikopat, des remplacements réguliers pour le quotidien « L’Actu » de Playbac Presse et puis ensuite des
piges qui se sont multipliées… L’un de mes plus beaux moments dans ce métier, ce fut lorsque Marianne m’a pris mon premier dessin… et lorsque j’ai participé à la folle aventure Siné Hebdo. Un vrai bonheur.
Tout cela s’est fait doucement, tranquillement sans précipitations pour arriver aujourd’hui à pouvoir en vivre. C’est un privilège dont je tire une petite fierté parce que, si j’en suis arrivé
là, c’est grâce à la persévérance car je ne connais personne dans ce milieu. Voilà un bon conseil pour les jeunes qui débutent : persévérer, ne jamais baisser les bras…
Par quel miracle un dessinateur de province (je n’ai pas dit « provincial ») parvient-il à publier régulièrement à VSD ?
Pendant deux ou trois ans, j’envoyais régulièrement mes dessins d’actu à VSD… Sans aucune réponse de leur part, mais je continuais inlassablement… Et puis un matin, le rédacteur en Chef m’a appelé pour me proposer de collaborer sur la base d’un dessin d’actu hebdo. Et puis au printemps dernier, Geluck a pris sa retraite de la presse hebdo en Belgique mais aussi en France dans VSD. Ca a été un sacré coup de chance pour moi. Après avoir essayé une série BD, ils m’ont finalement proposé de succéder à Geluck. Désormais, j’ai donc deux dessins chaque semaine dans VSD, dont un « pleine page » en remplacement du Chat.
Le Point, VSD, la « grande » presse : quelles sont les exigences de ce type de support par rapport à des titres plus modestes,
plus spécialisés ou plus marqués politiquement comme La Mèche, Siné Hebdo ou Psikopat ?
Disons qu’avec Siné Hebdo, Psiko ou la Mèche, on a une totale liberté. Plus tu es
irrévérencieux, mieux c’est. Dans la presse satirique, disons qu’il n’y a une vraie liberté. Dans la presse « classique », quand j’envoie mes propositions de dessins, je sais où tel
dessin pourra être sélectionné et lequel n’a aucune chance d’être choisi. Parce qu’on sait quel lectorat on touche et on sait aussi ce qu’attendent de nous les rédacteurs en chef… VSD sera plus dans le dessin « people » alors que Le Point à une approche plus politique du
dessin.
Contrairement à d’autres dessinateurs, tu ne pratiques pas le crayonné ?
J’adore le style épuré, immédiat et un peu « déglingué » de mes dessins. Voilà pourquoi je ne sais pas faire un crayonné puis repasser dessus au propre ensuite… Mon trait perd en impulsivité, en dynamique. J’ai déjà essayé mais j’ai vite abandonné, mon trait n’était plus du tout le même. C’est pour cela aussi que je n’utilise pas le feutre pinceau. C’est d’une part difficile à maitriser et ma façon de dessiner, très rapide, très impulsive, ne se pratique pas avec ce type de feutre, à moins d’avoir une excellente maitrise. C’est dommage car j‘adore le rendu du feutre pinceau.
Tu dis toi-même que tu ne sais pas bien dessiner. Est-ce un atout ? Ça permet d’aller à l’essentiel ?
Mon dessin ressemble à un truc mal foutu et effectivement, quand je dois dessiner une voiture, un animal, je suis totalement paumé parce que je ne maîtrise pas…
Ca me rappelle une interview de Lasserpe qui expliquait qu’a début de sa carrière, ça le minait d’avoir une bonne idée et de ne pas pouvoir la réaliser parce que ne sachant pas dessiner ce qu’il
souhaitait. Moi, j’ai encore régulièrement ce souci…
Effectivement, j’ai toujours privilégié la vanne au dessin, dés le début. Alors bien sûr, mon style a évolué, j’ai pris quand même, et heureusement, une certaine aisance dans le trait, même si je
suis souvent en galère pour certaines choses. Mais ce côté pas abouti, un peu maladroit, je le revendique.
Certains de tes dessins ne sont pas retenus car trop « décalés » par rapport à l’émotion que suscitent certaines actualités. Globalement, que cherches tu à faire passer à travers un dessin de presse ?
J’ai toujours aimé déconner… Et le dessin, c’est une façon de poursuivre dans cette déconnade. Alors oui, ma priorité quand je fais un dessin, c’est de faire une vanne. La bonne conscience, la réflexion, ce n’est pas trop ma tasse de thé. Si en revanche, mon dessin fait réfléchir, pose le débat, alors pas de souci. Mais le côté « la guerre ce n’est pas bien », donneur de leçons… trop peu pour moi… D’ailleurs, le public est un peu comme ça aussi. Je le vois quand je publie sur mon blog ou sur ma page Facebook des dessins un peu trash, les réactions sont souvent les mêmes : les lecteurs sont offusqués « t’as osé faire çà ?!!!! »… avant de partir dans un grand éclat de rire ! D’ailleurs, c’est ce genre de dessins qui reçoit le plus de « like »… Ca a été récemment le cas pour un dessin sur le drame de Lampedusa… (dessin en haut de page) Ce qui n’empêche pas d’avoir de la compassion pour tout cela. Comme disait Beaumarchais : « je me presse de rire de tout avant d'être obligé d'en pleurer »
Tu organises un festival du dessin de presse à Berck sur Mer. C’est un vrai moment de rencontre avec le public ?
Ce festival a lieu tous les deux ans et c’est la ville qui en est à l’origine. Moi je ne suis là que pour gérer les « invitations » en relation avec les élus bien évidemment, même si j’ai « carte blanche », le budget étant le seul garde-fou qui m’empêche d’inviter tous les dessinateurs que j’aime ! Si ca ne tenait qu’à moi, le festival aurait lieu tous les ans avec quarante dessinateurs ! Là aussi, ce doit être mon côté « fan de ». Quand je croise un dessinateur, je suis plutôt dans une attitude de fan admiratif et impressionné que dans celle du collègue… Quand j’ai invité Tignous à Berck en novembre dernier, ca a été pour moi un moment très fort. Parce que c’est un type génial attachant et tout et tout et que je sui un fan absolu de son travail. Quand on croise des gens comme lui, on se sent tout petit, à mille lieux de leur talent.
Alors oui effectivement, ce festival a trouvé ses marques depuis quelques années après avoir été au départ un week-end de la caricature uniquement. On a choisi de basculer pour donner toute sa place au dessin de presse, en y associant des rencontres débats, des soirées cinéma thématiques, des expositions temporaires… Le public répond présent et apparemment les dessinateurs apprécient car ils demandent toujours à revenir ! Le prochain rendez-vous aura lieu à l’automne 2014 et on y travaille déjà.
Bon, et après VSD, tu vises la « une » du Monde ?
Ahahaha non non définitivement non, c’est une trop grande responsabilité. Et puis je crois que je ne saurais pas faire… Et d’autres dessinateurs déjà bien installés ont un talent phénoménal et auraient toute leur place pour succéder à Plantu. Je pense à un mec comme Aurel qui, pour moi, est l’un des grands du dessin de presse aujourd’hui. Et en, plus, il a déjà son rond de serviette au Monde !
Il y a trop de contraintes. En « Une » du Monde, la liberté du dessinateur est toute relative…
Propos recueillis par GD, le 15 octobre 2013