Charles Vernier (1887†), « Un nouveau jeu de bagues », Le Charivari, 9/12/1848.
Suite à la révolution de février, une Assemblée constituante répartit les pouvoirs politiques entre d’un côté une Chambre aux pouvoirs étendus et de l’autre, un président de la République auréolé
du suffrage universel masculin mais empêché de se présenter pour un second mandat ou de procéder à une dissolution de la Chambre. A la veille des élections des 10 et 11 décembre 1848, les
quelques journaux satiriques illustrés publiés en France, commentent la campagne en cours. Dans cet ensemble, un seul organe satirique peut se targuer d’une parution quotidienne, Le
Charivari.
Loin des flèches lancées contre Louis-Philippe et le Juste Milieu entre 1832 et 1835, le journal a adopté depuis l’éclatement de la révolution une position attentiste et très prudente. Malgré les
journées insurrectionnelles de février qui ont imposé une liberté d’expression de fait, les caricatures de mœurs restent prédominantes dans le Charivari, comme aux temps de la censure ! Le
journal cible avec récurrence les « Vésuviennes », régiment militaire composé de femmes. Farouchement sexiste, le journal fondé par Philipon cible également de manière récurrente dans le texte et
par l’image les fameux socialistes, les « démocrates », c'est-à-dire Proudhon, Pierre Leroux, Cabet, etc., préférant cogner sur sa gauche plutôt que de s’en prendre à celui qui devient très vite
le favori de l’opinion. Courant novembre néanmoins, un premier dessin témoigne des inquiétudes du journal face à Louis-Napoléon Bonaparte.
A quelques jours du scrutin, la tension monte d’un cran et le journal s'ingénie à recourir à la métaphore d’un « jeu de bagues » pour évoquer la situation politique. Les quatre prétendants,
Louis-Napoléon Bonaparte (de dos avec son bicorne), Cavaignac (képi militaire), Lamartine (héraut du suffrage universel, assis sur le cheval blanc ailé) et le démocrate-socialiste Ledru-Rollin
tout à fait à gauche (les candidats Raspail et Changarnier n’ont pas l’honneur d’être représenté sur un cheval de bois), doivent enfiler de leur baguette les anneaux conservés par la République
et ainsi avoir "droit à un superbe fauteuil". Bien sûr, le jeu se joue habituellement avec de véritables montures et le recours aux chevaux de bois transforme l’élection en une comédie risible,
malgré le sérieux de l’allégorie républicaine qui semble surveiller le bon déroulement du jeu. De toute évidence, les candidats en lice suscitent la risée générale, comme en témoignent les
expressions faciales des individus qui composent la foule en arrière plan et en contre bas de la scène.
En cette veille d’élection (dessin publié le 9 décembre), le prétendant bonapartiste juché sur son aigle en bois se trouve le plus proche de la victoire. Il distancera en effet nettement
Cavaignac (le « boucher de juin » que plébiscite la rédaction du Charivari) et Lamartine, deux candidats pourtant « républicains ».
Louis-Napoléon rafle au premier tour 75% des suffrages, de quoi faire pâlir les compétiteurs de 2012 !
Depuis 1848, et sauf exception, la caricature n'a pas manqué de commenter les élections présidentielles successives et de brocarder ceux qui se sont installés dans le fameux "superbe fauteuil".
Auteur d'ouvrages chez EPA/Hachette, Fayard, Flammarion, Hugo et Cie, Alternatives, Nouveau monde, etc., Guillaume Doizy propose des expositions (en tant qu'éditeur exclusif) pédagogiques et ...
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