Dessin de Daryl Cagle, 11 septembre 2001
Ancien journaliste, Christopher Lamb a soutenu en 1995 une thèse de doctorat en Sciences de la Communication sur les limites du dessin de presse aux Etats-Unis à l’Université du Tennessee. Cette recherche est devenue la base pour son livre édité en 2004, « Drawn to Extremes: The Use and Abuse of Editorial Cartoons in the United States »(Presse d'Université de Columbia). Christopher Lamb est professeur au Département Communication de l'Université de Charleston depuis 1997.
Dessin de Daryl Cagle, 13 septembre 2001
Dessin de Daryl Cagle, 17 septembre 2001
Propos recueillis et traduits par Catherine Charpin
Confrontés à une catastrophe telle que celle du 11 septembre, comment la plupart des dessinateurs de presse Américains ont-ils réagi ?
La plupart ont dessiné sans surprise des Statues de la Liberté pleurant, des Oncle Sam furieux et des aigles Américains affûtant leurs serres pour se venger des attentats.
Pensez vous que la réaction globalement patriotique qui a suivi les attaques du World Trade Center a tué l’esprit critique des dessinateurs Américains ?
Sans doute. Je ne peux parler que des Etats Unis, mais cette réaction est en partie compréhensible. Les attaques terroristes étaient si soudaines, si catastrophiques, et si déchirantes que l’on ne peut pas reprocher aux dessinateurs d’avoir réagi comme ils l’ont fait. Durant quelques jours ou une semaine. Ensuite il leur était nécessaire de revenir au registre satirique. Mais un trop grand nombre d’entre eux a continué à donner dans la sentimentalité mièvre et même dans la propagande, ce qui, bien sûr, n’est pas le travail du satiriste. Je pense que cette tragédie a séparé les dessinateurs de presse -adeptes de la satire- des purs illustrateurs. Joel Pett dessinateur au Lexington Herald Leader (Kentucky) a rappelé que le Président Bush avait demandé au peuple Américain de se remettre au travail à la suite des attentats. Par conséquent, Pett a recommencé à attaquer Bush parce que, dit-il, « mon travail c’est d’attaquer Bush ».
Vous écrivez dans votre livre qu'un dessinateur de presse (Ted Rall) avait dit que les symboles stéréotypés employés par les dessinateurs à cette occasion étaient ceux « de dessinateurs paresseux ». Que pensez-vous à cette affirmation ?
Je peux comprendre la réponse de Rall. Cela dit, je peux aussi comprendre les dessinateurs qui, après avoir regardé les avions s’écraser sur les tours jumelles et vu les images des victimes, ont décidé qu’ils avaient besoin de cesser pour un temps d’attaquer leur frères humains.
Certains dessins publiés aux Etats Unis ont-ils entraîné des ennuis pour les dessinateurs qui n’ont pas suivi le courant “politiquement correct” de mise à ce moment là ?
Je ne suis pas sûr que je caractériserais le fait de critiquer le gouvernement comme allant à l’encontre d’un discours "politiquement correct". Quiconque critiquait l'administration Bush allait simplement à l'encontre de l'administration Bush -et les critiques qui ont attaqué les caricaturistes l’ont fait simplement parce que le caricaturiste avait osé critiquer l'Administration Bush. Les États-Unis ont été fondés sur le principe qu’il n’était pas seulement permis de critiquer le gouvernement, mais qu’il était nécessaire dans une démocratie de critiquer ce gouvernement. L'Administration Bush et ses partisans d'extrême droite ont soutenu l’idée anti-américaine par excellence que toute critique de l'Administration Bush était anti-américaine. Un tel argument, toutefois, est historiquement erroné et va à l'encontre de la tradition américaine et de son idéal. L’administration Bush a énormément bénéficié de ce silence des critiques. Tout caricaturiste qui osait exprimer une opinion critiquant le gouvernement a reçu des emails haineux, n’a plus trouvé de débouchés pour ses dessins, et même, dans le pire des cas, a perdu son emploi. Dans mon livre, je note que Joel Pett après avoir fait un dessin critique envers Bush, a reçu un appel téléphonique d’une vieille dame qui crachait dans le combiné qu’il « aurait du se trouver au World Trade Center ». Et Pett d’ajouter : « tel est le pouvoir du dessin quand il se lâche ».
Y a-t-il eu de la censure après le 11 Septembre ?
Bien sûr, directement et indirectement. Beaucoup de dessinateurs se sont auto-censurés par peur des représailles. Dans d’autres cas, les éditeurs ont censuré les dessinateurs en ne publiant pas les dessins qui pouvaient provoquer la colère de leurs lecteurs. Dans les cas les plus extrêmes, l’administration Bush a attaqué des satiristes tels que Bill Maher, un humoriste qui passait à la télévision, et qui a perdu son emploi après avoir attaqué le gouvernement. L’administration Bush a clairement rendu impossible toute critique du gouvernement. La Maison Blanche a insisté pour que Ari Fleisher [le secrétaire général de la Maison Blanche, ndlr] dise aux Américains qu’ils devaient « faire attention à ce qu’ils disaient ». Quand un dessinateur travaillant pour un petit quotidien du New Hampshire a fait un dessin critiquant l’administration, Fleisher n’a pas hésité à attaquer le dessinateur, qui a reçu des menaces de mort et n’a plus trouvé de journaux pour publier son travail. L’Administration Bush a profité, de façon scandaleuse, de la tragédie du 11 septembre pour réprimer toute critique à son encontre.
En France les humoristes d’une émission de télévision satirique (Les Guignols de l’info) ont décidé de ne pas réaliser – et donc de ne pas diffuser – leur émission quotidienne le soir du 11 septembre. Est-ce que certains humoristes Américains ont aussi choisi de ne pas s’exprimer dans les jours qui ont suivi la catastrophe ?
Certainement, et je peux comprendre qu’ils ne se sentaient pas le droit de critiquer le gouvernement immédiatement après le 11 septembre. Je sais que Garry Trudeau, qui est l’auteur du comic trip génial « Doonesbury », a annoncé qu’il allait cesser pendant un temps de critiquer Bush. Mais après environ une semaine, il a recommencé de plus belle…
Comment Internet a t il changé l’attitude des dessinateurs confrontés à ce type d’événements ?
Cela leur a permis de mettre leur travail à disposition sans filtre éditorial. Cela peut avoir un intérêt. Mais cela peut aussi être négatif si le dessinateur ne cherche qu’à offenser. Ce genre d’attitude n’inspire pas les meilleures réalisations.
Quel devrait être le rôle des dessinateurs de presse dans ce genre de situation ?
Les dessinateurs sont supposés garder un regard critique sur ceux qui menacent la démocratie, que cette menace vienne de l’extérieur ou de l’intérieur du pays
Voir également les galeries de dessins "commémoratifs" du site Cagle cartoons et Courrier international