Jossot, Sauvages Blancs !, recueils d’articles de presse présentés et annotés par Henri Viltard, Finitudes, 176 p., 19 €.
Il faut parfois choisir entre mythe et réalité. Et il n’est pas certain que ce livre convienne aux admirateurs de Jossot. De Jossot caricaturiste, celui du Rire, de l’Assiette au Beurre ou encore du Diable. Du Jossot jetant ses anathèmes contre l’armée, l’Eglise, la justice, les « passementeries » et autres obscurantismes de la Belle Epoque. Un Jossot certes individualiste, mais révolté, ulcéré par certaines injustices. Ce livre présenté par le spécialiste Henri Viltard, réunit une série d’articles publiés par le dessinateur alors qu’il abandonne presque totalement la caricature, choisissant la Tunisie comme nouvelle terre d’exil. Si la première chronique republiée dans cet ouvrage date de 1911 et provient du Gill Blas, les autres articles de Jossot paraissent quasiment tous de l’autre côté de la Méditerranée, et notamment dans la Dépêche tunisienne « le quotidien le plus lu des français de Tunisie », comme on peut le lire en introduction. Jossot excelle-t-il autant par les mots qu’il ne l’a fait quelques années auparavant par le trait, cette fameuse arabesque cinglante qui le caractérise ? L’écriture de Jossot serait-elle « forgée par la caricature », comme nous invite à le penser Henri Viltard ?
Nous le signalions déjà dans un compte rendu rédigé à l’occasion de la republication du Fœtus récalcitrant, Jossot étale d’abord et avant tout ses aigreurs, se fait donneur de leçon et trop souvent nombriliste. Certes, le personnage affiche en toute circonstance une certaine originalité, mais ne cache pas sa profonde aversion pour le progrès, se montrant pour le moins et très souvent réactionnaire. Hostile à la technique, il rejette la science et les médicaments. Favorable à la barbe au nom des lois de la nature, il voit dans les glabres des personnages efféminés, manquant de virilité. Jossot fustige certes les colons, ces « sauvages blancs » ? Mais pas pour dénoncer la colonisation. Jossot, humaniste, se récrie contre l’enfermement des femmes arabes ? Oui, mais pour mieux justifier le port du voile, pour mieux justifier le contrôle des hommes sur les femmes.
Ceux qui admirent le Jossot anticlérical ne manqueront pas de serrer les dents à la lecture de cette chronique du 10 février 1913 dans laquelle l’ex dessinateur étale sa conversion nouvelle à l’islam. Sa lettre ouverte à Hassan Guellaty publiée dans Tunis socialiste du 8 mars 1921 résume bien l’absence de perspective qui caractérise Jossot. « Vous savez bien que je ne suis pas socialiste, explique-t-il. Je ne suis pas non plus communiste, ni républicain, ni royaliste ; je repousse toutes les étiquettes. Vous savez aussi que je méprise les dirigeants et que les dirigés me font de la peine ; que j’ai horreur de la politique, cette chose immonde ; que je n’ai jamais consenti et que je ne consentirai jamais à me salir les doigts au contact du bulletin de vote ».
Jossot pétrit d’aigreur avait réussit à la Belle Epoque à créer des images d’une très grande puissance graphique, même si les thèmes qu’il explore alors demeurent largement partagés par ses collègues les plus radicaux. Il se distingue des Grandjouan ou Delannoy par son absence d’empathie pour les opprimés, et son absence d’idéal social.
Retiré à Tunis, il continue à jouir d’une notoriété d’autant plus grande que le microcosme colonial ne regorge pas de personnalités. Sans cet immense talent de dessinateur, ses écrits n’offriraient aujourd’hui sans doute pas grand intérêt et ne seraient probablement pas réédités.
Nous conseillons néanmoins vivement la lecture de cet ouvrage, non seulement pour son introduction et son appareil critique passionnants (rédigés par un spécialiste qui s’identifie sans doute parfois un peu trop à son objet d’étude…), mais également pour le contenu de ces écrits, qui permettent de découvrir Jossot tel qu’il fut et non tel que le mythe a fait de lui. Nous sommes gré à Henri Viltard, en republiant les écrits de Jossot, de participer à cette nécessaire démystification.
Guillaume Doizy, mars 2013