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L’ESPOIR FRANÇAIS (1934-1944, Paris, France)

Notice extraite de Ridiculosa n°18, "La presse satirique française". 

 

Les organes de presse font le plus souvent office de marchandises « comme les autres » en ce qu’ils dépendent de sociétés commerciales qui se vendent et s’achètent, voire dont on accroît le capital dans des perspectives de développement. Enjeux financiers et enjeux de pouvoir (sur les opinions et les gouvernements) s’entrecroisent et n’épargnent pas les périodiques illustrés de dessins satiriques, particulièrement durant l’entre-deux-guerres. Dans cette période pullulent les hebdomadaires d’échos ou carrément de propagande politique qui constituent parfois de bonnes affaires. Ces journaux peuvent appartenir à des éditeurs plus ou moins importants (Candide, Marianne, Je Suis partout, etc.) ou à des sociétés plus discrètes, parfois détenues par des personnalités influentes qui ont, pour certaines, maille à partir avec la justice (Gringoire, Carnet de la Semaine ou Aux Ecoutes).

L’Espoir français, illustré des dessins d’André-René Charlet notamment, constitue un cas d’école. Fondé par Georges Servoingt le 16 février 1934 (16 pages, 15x27cm puis 21x27 à partir de 1937), il prend la suite de L’Animateur des temps nouveaux. Ce dernier titre, que dirige Louis Forrest[1], paraît entre 1926 et 1933 et présente la particularité d’être broché au départ dans le sens de la longueur. Servoingt, conférencier politique à ses heures et ancien administrateur de L’Animateur, se montre résolument hostile au Front populaire, anti-marxiste et nationaliste. La revue prend la défense de la petite épargne contre la puissance de l’Etat, fait l’apologie du natalisme. On la dirait aujourd’hui poujadiste. Comme de nombreux journaux depuis la Belle Epoque, L’Espoir français se conçoit comme un organe de propagande, en appelle incessamment à l’activisme de ses lecteurs pour diffuser la bonne parole autour d’eux, se félicite de sa supposée influence, de son rayonnement. La propagande économiste et patriotique, fondée sur la nécessaire entente entre les classes sociales, constitue une véritable obsession de Servoingt qui s’en explique lors d’une causerie en direction de l’élite protestante[2].

Le journal dépend de la « Société anonyme de publicité et de propagande » créée en 1934, autrement dit du « Groupe Servoingt-Espoir français », qui a absorbé l’agence de presse Custos. La Société comprend dans le capital une belle fourchette de partenaires, décrits ainsi par une publication des années 1930 : « banques, grosse métallurgie, assurances, fabrications de guerre, mines, groupements patronaux ». Les publicités en couleur et dessinées, pleines pages, reflètent très clairement ces liens avec le grand capital : Compagnies de chemins de fer, grands magasins, Saint-Gobain, Compagnie Générale Transatlantique, Mutuelle Générale du Mans, Ateliers d'Aviation Louis Bréguet, etc.

Les différentes augmentations de capital laissent penser que L’Espoir français coûte cher et rapporte assez peu. Cher à imprimer, à cause de la couleur omniprésente non seulement en couverture (parfois trois couleurs), mais aussi en pages intérieures, ce qui constitue une originalité pour la période dans la presse illustrée de dessins. Si Charlet prédomine (avec son style inspiré de Paul Iribe), on relève d’abord quelques artistes déjà présents dans L’Animateur des temps nouveaux comme Léon Blot, Gazan[3], Marcel Prunier et Luis, auxquels succède en plus de Charlet, Phil notamment, que l’on retrouve également en « une » du très droitier Je Suis Partout. Publiant des numéros spéciaux thématiques, l’hebdomadaire agrandit son format en 1935, la maquette évolue. Le journal n’est plus imprimé sur machines typographiques, mais « sur rotatives off-set », avec une « présentation plus aérée, plus moderne ». Dans un esprit propagandiste, Servoingt édite au moment des élections législatives de 1936 une série de 7 tracts en « trois couleurs », illustrés de charges percutantes accompagnées du slogan « Votez contre le Front populaire ». L’hebdomadaire utilise les illustrations (satiriques ou non mais réalisées par les mêmes dessinateurs) de manière particulièrement intelligente pour rendre attrayants des documents statistiques ou des articles informatifs et permettre des comparaisons visuelles convaincantes. De leur côté, les dessins politiques recourent régulièrement à des mises en scène en diptyque permettant de montrer un « avant » et un « après » ou de distinguer le « bon » du « mauvais », et ainsi d’emporter l’adhésion du lecteur. Les charges flétrissent les dirigeants du Front populaire, et tout particulièrement ceux du Parti communiste, accusés de détruire l’économie du pays. Comme dans Le Témoin de Paul Iribe, le symbole communiste de la faucille et du marteau est opposé à la cocarde tricolore omniprésente. Cette confrontation d’emblèmes considérées comme contraires structure visuellement bien des pages du journal.

L’Espoir français cesse de paraître pendant quelques mois en 1940 avant de retrouver le chemin des imprimeries en zone libre. Il adhère à la Révolution nationale, se fait pétainiste et sert de porte-voix au régime de Vichy à tel point que la fameuse francisque est insérée entre « L’Espoir » et « Français » en couverture de l’hebdomadaire. Le journal est alors imprimé à Lyon ou à Clermont-Ferrand, tandis que ses locaux se situent à Vichy. Sous l’Occupation, L’Espoir français ne recourt plus qu’exceptionnellement au dessin satirique. Il cesse de paraître en juin 1944 après 454 numéros.

 

Guillaume Doizy

 

Pistes bibliographiques :

 

Roger Mennevée, « Les dessous de la presse réactionnaire », Les Documents politiques, diplomatiques et financiers n°11, novembre 1936.

 

Christian Delporte, Les Crayons de la propagande, Paris, CNRS, 1993, 223 p.

 

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[1] Journaliste et littérateur, successeur d’André Tardieu au Conseil Général de Seine et Oise.

[2] Gerorges Servoingt, De l’efficacité de la propagande pour le redressement de l’esprit, La Cause, Carrières-sous-Poissy, 1936. Reproduction d’une allocution prononcée au déjeuner de « La Cause » du 30 octobre 1936.

[3] Décédé en 1960.

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