La « crise » frappe sévèrement l’Espagne, pouvez-vous nous décrire en quelques mots la situation ?
KAP : Pour l'Espagne c'est terrible : hausse record du chômage, fin des crédits aux ménages et aux enterprises, fermeture d'enterprises, nombreux cas de corruption, inefficacité du gouvernement.
L'éclatement de la bulle immobilière a balayé une grande partie de la société, et comme si cela ne suffisait pas, la situation sert d'excuse aux gouvernements (très à droite) pour couper les
droits sociaux, droits du travail, droits à la santé, à l’éducation...
Les dessinateurs de presse subissent-ils de leur côté cette crise ?
Kap : Tous les citoyens souffrent de la crise, et les dessinateurs également : réduction de salaire, licenciements, médias menacés de fermeture... L'Espagne n'a jamais eu une forte industrie de
l'édition et la situation des dessinateurs a toujours été précaire ...
Dans quels journaux espagnols trouve-t-on les dessins les plus engagés contre la politique d’austérité du gouvernement ?
Kap : Comme d'habitude, les médias idéologiquement situés à gauche sont plus critiques, comme c’est le cas avec les dessinateurs de El País (El Roto, Forges, Peridis), ou dans le journal Público
récemment disparu, avec une partie des dessinateurs les plus critiques (Manel F., Alfons López)...
En France, le dessin de presse se situe plutôt à gauche (depuis la mort de Faizant, il n’y a plus de « grand » dessinateur de droite), est-ce le cas en Espagne ?
Kap : Non. En Espagne, le dessin satirique n'est pas tellement enclin à la gauche comme en France. Il y a une grande quantité de caricaturistes qui soutiennent la politique de la droite
espagnole. Peut-être aussi, parce qu'il ya plus de médias proches de cette droite. Il ya deux semaines est mort Mingote, le grand dessinateur espagnol de droite, qui publiait dans ABC depuis près
de 60 ans. Mais par rapport à quelques-uns des dessinateurs de La Razón, ou La Gaceta, Mingote pouvait passer pour un révolutionnaire, c’est tout dire !
Certains dessinateurs seraient nostalgiques du franquisme?
Kap : Il ya peu d'artistes qui se disent ouvertement franquistes. Mais certains prônent ouvertement les principes de ce type de régime ; ils défendent un révisionnisme historique qui conclut que
le franquisme était, en somme, une période positive. Dans leurs dessins ils refusent la loi de mémoire historique. Ils chargent le juge Garzon -condamné il ya quelques mois pour avoir voulu juger
le régime pour crimes de guerre-, ou attaquent le retrait des statues de Franco et les symboles franquistes dans l’espace public.
Quel peut-être le rôle du dessinateur de presse face à cette crise ?
L'artiste doit aider la société à surmonter ses peurs. À surmonter la peur de penser. À surmonter la peur de lutter pour la défense de ses droits. À surmonter la peur de rappeler que les
politiciens doivent être au service du public et non l'inverse. Et il ne faut surtout pas que l'humour soit utilisé pendant la crise pour anésthésier et distraire les citoyens de la situation
sociale. L'humour doit être puissant comme un acide, il doit être l'étincelle qui allume la flamme de la résistance !
Avec 45 dessinateurs, on vient de réaliser un livre "contre” la crise. Il s’agit d’un livre solidaire dont les
bénéfices sont versés à une fondation qui travaille avec les sans-abri. Ce sont des dessins contestataires sur la situation dans notre pays. On y trouve des caricatures de tous les dessinateurs
des grands journaux, des jeunes dessinateurs qui travaillent dans des magazines ou dans la presse regionale. Cliquer ici pour voir quelques dessins
Dans cette mission de défense des droits sociaux et de lutte contre les effets de la crise sur les classe populaires, quel peut-être le rôle de l'association Cartooning for Peace à
laquelle vous appartenez ?
Kap : En Espagne, sauf en Catalogne, on ne regarde pas assez vers l'Europe. La langue nous rend plus proche de l'Amérique latine. Et des initiatives telles que la Cartooning for peace ont encore
peu d'impact sur notre société. Mais je pense que CFP peut être crucial pour aborder les questions qui ont divisé la société espagnole, comme le terrorisme de l'ETA, par exemple.
Dans les dessins que vous réalisez pour Siné Mensuel et avant cela pour Siné Hebdo, vous vous êtes fait la spécialité de dénoncer les patrons, les très riches, la bourse et les grands
actionnaires. Vous définissez vous comme un dessinateur engagé et militant ?
Kap : Tout le monde est engagé et militant de quelque chose... Je me considère comme militant du bon sens. Je suis un engagé des causes perdues, toujours en faveur du plus faible. Dans le jeu
entre droite et gauche, je suis contre le droite, bien sûr... mais je ne sais pas si je suis avec la gauche... Les partis de gauche jouent le jeu politique en suivant les règles établies par la
droite. Moi, je veux qu’on change les règles! La plupart des partis européens de gauche, quand ils arrivent au pouvoir, se comportent comme des partis de droite un peu plus civilisés, mais non
comme de vrais partis de gauche... Il faut vraiment changer le système, mais ce n'est peut-être qu'une utopie inaccessible, non ?
Avril 2012