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LE PELERIN (1877-…, Paris)

Notice extraite de Ridiculosa n°18, "La presse satirique française". 

 

A la fin du XIXe siècle, la Maison de la Bonne Presse des Assomptionnistes domine la publication de titres périodiques d’obédience catholique, avec une trentaine de titres dont les plus fameux sont Le Pèlerin et La Croix. En janvier 1877 paraît le tout premier numéro du Pèlerin rénové par le Père de Paul Bailly, qui cherche à transformer un modeste bulletin hebdomadaire de liaison entre groupes de pèlerins créé trois ans plus tôt en une revue attrayante et populaire. Bailly, sensible au rôle de l’image dans la mission apostolique, accorde une large place à l’illustration dans son hebdomadaire et s’intéresse également aux vignettes comiques à tonalité plus ou moins politique. Adoptant la couleur en 1896, Le Pèlerin (19x27cm) tire alors à 140 000 exemplaires (presque 200 000 en 1900[1], 450 000 en 1912) et diffuse l’idéologie catholique dominante du temps, une idéologie mâtinée d’antisémitisme, d’anti-maçonnisme, d’hostilité à la laïcité et à la République.

Dans les débuts et par souci d’économie, Paul Bailly achète à peu de frais des bois gravés et des clichés anciens à des revendeurs d’occasion. Quand, avec son fameux article 7, Jules Ferry ouvre les hostilités contre l’Eglise catholique, l’hebdomadaire invite quelques dessinateurs à répondre aux « ennemis de la religion » avec des vignettes disséminées dans le journal. Celles des premières années ne sont pas signées, puis paraissent des dessins de Lucien Thomin, Guydo et également Henriot. Contrairement à ce qu’on peut lire[2], il semble bien qu’Achille Lemot (1846-1909[3]), natif de Reims et présent dans la presse satirique depuis la fin du Second Empire, ne réalise ses premiers pas au Pèlerin qu’à partir de la fin des années 1880. Alors qu’il gravite encore autour du Chat noir, Lemot rencontre Paul Bailly[4] qui l’invite à travailler pour Le Pèlerin. En août 1891, l’hebdomadaire de la Bonne Presse publie des vignettes d’abord non satiriques signées « AL ». L’année suivante, le dessinateur paraphe certaines de ses œuvres, dorénavant plus nombreuses, « A. Lemot ». En 1894, lorsque la revue décide de publier une illustration pleine page en couverture, puis finalement en 4e de couverture pour laisser à la vue de tous le titre agrémenté de l’image de la « sainte vierge », la rédaction ne se tourne pas encore vers Lemot, mais vers Montégut, qui réalise pendant quelques temps l’illustration de dos. Ce dernier emploie un style illustratif (proche de celui de Meyer pour le supplément du Petit Journal) ou parfois mêle deux rhétoriques très différentes : celle de l’imagerie pieuse à celle de la caricature politique. Dans un jeu d’opposition manichéen il fait s’affronter l’allégorie de la Foi aux adversaires des catholiques : francs-maçons, panamistes, parlementaires et autres juifs.

Prenant la suite de Montégut, Lemot devient à partir de décembre 1895 le caricaturiste attitré du Pèlerin et ce, jusqu’à sa mort en 1909. Par ses caricatures, il donne à l’hebdomadaire l’image d’un organe de combat. Il défend la cause cléricale par le crayon avec virulence, dans une veine antisémite et antimaçonnique. Il inscrit son travail dans la droite ligne de ses dessins produits à partir de 1885 pour un journal du Nord d’obédience catholique et également illustré, Le Lillois.

Comme l’indique avec complaisance Abel Fabre dans Le Mois littéraire en 1908, « Lemot est une sorte de journaliste. Son œuvre artistique est autant du journalisme[5] illustré que de la caricature. Il commente, lui aussi, le fait du jour, mais en humoriste qui manie, au lieu de la plume de l'écrivain, le crayon du dessinateur. [6]»

Après la mort de Lemot en 1909, le Pèlerin continue à dédier sa 4e de couverture à la caricature politique, et ce, bien au-delà de la Première Guerre mondiale, c'est-à-dire tout au long de l’entre-deux-guerres. Les caricatures, truffées de références au diable, ont pour fonction de désigner au lecteur les « ennemis du Christ », dans une vison manichéenne et brutale du monde où s’opposent souvent le bon peuple et les mauvais parlementaires, Jésus et les puissances du mal, le pauvre contribuable et le juif cupide, le bon chrétien et le mauvais maçon. Dans ces charges, deux systèmes graphiques cohabitent : les dessinateurs magnifient les « amis » en recourant à des procédés propres à l’imagerie religieuse et fustigent les « adversaires » par le recours à une rhétorique dégradante et caricaturale. Dans les années 1920 et 1930, avec des dessins de Grand’Aigle (Henri Genevrier, affichiste et illustrateur) puis de Gabriel Gobin notamment. Pour le journal en 1937, Gabriel Gobin « tient chez nous une place enviable ! celle de Lemot jadis. Une rude et difficile place ! Corriger sans blesser, défendre l'Eglise sans être partisan [sic!], faire sourire, mais aussi donner de claires leçons d'un coup de crayon ou de pinceau... Hier collaborateur au Sel, aujourd’hui à la Jeunesse ouvrière et au Monde ouvrier, on sait combien ses pages synthétiques sont aimées ».

Dans l’entre-deux-guerres, les caricatures du Pèlerin visent l’URSS et le communisme en se montrant favorables au fascisme, bien qu’hostile à l’Allemagne nazie. La revue se réjouit de la victoire de Franco sur les républicains espagnols.

Après 1918, l’hebdomadaire s’illustre également de photomontages où se combinent éléments photographiques et parties dessinées, dans des compositions très dynamiques. Le Pèlerin de l’entre-deux-guerres, avec ses illustrations et ses dessins d’actualité mordants et de qualité, continue de constituer un organe de presse extrêmement séduisant et très efficace dans sa propagande par l’image. A cette époque, même dans les journaux destinés à un public familial et bien pensant, on n’hésite pas à employer la caricature et son langage excessif. Ce rapport à la satire visuelle évolue après 1945 puisque Le Pèlerin privilégie dorénavant la bande dessinée au détriment de la caricature.

 

Guillaume Doizy

 

CC 62389

Dessin de Montégut, 1894

 

CC 28562

Lemot, 1904

 

CC 28578

Lemot, 1904

 

CC 01894

Brousset, 1911

 

CC 32522

Jean Mèr, 1921

 

CC 30908

1934

 

CC 75765

Gabriel Gobin, 1937

 

CC 39054

Portraits des dessinateurs du Pèlerin en 1937 :

Moritz
Guignoux
Grand'Aignle Genévrier
Damblans
Lecoultre
Mosdyc
Brasseur
Simonnet
Gobin
Pic, alias Cip ou Tetras

 

CC 75769

1937

 

CC 31692

Trouvé, 1949

 



[1] Yves-Marie Hilaire, « Paul Féron-Vrau, directeur de ‘La Croix’ (1900-1914) » in Cent ans d’histoire de La Croix 1883-1983, Colloque sous la direction de René Rémond et d’Emile Poulat, mars 1987, Le Centurion-La Croix, 1988, p. 110.

[2] Dans le Dico Solo notamment, Aedis 2004, pp. 498-499.

[3] 19 septembre selon l’acte de décès. Désiré Achille Valentin était marié à Berthe Alphonsine Michel avec qui il avait eu un fils, Léon Valentin, âgé de 23 ans en septembre 1909.

[4] L'Assomption, 1/11/1909, article du P. Vincent de Paul Bailly, p. 174.

[5] Si le dessinateur devient un journaliste dans l’entre-deux-guerre comme l’a analysé Christian Delporte, l’origine du processus date, comme on le voit, d’avant 1914.

[6] P. 533 et suivantes.

Tag(s) : #Presse "satirique"
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