LE TURCO (1895- ?, Alger)
Notice extraite de Ridiculosa n°18, "La presse satirique française".
Comme l’indique Jean Watelet dans sa thèse, la presse des colonies compte assez peu de titres illustrés, sauf en Afrique du Nord. L’Algérie d’avant 1914 peut se targuer d’avoir publié quelques dizaines de feuilles satiriques, comportant pour certaines des dessins, mais en général éphémères. Le Turco[1] est fondé le 3 mars 1895 par Ernest Mallebay (1857-1939), professeur d’histoire intéressé par le journalisme, venu de métropole. Bien que d’une vie assez brève, le journal devient à la fin du XIXe siècle, de par son grand format, la référence algérienne en matière de presse satirique illustrée. Le Turco, avec ses quatre pages et une taille bien plus grande que les revues satiriques illustrées locales (30X48 cm), s’agrémente dès sa naissance d’un grand portrait-charge en couverture. La caricature, mise en couleur au pochoir par une équipe d’ouvrières, a pour auteur un dessinateur d’origine juive et natif d’Algérie, Salomon Assus (1850-1919). Le caricaturiste est présenté par la presse des années 1890 comme le plus grand dessinateur régional. Dans la tradition de Gill (qu’il aurait rencontré à Paris ainsi que Gustave Doré à Londres), et donc de la presse nationale, mais avec trois décennies de retard, Salomon vise dans Le Turco les notabilités politiques, journalistiques, littéraires, théâtrales et sportives d’Algérie au travers de charges le plus souvent amicales, mais parfois hostiles. On retrouve les dessins d’Assus dans Le Tirailleur, L’Algérie comique, La Revue algérienne illustrée, La Vigie Algérienne, au Pierrot algérien, etc. Avant de participer au Turco, Assus a donné pendant plusieurs années avec régularité des dessins satiriques et des portraits-charges au Charivari oranais et algérien, notamment entre 1891 et 1895. Dès 1898, le dessinateur illustre et diffuse de très nombreuses cartes postales (dont certaines ont à l’époque traversé la Méditerranée) humoristiques visant là encore des célébrités politiques nationales (Loubet, Fallières) ou régionales, mais aussi de nombreux « types » masculins ou féminins d’Algérie.
A partir du mois de juin 1896 Assus quitte Le Turco, qui fusionne avec Le Vélo, également fondé par Mallebay, pour devenir le Turco-Vélo, « au format des grand journaux parisiens ». Le grand hebdomadaire annonce vouloir publier des charges du « génial artiste Léandre, l’illustrateur déjà célèbre du Rire, l’héritier de Daumier ». Si quelques illustrations ont bien pour auteur Léandre (les œuvres dessinées circulent largement à l’époque d’une rive à l’autre de la Méditerranée), dont l’une est dédicacée à Mallebay, la part réservée aux charges satiriques est considérablement réduite et revient souvent à des dessinateurs amateurs. J. Sirat, peintre et caricaturiste de Toulouse installé à Oran depuis 1889 comme directeur de l’Ecole des Beaux-Arts et qui dessine pour le journal en décembre, est annoncé comme futur collaborateur régulier, mais sans véritable suite. Le Turco-Vélo se montre dès 1897 ouvertement favorable à Drumont après avoir plus d’une fois fêté les prises de positions « antijuives » de telle ou telle notabilité algéroise.
Le dessinateur Sirat, venu donc de la métropole contrairement à Assus, avait de son côté fourni des portraits-charges à la Revue Algérienne et au Charivari oranais et algérien à la suite d’Assus dès 1896. Il a également dirigé Le Grelot Algérien (quelques numéros seulement). Outre ces deux dessinateurs, il faut à cette époque également compter en Algérie avec Edouard Herzig (1860-1926).
A l’image de la métropole, l’Algérie coloniale semble avoir été particulièrement friande de dessins politique à la fin du XIXe siècle, mais en se contentant d’imiter, avec retard et moins de bonheur, le « crayon satirique » métropolitain.
Guillaume Doizy
Ernest Mallebay, fondateur du Turco