Oeuvre de la dessinatrice Coco
Nous avons republié récemment le coup de gueule du dessinateur Gaël Denhart à propos de Rue89 et de son silence face aux réactions qui se multiplient « contre » certains dessinateurs de presse attaqués pour quelques uns de leurs dessins. Ce coup d’éclat de Gaël Denhart met en exergue les difficiles relations qu’entretiennent les dessinateurs, en général non payés, et les médias Pure players qui les hébergent en leur offrant une tribune inédite et bien plus large qu’un simple blog personnel.
Dans son ouvrage intitulé Dessin de presse et Internet (publié en mars 2010 par l’Equipe Interdisciplinaire de Recherches sur l’Image Satirique, Université de Bretagne Occidentale), Guillaume Doizy aborde cette question d’une part dans un chapitre intitulé « Les Pure players ouverts au dessin de presse » (p. 33 et suiv.), mais également dans les différentes interviews de dessinateurs (une cinquantaine) français ou non, reproduites in extenso dans la deuxième partie du livre. Ce chapitre exclut les dessinateurs présents sur des sites de journaux « traditionnels » en ligne comme par exemple Martin Vidberg et son « Actu en patate » évoqué ailleurs dans l’ouvrage. Bien d'autres aspects de cette présence du dessin de presse sur les médias Pure players sont également anaysés dans d'autres chapitres thématiques du livre.
Voilà quelques extraits du chapitre « Les Pure players ouverts au dessin de presse » :
« Si les éditeurs de journaux traditionnels dans le monde ont assez largement transféré sur la Toile leurs dessins « papier », avec le développement du web sont apparus des médias purement virtuels créés « ex nihilo » en quelque sorte. (…)
Quand la presse papier commence à se mettre en ligne, dans le milieu des années 1990, les médias strictement virtuels qui se créent s’inscrivent dans deux logiques différentes. On distingue encore aujourd’hui le Pure player fondé « par en haut » et dirigé par une équipe de professionnels (avec des capitaux importants et une logique capitaliste) et à l’opposé, des médias émergeant selon le modèle du web participatif, s’appuyant sur ce que l’on nomme communément le « journalisme citoyen » non rémunéré.
Le web américain accueille très tôt ce type de médias à visée mercantile ou non, avec plus de 4 000 e-zines en ligne en 1999. Les cartoons, très présents sur les sites de la presse traditionnelle, trouvent également leur place sur ces médias purement virtuels. Un des plus fameux Pure player américain, baptisé Salon, a été fondé en 1995 pour devenir, selon son concepteur David Talbot, le « New York Times de demain [1]». Le magazine en ligne s’agrémente évidemment d’une rubrique « comics » et comprend un « Cartoon Saturday » de Liza Donnelly, dessinatrice que l’on retrouve également au New Yorker.
(…)
Aux Etats-Unis, le média Pure player Slate.com, créé également en 1996 publie en haut de sa page d’accueil une rubrique « Today’s cartoon » très visible et renvoie, comme nous l’avons déjà précisé, au syndicate GoComics. Le Pure player conservateur américain MewsMax.com dispose d’une rubrique « cartoon » qui oriente l’internaute vers une centaine de sites différents accueillant des dessins éditoriaux hostiles aux démocrates, syndicates, sites de journaux ou de dessinateurs.
En France, Webmatin constitue un des premiers Pure player à avoir publié du dessin de presse. Fondé en février 1999 par Melvin Knight et Thomas Goussard, le site fonctionnait comme un quotidien en ligne commentant l’actualité à l’aide d’articles illustrés de dessins satiriques (notamment de Lasserpe à partir de 2000, les dessins étant alors rémunérés). Alors que le bas débit règne en maître, les fondateurs de cet « e-zine » recourent au format Flash (une image au format jpg aurait été trop longue à télécharger), mais avec une option Html[3]. Le site réduit progressivement la part consacrée au texte pour valoriser les commentaires dessinés. Webmatin bénéficie de quelques milliers de visiteurs par jour. En 2001, à une époque où le web compte encore peu de sites, l’audience de Webmatin atteint 180 000 visites par mois, c'est-à-dire 6 000 par jour. Cette fréquentation correspond à 20 % de celle du Figaro.fr de l’époque, 10 % de celle de Libération.fr et 5 % de celle du Monde.fr. Les attentats du 11 septembre entraînent un fort recul de l’économie et des budgets consacrés à la publicité. Webmatin entre alors en sommeil, puis se relance en 2007 (mais sans objectif commercial) et publie aujourd’hui notamment Bauer, Biz, Chapu, Coco, Delucq, Ednac, Fyd, Goubelle, Gab, Grémi, Lasserpe, Pavo, Romain, Tom@, Yacine, etc.
Sur le modèle du Pure player sud coréen OhmyNews se sont créés en France différents réseaux d’information plus ou moins participatifs : Agoravox s’installe sur la Toile en 2005, Bakchich l’année suivante. Le Post, Rue89 et Médiapart voient le jour en 2007 et également la même année Nietweb, lancé par Gaël et Goubelle (France) et destiné à précéder une version papier[4]. Citons encore les Indymedias (Independant Media Centers, créés en 1999 pour couvrir la contre-manifestation de Seattle) ou Bellaciao (né en 2002, site quadrilingue : français, italien, anglais et espagnol) anciennement Resistenzia, réseaux plus marginaux et nettement contestataires. La plupart de ces médias accueillent des dessinateurs en général bénévoles, non sans avoir suscité des débats dans la profession selon Pierre Ballouhey. Pour deux raisons : la gratuité de cette collaboration anéantit à terme toute possibilité pour le dessinateur de vivre de son art ; enfin, parce que l’amateur peut noyer le site de ses propres « œuvres » et donc faire disparaître rapidement celles d’un artiste chevronné. Le système met en concurrence les dessinateurs entre eux qui, pour espérer faire la « une », doivent multiplier les mises en ligne. Une course folle s’engage donc car le dernier dessin publié ne reste en général visible que quelques heures, voire même quelques minutes, avant de sombrer dans les archives du site.
Rue89 accueille ou a accueilli dans sa rubrique « Croc’notes » Chimulus (depuis le 04/06/2007), Colcanopa (à partir du 23/10/2007, dernier dessin le 30/06/2009), Goubelle (première présence le 19/06/2007), Rémy Cattelain (depuis le 16/06/2008), Mykaïa (depuis janvier 2009), Coco (à partir du 12/04/2009), Jiho (rarement), mais aussi Large (22/05/2009). Chez Agoravox on retrouve les signatures de Rib, Valère, Troud, Na !, Ydel, Lardon, Hub, Sarkozizi, Coco, et à l’origine (2005-2006) Philippe Tastet, Goubelle, Ballouhey, Mabi, dessinateurs aujourd’hui bien visibles pour la plupart dans la presse papier. A ce jour, les archives d’Agoravox recensent plus de 40 000 dessins, tous consultables librement.
Evoquons ici l’expérience avant-gardiste du dessinateur français Chimulus qui, dès 2000, publie (avec un contrat très bien rémunéré) chaque jour et ce, pendant deux ans, un dessin d’actualité en ligne sur le site du fournisseur d’accès Libertysurf. Dans les années qui suivent, Chimulus poste ses œuvres sur les Indymédias, Agoravox, Rue89, Bellaciao, le Post.fr, etc. Il s’agit pour les dessinateurs de sélectionner les médias les plus visibles, le plus visités, le plus accueillants, ceux qui valoriseront le travail bénévole des dessinateurs et… qui leur concèderont enfin une rémunération (sous la forme de blogueurs « invités » notamment) !
D’autres médias Pure players publient du dessin de presse. Si Google actualités ne propose aucun service « cartoons », à l’inverse Yahoo.fr diffuse régulièrement les dessins de Chappatte (Suisse) et Delize, au moins depuis 2006, mais avec seulement une vingtaine d’œuvres en archive.
Les rédactions des journaux Pure players sélectionnent parfois certains dessins pour illustrer tel ou tel article de « une » (comme sur Rue89 par exemple) et dans ce cas, la visibilité du dessinateur augmente considérablement ainsi que le nombre des commentaires sous ses œuvres.
Enfin, dans cet univers aux pratiques très diversifiées et difficilement rentables, Bakchich se distingue de ses confrères en rémunérant les dessinateurs qu’il publie sur son site. Bakchich illustre ses billets de dessins ou de photos exclusivement satiriques. Mais peinant à trouver son équilibre financier, l’équipe édite une version papier fin 2009. Après quelques numéros, le journal semble en peine de poursuivre ce retour au modèle traditionnel.
Contrairement aux sites des médias traditionnels, les Pure players participatifs diffusent en général une production iconographique inédite, mais rarement exclusive. »
[1] Cité par Charles de LAUBLIER, La presse sur Internet, op. cité, p. 48.
[3] Voir l’historique présenté par le site et un billet du Journal du Net : http://www.journaldunet.com/9909/990913webmatin.shtml