Guillaume Doizy : Si l’on parle de satires visuelles en général, on ne constate pas de déclin. Par contre il est vrai que le dessin de presse, lié à la presse écrite historiquement depuis le 19ème siècle, éprouve des difficultés dans le monde entier. Il y a deux raisons à cela. La première est que la presse écrite est elle-même en déclin, sauf dans les pays émergents. La seconde raison réside dans la frilosité des rédacteurs en chef qui ont du mal à assumer le caractère polémique et provocateur du dessin de presse.
Ce déclin a démarré avant les polémiques autour des caricatures du prophète Mahomet. Aux États-Unis par exemple, on a constaté une baisse importante du nombre des dessinateurs salariés dans les journaux depuis longtemps. Il est vrai que les réactions autour des caricatures de Mahomet n’ont pas aidées. Nous sommes dans une période où le public réagit assez vertement aux dessins de presse, même quand cela ne touche pas la religion. Le public se sent investit d’une mission de commentaires sur les dessins et cela inquiète les rédacteurs en chef.
La nouveauté réside dans le rapport à l’actualité. Avant Internet, le dessinateur qui travaillait dans un quotidien, réagissait à l’actualité avec un petit décalage. Depuis l’arrivée d’Internet, il y a quotidiennement des centaines de dessins qui sont mis en ligne quelques minutes à peine après que les événements soient commentés par les agences de presse. Nous sommes à l’ère de l’ultra réactivité, comme des chaines d’information en ligne, il existe désormais des dessinateurs d’info en ligne. Je pense notamment au dessinateur Chimulus qui est toute la journée derrière son ordinateur, et qui met en ligne, heure par heure, des dessins.
Aujourd’hui les dessinateurs, autant dans les journaux satiriques que dans les journaux généralistes qui font du dessin de presse, ont en majorité une sensibilité de gauche. Ce n’était pas le cas il y a 30 ans. On pouvait voir alors des dessinateurs comme Jacques Faizant, Calvi et même Pierre Pinatel, dessinateur d’extrême droite dont on retrouvait les dessins dans Minute. Sous le général de Gaulle, la presse d’extrême droite anti-gaulliste était très vivace. Dans les années 1930, c’était la même chose, les dessinateurs d’extrême droite tenaient le haut du pavé.
Pourquoi il y a moins de dessinateurs de droite aujourd’hui ? Le Figaro, par exemple, a eu des problèmes avec Jacques Faizant. Le journal voulait se recentrer mais le dessinateur s’y refusait. Il s’est alors vu refuser nombre de dessins, sur la peine de mort notamment. Le Figaro a mal digéré cette fin avec Jacques Faizant et n’a pas trouvé nécessaire de persévérer. Le jour où Plantu arrêtera de dessiner au Monde, vu les difficultés économiques des journaux, il n’est pas sûr qu’ils reprennent un dessinateur en Une. A gauche comme à droite, les dessinateurs dans les quotidiens vont se faire rares.
De plus, il y a en ce moment une certaine réticence de la part des électeurs de droite à voir des dessins qui utilisent des moyens qu’ils peuvent considérés comme outrageants. La caricature de droite et la caricature de gauche n’utilisent pas les mêmes procédés, le même langage. La caricature de gauche n’hésite pas à utiliser la nudité, voire même la scatologie. La droite aura plus de réticences, il y a un côté un peu immoral.
Dès l’apparition de l’Internet grand public, les grands journaux se sont dotés de sites. Les dessinateurs, très intéressés, se sont mis en ligne. Certains sites ont publié des dessins quotidiennement, d’autres plus périodiquement. Les nouvelles technologies ont accueilli assez rapidement les dessins de presse.
Cependant, il existe deux problèmes. Le premier est que les visites ne sont pas tellement aux rendez-vous. Les sites sur lesquels il y a beaucoup de dessins ne sont pas particulièrement visités. Ensuite, on voit bien que le modèle économique n’y est pas. Un certain nombre de sites, ou de dessinateurs ont proposé des applications iPhone. Je pense notamment à Aurel, un dessinateur de Montpellier très renommé qui a lancé une application de ce type qui n’a pas trouvé son public. On pourrait dire que les gens ne veulent pas payer pour du dématérialisé, sauf que les sites gratuits ont également des audiences assez modestes. Aux États-Unis, les applications iPhone sont gratuites, ce n’est pas pour cela qu’elles sont populaires.
Nous sommes dans une période où le dessin figé attire moins que l’humour parlé, comme celui des Guignols de l’info par exemple. Le média le plus populaire est de loin la télévision. Hors de ce cadre-là, la satire a beaucoup de mal à exister.
Justement, quand Internet est apparu, ceux qui réfléchissent un peu à l’évolution du dessin de presse, se sont dit que le gif pouvait représenter un renouvellement possible du dessin de presse. Il y a un certain nombre d’appellations, aux États-Unis on parle d’ "animation sketch". Un certain nombre de dessinateurs se sont lancés. Finalement, ça n’a pas pris, ce type d’animation s’est très peu répandu. Les journaux ne veulent pas payer pour le travail fourni. Une animation, cela nécessite beaucoup plus de travail qu’un dessin unique et cela coûte cher.
Aujourd’hui, il n’y a pas de remèdes miracles. Tout ce qui a un côté dessiné, plait moins que ce qui est filmé, plus réaliste. Il suffit de regarder les cartons d’audience de l’émission "Après le 20h, c’est Canteloup " sur TF1. Le dessin est, j’en ai bien peur, un moyen de communication et d’information qui appartient au passé…