(Ralph Soupault avec son recueil de dessins Ils sont partout)


Nous avons interrogé Emmanuel Caloyanni à l'occasion de la parution de son livre Ralph Soupault, dessinateur de l'extrême, Geste Editions, 2009, 377 p., ISBN : 2-84561-562-5, 9.00€.


Vous avez publié fin 2009 un très intéressant ouvrage retraçant l’itinéraire politique du dessinateur de presse Ralph Soupault (1904-1962), qui a choisi de suivre le PPF de Doriot avant de s’adonner à la collaboration active. Un sujet pour le moins difficile qui nécessite une sorte de « rencontre ». Pourquoi un tel personnage ?

L’histoire du XXe siècle m’intéresse, la vie et le parcours de ceux qui l’ont faite encore plus. Ralph Soupault est à la conjonction de ces deux centres d’intérêt. Il est, à son niveau, un acteur important de la Seconde Guerre mondiale, avant et pendant le conflit. Il est aussi le symbole d’une société qui, entre crise économique et crise morale, finit par perdre ses repères et sombrer avant de se relever. Par ailleurs, j’ai une attirance particulière pour ces personnages un peu oubliés du grand public, comme, finalement, l’est Ralph Soupault. Pendant dix ans, entre 1935 et 1945, il fut l’un des journalistes qui compte au sein de la presse française et parisienne. Cette « rencontre », pour reprendre votre expression, a pour objet de rappeler le parcours d’un dessinateur particulièrement doué, et reconnu comme tel y compris par ses plus farouches opposants, mais à l’itinéraire politique condamnable et condamné par la justice.


Ralph Soupault représente un des meilleurs dessinateurs de l’entre-deux guerres et jusqu’à 1945. Pourquoi la droite et l’extrême droite « graphiques » surclassent alors la gauche ?

Je ne suis pas un spécialiste de la caricature, qu’elle soit politique ou pas. Je ne peux donc pas faire de comparatif. Mon livre retrace le parcours politique d’un homme qui a revendiqué ses engagements jusque lors de son procès, en 1947. Il est un fait cependant que les caricatures publiées dans les journaux de droite et d’extrême droite ont souvent beaucoup plus marqué les esprits car elles sont, de façon générale, moins lisses voire violentes. C’est le début d’une explication, mais il y a sans doute d’autres raisons.


A quand remontent exactement les premiers dessins antisémites de Ralph Soupault ? Pendant la guerre, il s’attaque plus au juif « capitaliste » qu’aux juifs en général. Peut-on dire de Soupault qu’il était imprégné d’un antisémitisme plus politique que strictement raciste ?

C’est indéniable. Dans ses dessins, Ralph Soupault utilise toute l’imagerie nauséabonde que l’époque véhicule sur les juifs, qu’il représente le plus souvent en banquier manipulateur et avide d’argent, tirant les ficelles de la politique nationale et internationale. A ce titre, son antisémitisme est plus politique que raciste, comme vous l’indiquez. Il faut savoir que Ralph Soupault n’a pas toujours été antisémite. Lors de son service militaire, au milieu des années 20, il découvre le nationalisme et côtoie des antisémites, mais il ne prête guère attention à ce courant de pensée. Il deviendra perméable à l’antisémitisme lors de son passage chez les royalistes d’Action française. C’est durant cette période que ses dessins se colorent d’antisémitisme. Son entrée au PPF, en 1936, finira de le convertir.

On lit souvent que la caricature est plus efficace dans l’opposition que quand elle se met au service du pouvoir. Est-ce que Vichy transforme l’art caricatural de Soupault ?

Là encore je ne peux vous répondre avec précision faute d’étude poussée de ma part sur l’œuvre de Ralph Soupault et son évolution dans le temps. Une certitude, toutefois. Ralph Soupault a cru en Vichy et au maréchal Pétain, qu’il a soutenus pendant plusieurs mois. Mais il a vite déchanté, trouvant le Maréchal très mal entouré et les mesures prises pas assez autoritaires et audacieuses pour œuvrer au redressement du pays. Les historiens font la différence entre les collaborationnistes, installés à Vichy et partisans d’une France engagée dans un « partenariat » avec l’Allemagne, et les collaborateurs, regroupés à Paris et qui appelaient de leurs vœux une totale adhésion morale et physique au IIIe Reich. Ralph Soupault s’est vite rangé dans la seconde catégorie.


Soupault dessine notamment pour le journal Je Suis Partout. Quelle place et quel rôle le journal donne-t-il à la caricature ?

La place de la caricature dans Je Suis Partout est très importante. Elle est même primordiale. Sans doute autant que celle prise par les photos sur les couvertures des journaux et des magazines d’aujourd’hui. Le dessin est à lui seul une information. Il est aussi un « éditorial » puisqu’il donne souvent la ligne du journal.


Avant 1939, comme beaucoup de nationalistes de droite, Soupault se montre réticent à l’égard d’Hitler et de l’Allemagne nazie. Pourtant, après la défaite, il adopte les thèses nazies. Comment expliquer ce retournement ?

Comme beaucoup de Français, Ralph Soupault était anti-Allemand. L’Allemagne était un voisin mais surtout un ennemi avec qui l’on se faisait la guerre régulièrement. Son passage à l’armée n’avait fait que renforcer ce postulat. Une chose est sûre : Ralph Soupault n’a jamais été un admirateur d’Adolf Hitler, même s’il reconnaissait au régime nazi des « vertus », comme une certaine réussite économique ou le rayonnement du pays par-delà ses frontières. Au début des années 30, nombre de ses dessins critiquaient ouvertement le Chancelier Hitler. S’il a tourné casaque, c’est à la demande de Jacques Doriot, le fondateur du PPF que Ralph Soupault a rejoint dès son avènement. Pour Jacques Doriot, c’était un calcul politique qui, pensait-il, lui permettrait de prendre un jour le pouvoir en France. Ralph Soupault, qui vouait une admiration sans borne à Jacques Doriot, a donc fait preuve de discipline en évitant toute critique d’Adolf Hitler.


Votre ouvrage évoque des périodes sombres et douloureuses de l’histoire de France. Tout le monde n’apprécie pas que l’on fouille dans ce sombre passé. Avez-vous rencontré des résistances ou des difficultés ?

J’ai rencontré quelques difficultés, mais rien que de très habituel lorsque l’on s’intéresse à ce segment historique. J’ai pu consulter toutes les archives officielles. L’épouse de Ralph Soupault m’a accordé deux entretiens et a eu la gentillesse de me laisser fouiller les archives personnelles de son mari. Pour le reste, aujourd’hui, le travail des historiens permet à chaque Français qui souhaite se documenter sur cette période importante de notre histoire de le faire.


Le site de l'Eiris « piste » les ressources iconographiques publiques, accessibles en ligne ou non. En dehors de la presse, les dessins originaux de Ralph Soupault sont-ils consultables dans un cadre institutionnel ?

Pour se faire une idée du travail de Ralph Soupault, la meilleure source reste la presse de l’époque, dont une majeure partie est conservée et visible aux Archives nationales de France, à Paris. Il est possible aussi d’y consulter quelques documents originaux de Ralph Soupault. Hélène Soupault, l’épouse du dessinateur, possède également beaucoup de documents d’une grande valeur.


Propos d' Emmanuel Caloyanni Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir recueillis par Guillaume Doizy Cet e-mail est protégé contre les robots collecteurs de mails, votre navigateur doit accepter le Javascript pour le voir , mars 2010


Tag(s) : #Interviews
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