On lira avec intérêt ce catalogue édité à l’occasion d’une exposition présentée par le Musée d’Art Moderne (également d’art contemporain et d’art brut) de Villeneuve d’Ascq. La soixantaine de pages permet de découvrir une foultitude de dessins visant le mouvement cubiste parus dans la presse satirique (Le Rire, La Vie Parisienne, Le Journal amusant, La Baïonnette, etc.). On doit la première contribution, très convaincante, à la commissaire Jeanne-Bathilde Lacourt : l’auteure analyse par le menu le criblage caricatural visant les cubistes de 1911, date des premiers dessins, à 1918, la caricature anticubiste trouvant à se renouveler pendant la guerre. Jeanne-Bathilde Lacourt remarque combien la caricature peut se montrer réactionnaire, hostile aux novateurs qui bousculent les règles de la représentation. Elle détaille comment l’antagonisme guerrier qui éclate en août 1914 favorise un nouveau mode de rejet du cubisme, fondé sur la haine de l’étranger, la bonne morale patriotique s’identifiant dorénavant au classicisme. Le catalogue attire l’attention sur les œillères des dessinateurs qui finalement semblent avoir peu compris les enjeux esthétiques du cubisme, réduisant leur charge à des poncifs souvent éloignés des questions plastiques soulevées par Picasso et Braque.
Les amateurs de presse satirique ne s’étonneront pas de lire que Lucien Métivet a été le fer de lance de cette croisade anticubiste. Ils découvriront également le travail d’un dessinateur actif pendant la guerre et totalement méconnu aujourd’hui, dont la BDIC conserve un nombre important de dessins originaux. Il s’agit d’un certain Leka qui choisit de « kubister » systématiquement l’adversaire allemand. La série aurait pu être publiée par les éditions « La Guerre, III Avenue Victor Hugo », un projet sans doute inabouti.
La seconde et dernière contribution, cette fois de Nicolas Surlapierre, nous a semblé moins convaincante. Il s’agit d’une digression autour des notions de « brouillon » et de « bouillon », visant à justifier le titre de l’exposition et à évoquer les passerelles entre le cubisme, son temps et la caricature. On aurait préféré une étude comparative avec la caricature anti réaliste et son pendant anti impressionniste, très dynamiques dans les décennies précédant l’avènement du cubisme. L’étude aurait sans doute donné des pistes pour comprendre pourquoi les dessinateurs avaient réussi à personnifier leurs charges contre le réalisme au travers de la figure de Courbet et contre l’impressionnisme avec Monet notamment, sans parvenir à le faire contre les cubistes, privilégiant systématiquement une approche générique.
On prolongera l’exposition et le catalogue en poursuivant la traque des dessins anticubistes. Le dépouillement des cartes postales ainsi que des journaux quotidiens n’ayant pas été réalisé, quelques perles sont encore à trouver, que nous publierons ci-dessous si l’occasion nous en est donnée.
GD, 17 juin 2014