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Dessinateur depuis des presque deux décennies en Belgique, que représentait Charlie Hebdo pour toi ?
Je n’ai pas grandi avec Charlie Hebdo. J’ai plutôt grandi avec Pif Gadget, Franquin et Spirou. Dans les années 80, j’ai découvert Les Idées noires, Coluche, Desproges et Reiser… Fluide Glacial et Charlie Hebdo… Ce fut un certain choc.
Mais si à cette période, je me destine plutôt à la BD classique, je vois bien que c’est en France que l’humour est le plus grinçant, cela m’attire, et certainement forme mon esprit critique et contestataire. Charlie Hebdo est le fer de lance de cet esprit satirique qui bouscule les conventions, et, si j’aime déjà bien faire des caricatures, à aucun moment, je ne pense à faire ce métier.
Tu as réalisé plusieurs dessins suite aux assassinats de mercredi et jeudi, publiés notamment sur le site de la Feco France : difficile, non, de dessiner dans un tel moment ?
Oui et non…
La première journée est très difficile, évidemment. J’ai rencontré plusieurs fois Tignous et Cabu… Coco est une très bonne amie. Passer ensemble 3, 4 jours en festival plusieurs fois par an crée pas mal de liens, vous savez. J’ai avec les dessinateurs français pas mal d’affinités - plus qu’avec la plupart des dessinateurs belges - et en dehors des festivals nous sommes quelques-uns à garder des contacts très réguliers. C’est ma famille.
Le dessin c’est notre métier, mais aussi notre vie, notre manière de penser. On le voudrait même, qu’on ne pourrait pas arrêter.
Donc ce 7 janvier, dès que la nouvelle de l’attaque tombe, nous sommes une douzaine en conversation commune via l’Internet. Au fur et à mesure on essaye de prendre des nouvelles des amis qui travaillent là-bas, on s’échange les infos, notre ressenti. Et puis, effaré par les nouvelles, je reçois la presse belge. Visite des télévisions pour interview à chaud, coup de fil des médias… mais aussi des amis, des proches qui devinent mon chagrin. Et au milieu de tout ce chaos, travaillant dans un quotidien, je dois faire mon dessin… puis la rédaction me propose en plus de faire la une. Difficile de se concentrer, mais je leur dois bien ça… ce qui donne des dessins par forcément très originaux, mais qui viennent du cœur. Les jours suivants, par contre, l’émotion fait place à la tristesse, la colère, l’info évolue, et les sujets de dessins nous permettent de prendre plus de recul et d’être plus efficace. Et puis la motivation est grande de donner le meilleur de nous-mêmes. Les victimes le méritent bien.
Charlie Hebdo faisait le choix de défendre son droit à caricaturer Mahomet en assumant le risque encouru, un choix qui n’était pas obligatoirement partagé par les autres dessinateurs, et on peut le comprendre. On entendait souvent depuis plusieurs années « ils sont des provocateurs, des racistes, ils mettent de l’huile sur le feu ». Qu’en penses-tu ?
Comme je le dis plus haut, Charlie Hebdo, c’est le fer de lance. Charlie Hebdo modéré, c’est la mort de Charlie Hebdo. La critique molle est (était) partout alors ils font dans la provocation. Mais ne nous trompons pas, ils ne combattent pas l’Islam, les catholiques ou les juifs… à mon sens, ils combattent le Pouvoir.
La Révolution française a rendu le pouvoir au peuple contre les puissants, la monarchie, mais aussi l’Église. En 1905 est promulguée la loi de séparation de pouvoirs (de l’Église et de l’État). Charlie Hebdo ne fait que combattre les injustices et les religions sont souvent le levier des plus grandes injustices. La richesse de leurs dirigeants, le maintien dans l’ignorance de leurs fidèles, la discrimination sexuelle, la peur de l’enfer ou les promesses d’un futur paradis. Les religions fonctionnent sur la peur, alors que l’humour soigne la peur et désacralise. Ce n’est pas étonnant qu’aucune religion n’apprécie les humoristes, et que toutes proposent la pénalisation du blasphème.
J’ai un grand respect pour les croyants, mais je pense que la foi est une question d’individu. De tout temps les institutions religieuses ont voulu imposer leur religion aux autres. Juifs, chrétiens et musulmans ont le même Dieu, les mêmes prophètes parfois et pourtant se font la guerre depuis des centaines d’années. Comment les croyants ne voient-ils pas qu’ils sont manipulés ? On a pourtant rarement vu un Imam ceinturé d’explosifs ou un Pape l’épée à la main. Les terroristes veulent répandre la peur et la haine, que la population européenne rejette tous les musulmans, et que ceux-ci se sentant haïs se referment sur eux-mêmes. Ils veulent rendre tout dialogue impossible et nous forcer à faire une guerre que nous ne désirons pas.
Quelle est la meilleure réponse à ton échelle face à ces attentats ?
Ma meilleure réponse est de continuer à dessiner. Même si c’est un métier, c’est avant tout ma religion, c’est ce qui me permet d’exister. Je dessine du soir au matin que mes œuvres soient publiées ou non… et si je n’ai pas de crayon, je pense « dessin ».
As tu déjà "caricaturé" le prophète ?
Je travaille essentiellement dans un grand quotidien belge (L’Avenir) qui n’a pas le public pour la satire féroce et même si je travaille également pour Zélium, le site du Yaka ou le Courrier international, dans l’absolu, je ne cherche pas à choquer, j’essaye de faire rire, de pousser à la réflexion. Je n’ai pas de raison de dessiner le prophète ni même Bouddha, ce n’est pas ma culture… Et même dans ma culture, j’ai fait très peu de dessin sur Jésus parce qu’il est rarement dans l’actualité. Je peux dessiner Dieu lorsqu’une personne meurt et arrive au Paradis, par exemple, mais ce n’est pas une critique de religion, j’utilise alors Dieu ou Jésus comme une référence culturelle. D’ailleurs avant l’affaire danoise, comme beaucoup de mes collègues, je n’avais jamais entendu parler de cette interdiction (controversée) de dessiner Mahomet. Moi ce que je critique, ce sont les intégristes de tout bord, qui se servent de la foi pour justifier leurs actes ! Et quand je dis de tout bord, on peut y ajouter également tous les fanatiques, supporters de foot, fans de chanteurs… qui sont rarement contents que l’on critique leurs idoles.