François Bordes, Cédric Marty, Fabrice Pappola, Drôle de guerre !? - Centenaire de la Grande Guerre, Catalogue de cartes postales dessinées éditées à Toulouse (1914-1918), Archives municipales de Toulouse, 180 p., 20 €.
On ne louera jamais assez l’initiative que représente la publication de ce catalogue des cartes postales dessinées (principalement satiriques) publiées pendant la Grande Guerre par des éditeurs toulousains. L’histoire de l’image a trop tendance à privilégier la production nationale au détriment de la dynamique éditoriale qui prévaut en région et qui « fait » la France, tout autant que la production « nationale ».
A Toulouse, si quelques éditeurs ont donné dans la carte postale dessinée, une maison domine l’ensemble de la production : il s’agit de l’entreprise Laclau, qui publie des cartes postales (cartes fantaisies et cartes vues) dès la Belle Époque. Dès le début du conflit et comme la plupart des éditeurs, Laclau réoriente sa production pour coller à la situation nouvelle. Sous le titre « La Guerre », paraît une série de plusieurs dizaines de cartes dont les auteurs du catalogue indiquent à juste titre qu’elles explorent deux thématiques opposées : la haine de l’adversaire et la valorisation des alliés.
Après une présentation générale brossant en quelques pages l’histoire de la carte postale avant et pendant la guerre, le catalogue détaille ces deux thématiques principales avant de consacrer le gros de l’ouvrage à la reproduction (de qualité) des cartes toulousaines (130 environ) classées par éditeur et pour la plupart contextualisées en quelques lignes. Ces cartes s’apparentent sans conteste à l’iconographie satirique que diffusent alors les éditeurs parisiens ou d'autres situés en province. L’introduction s’interroge sur la question de la réception, concluant que l’absence de données suffisamment étayées sur le sujet rend impossible toute analyse pertinente. Nous avions de notre côté montré dans La Grande Guerre des cartes postales (Hugo-Image, 2013) que la lecture de milliers de verso permettait de constater un immense décalage – sinon un véritable fossé - entre les préoccupations des expéditeurs et le sens des images.
Cet ouvrage édité par les Archives municipales de Toulouse ne manque pas d’intérêt même si les auteurs reconnaissent les limites de leur travail de collecte, certaines cartes évoquées dans un catalogue de Laclau leur restant inconnues par exemple, la production d’autres éditeurs ou dessinateurs étant encore à découvrir.
Hormis quelques erreurs factuelles et des imprécisions (en ce qui concerne la censure des cartes notamment), on regrettera que cette étude ne s’appuie pas sur des archives historiques permettant de mieux cerner les conditions dans lesquelles ces cartes ont été produites (tirages, réseaux et aire de diffusion, etc.), à commencer par une datation fine des documents présentés. De toute évidence, la plupart des cartes éditées par Laclau l’ont été dans les derniers mois de 1914 et en 1915 (aucune des cartes ne porte la mention "visé", alors que la censure préalable est établie pour les cartes postales à partir d'avril 1915). Il est fort probable que Laclau ait cessé de produire de nouveaux modèles satiriques par la suite, s’alignant sur une inflexion tout à fait majeure de la production cartière de guerre : l’édition de cartes caricaturales a brutalement chuté à la fin de l’année 1915 au profit d’images de moins en moins souvent tournées contre l’adversaire et globalement moins virulentes.
On pourra reprocher également à cette étude de survaloriser leur sujet, allant jusqu’à se demander si Laclau n’est pas le principal éditeur de cartes postales en France pendant la guerre ( !). A la centaine de modèles publiés par Laclau, nous opposerons le ou les quelques milliers de modèles que publient chacun pendant la période les éditeurs tels que Noyer, Lapina (IML), Le Deley, Dix, Katz, Croissant, Charles Collas, etc.
L’intérêt de Laclau et donc du catalogue, tient surtout au fait de constater que même dans une ville moyenne de province, la production de cartes postales a été dynamique, s’appuyant sur un réseau de dessinateurs locaux, travaillant pour certains dans la presse locale (ce qui est le cas de de Caunes par exemple, dessinateur au Cri de Toulouse). La production toulousaine démontre également que nombre de dessinateurs ont publié des cartes illustrées satiriques de manière autonome, sans travailler pour des éditeurs établis (comme le fait H. Alquié notamment).
Nos propres recherches nous ont permis de consulter des cartes satiriques publiées à Lyon (éditions Farges par exemple) et Marseille (dessinateurs Mass’beuf et Aurrens notamment) bien sûr, mais également dans des villes plus modestes comme Le Mans, Nice, Grenoble, Nantes, Cannes, Besançon, Bordeaux, Dijon, etc., sans pour autant trouver des séries numériquement aussi importantes que celle publiée par Laclau sauf à Paris, Lyon et Marseille (ainsi que Cognac, avec l'éditeur Collas). Nous avons pu constater en fait que si le marché de la carte postale est globalement dominé par de très grandes marques, celui de la carte postale satirique en particulier a été nourri par une multitude de "petits" éditeurs. En l'absence d'information sur l'aire de diffusion des cartes Laclau, on aurait envie d'expliquer l'importance relative du catalogue de cet éditeur par la renommée locale de ses dessinateurs. A noter qu'aucun des artistes (sauf peut-être Jan Metteix) produisant des images pour des cartes publiées à Toulouse ne semble être parvenu à travailler pour les éditeurs parisiens...
Les cartes de Laclau sont tout à fait emblématiques et significatives pour qui s’intéresse à l’iconographie de guerre. Elles témoignent de la très grande unité géographique du discours de guerre porté par les élites, mais également de la rapide évolution de ce discours, notamment sur un support médiatique dont la fonction première consiste à servir un échange interpersonnel et intime et non la propagande. De l'absence d'archives sur ces éditeurs de cartes (à Toulouse comme ailleurs), il résulte que la production cartière pendant la Grande Guerre reste globalement fort mal connue. Il reste à espérer que la recherche dans ce domaine s'intensifie !
Guillaume Doizy
Les auteurs de l’ouvrage espèrent que d’éventuels lecteurs pourront les aider à compléter leur collecte. Ci-dessous, quelques cartes non reproduites dans le catalogue :
Ci-dessous, cartes postales dessinées signées "Jan" (Metteix), dont la série "L'ennemi"
Drôle de guerre !? - Centenaire de la Grande Guerre
Un ouvrage édité par les Archives de Toulouse Dès le début de la guerre, en août 1914, Toulouse apparaît comme l'un des grands centres de production de cartes postales patriotiques. En 2008, ...
http://www.archives.mairie-toulouse.fr/index.php?id=40&tx_ttnews[tt_news]=427&cHash=061a5bb215