L’expression « je suis Charlie » reprise dans le monde entier traduit l’indignation sincère de centaines de milliers de gens face à l’attentat sanglant qui a touché mercredi 7 janvier 2015 le journal satirique Charlie Hebdo. Indignation, effarement, colère, contre une barbarie qui se commet au nom de la religion. Les terroristes disent avoir vengé Mahomet en assassinant une douzaine de personnes, dont des dessinateurs emblématiques. Il s’agissait de faire payer Charb et ses amis qui ces dernières années continuaient à défier les fondamentalistes de tous poils, et notamment ceux qui se réclament de l’Islam. Refusant de céder à l’interdit de caricaturer Mahomet, ils ont tenu malgré les menaces de mort, ils ont préféré continuer à défendre leurs idées plutôt que de plier face à l’obscurantisme.
Pour autant, les appels des dirigeants politiques à l’Unité nationale, les sanglots de la grande presse aujourd’hui, ont de quoi écœurer et révulseraient sans doute le plus visé dans cet attentat, le dessinateur Charb. Rappelons-nous qu’en 2006, très peu de journaux de par le monde, malgré les menaces de morts proférées contre les dessinateurs, avaient republié les dessins par solidarité. Rappelons-nous que depuis 2012, Charlie Hebdo fait l’objet de vives critiques de la part des grands médias, des intellectuels, des politiques ici-même en France notamment, jugeant le journal bien trop provocateur, mettant de l’huile sur le feu, au point que Charlie Hebdo se soit ironiquement rebaptisé « journal irresponsable » !
Ces combattants étaient bien seuls, abandonnés de tous ou presque face à l’internationale de l’obscurantisme. Y avait-il alors beaucoup de « Charlie » parmi les élites ? Parmi nos gouvernants ? Parmi les éditorialistes de la grande presse qui pourtant savent à l’occasion donner de la voix contre les chômeurs, contre les roms, les immigrés, contre les travailleurs ou les fonctionnaires « privilégiés », contre ceux que justement Charlie défendait ? Que non !
En stigmatisant Charlie Hebdo, accusé d’islamophobie, accusé de racisme et d’irresponsabilité, les grands médias, les dirigeants ont armé les salopards qui ont tué « Charlie ». Nos dirigeants se saisissent de l’événement pour nous vendre l’Unité nationale et justifier la politique qui nourrit de fait le fondamentalisme, qui nourrit la désespérance, qui accentue les oppressions. Comment ne pas être écœuré de l’hypocrisie des Hollande, Obama ou des autres, capables de soutenir les dictatures les plus réactionnaires, capables de bombarder des civils loin d’ici, capables de soutenir les ravages engendrés par la domination des multinationales sur la planète, capables de justifier ou de recourir à la torture, de distiller le racisme, tout en nous servant le discours de paix, de liberté, d’égalité et de fraternité.
Charlie Hebdo critiquait ces gens-là, ces politiques-là, ces injustices-là dont sont victimes les peuples et dont sont responsables les "grands" de la planète. Charb voulait changer le monde, contrairement à ceux qui nous gouvernent et qui prétendent défendre Charlie Hebdo aujourd'hui.
Non, avant le massacre de mercredi nous n’étions pas tous « Charlie ». L’indignation sincère et généreuse des citoyens ne doit pas masquer les responsabilités des élites et l’ignoble récupération politique à l’œuvre aujourd’hui. L'Unité nationale ne nous protègera pas des fondamentalismes, bien au contraire !
Guillaume Doizy, le 9 janvier 2015