On trouve encore actuellement dans les kiosques nombre de journaux "rendant hommage" à Charlie Hebdo. C’est le cas du mensuel Psikopat, bien connu des amateurs de BD, truffé cette fois de dessins satiriques sur l’actualité macabre du début du mois de janvier. La quasi-totalité des dessins évoquent l’événement du 7, mais étrangement aucun les morts du lendemain ou du surlendemain. On trouvera dans ces pages des dessins hilarants et poignants et on citera avec plaisir les noms de Coco, Delambre, Lasserpe, Caza, Schvartz, Bar, Troud, Mric, Soulcié, Bauer, Félix (entre autres) et bien sûr Carali. Mais signalons une anomalie de taille. Dans ces 68 pages et probablement plus de 200 dessins (dont quelques planches de BD), le lecteur attentif ne dénichera aucune reproduction de la fameuse « une » de Charlie Hebdo du 14 janvier.
Il est pourtant fait référence au dessin de Luz, mais uniquement au travers de sa couleur, ce vert vif si particulier. Quand cette couv’ est évoquée, elle est cachée par d’autres « unes » de Charlie ne représentant pas Mahomet, ou alors elle a été tellement simplifiée et réduite en taille par le dessinateur qu’un trait vertical ou un gribouillis permet d’éluder la représentation du prophète. Et dans les très nombreux autres dessins qui ne renvoient pas à cette une fameuse, tirée à 7 millions d’exemplaires tout de même ! (un record planétaire pour ce genre de journal), point de Mahomet non plus. Absent, oublié… Censuré ?
Étrange hommage ! En tous cas, le parti pris est sans appel. Dieu oui (présent dans plusieurs dessins), mais pour Mahomet, respect, les crayons à la niche ! C’est d’ailleurs le sentiment que l’on peut avoir à la lecture de la chronique-édito de Carali, en p. 4. Les dessinateurs de Charlie explique le « boss » de Psikopat, ont été « tués pour quelques crobards, quelques petits Mickeys qui tirent la langue. Le gâchis total. Ça ne changera rien chez les dessinateurs de presse, au contraire, nous serons de plus en plus nombreux, bande de nazes ‘(..) Ils ne pourront jamais nous tuer tous. On ne s’arrêtera jamais de faire chier les nocifs, c’est dans nos gènes, dans notre sang, on n’y peut rien ». Carali ajoute plus loin que « L’équipe de Charlie n’était ni militante, ni même vraiment politisée ». A aucun moment Carali n’évoque les raisons pour lesquelles les deux terroristes ont fait feu sur les dessinateurs. « Venger Mahomet », tels ont été pourtant leurs propres mots, même s’ils ont expliqué après qu’il s’agissait également pour eux de répondre par le sang aux interventions militaires occidentales dans certains pays « dits » musulmans.
Pas « militant », Charlie, qui depuis des années faisait face aux menaces de mort pour le simple fait de continuer à publier des caricatures de Mahomet ? Pas militant, ce journal qui prenait pour cible systématiquement l’extrême droite, qui avait ouvert une rubrique en soutien à RESF ? Pas militant Charb, qui se disait « communiste » et dessinait pour la CGT notamment ? On s’étonnera du fait que Carali n’évoque pas non plus la question de la « liberté d’expression », terme absent sous sa plume. Le seul article s’intéressant à la censure (p. 16) dénonce la loi injustifiable punissant certains outrages au drapeau tricolore. Le mot « Mahomet » n’apparait nulle part dans le journal contrairement à « islamophobie », et la question de la caricature des religions est éludée.
On peut bien sûr reprocher tout un tas de choses à Charlie Hebdo et dénoncer également comme le fait Psikopat les récupérations politiciennes de cet événement tragique ou encore les interventions militaires françaises et occidentales qui sèment la désolation. On peut ne pas avoir envie de caricaturer Mahomet même si les menaces de morts contre ceux qui le feraient devraient plutôt pousser à le faire. Mais occulter et travestir les raisons pour lesquelles ces dessinateurs sont morts ? Ne pas s'expliquer sur le principal ?
Que Psikopat et son directeur ne soient ni militants ni politisés (bien que le sous-titre précise « mensuel résistant »), c’est probable, quoi que cette sorte d’aveuglement soit bien une forme de conviction politique et fleure bon ce que l'on pourrait caractériser sous le terme un peu vague d' « islamo gauchisme ». Pour justifier de noyer son chien, il suffit de dire qu’il a la rage. Pour justifier de ne pas se battre contre les intégristes et leurs liberticides exigences, il suffit de dire que Charlie était un journal de « Mickeys » et verser son flot de larmes sur la disparition des dessinateurs. S’ils étaient morts dans un accident de la route ou sous une avalanche, Carali aurait sans doute publié le même édito, tenu les mêmes propos. Un bien mauvais hommage rendu aux dessinateurs assassinés. Et le fait d'arborer en couverture l'estampille "je suis Charlie" n'y change rien.
Guillaume Doizy