Comment échapper aux droits pesant sur le papier si on souhaite lancer une publication?
La recette est simple: imprimer sur du coton. Ce fut fait.
Un journal-mouchoir, Le Mouchoir de Poche Politique, est vendu 30 centimes l'exemplaire en 1831. Comme ce mouchoir-journal est jetable, réunir la collection complète est un travail de longue haleine. Le Mouchoir tomba des poches après le numéro 144.
Ces informations ont été recueillies dans Le Pélerin du 11 mars 1928. Comment ne pas avoir foi dans ces renseignements? Révérence gardée, il est permis aux mécréants de douter.
Heureusement pour la saveur de cette curiosité typographique, six journaux au moins confirment 32 ans à l'avance l'article du Pélerin et le complètent (1).
Le Mouchoir fut fondé par Bertholds, l'éditeur de La Lanterne. La collection des 144 numéros (2) est vendue à Londres en 1896 chez Sotheby pour la somme de 8,600 francs selon le XIX° Siècle , 8,500 selon La Lanterne qui décidément ne donne pas tout à fait les mêmes éclairages mais qui commente : "Pour quelques douzaines de mouchoirs sales, c'est énorme, pour une curiosité typographique, c'est donné".(3)
Les caractères typographiques imprimés n'étaient pas nets, le coton buvait trop d'encre, les illustrations, baveuses sans doute, étaient "réellement imprimées à la manières noire" (4), ainsi lorsque Bonaparte est représenté traversant les Alpes, " la neige des montagnes s'est littéralement transformée en cirage"(5).
Le Mouchoir de Poche Politique a banalement coulé pour cause d'exploitation déficitaire.
Pourquoi Le Pélerin a-t-il sorti de sa poche cette information insolite 32 ans après?
Si l'hebdomadaire assure le nécessaire avec les thèmes politico-religieux souvent illustrés de caricatures, le superflu se nourrit, fin des années 1920 entre autres, de dessins d'humour dignes de l' Almanach Vermot et de catastrophes illustrées, spécialité dont Détective ou Radar feront leur miel plus tard. Il propose des devinettes en image et des dessins à tracer d'un seul trait, technique dont Saul Steinberg jouera en virtuose. Les anecdotes insolites ne sont pas rares. On apprend qu'un ouistiti fit arrêter un cambrioleur, qu'un perroquet a dénoncé son maître à la police, qu'un policier électrique a été inventé, qu'il existe une secte des yeux crevés pour mieux voir, qu'une locomotive a été bloquée par des papillons. Miracles...qu'il faut renouveler.
Est-il impie de penser que le superflu est nécessaire au Pélerin pour fidéliser son lectorat familial ?
Daniel Dugne
Notes
1- consultables sur Gallica, Le Journal du Dimanche du 17-11-1896, La Lanterne et Le XIX° Siècle du 24-11-1896, La Gazette Anecdotique... etc... du 15-12-1896, Le Gaulois, avec un peu de retard, du 06-01 1897. En bon voleur, Le Voleur Illustré du 17-12-1896, recopie quasiment mot pour mot les mêmes informations.
2- La Lanterne (4 frimaire an 105) est le seul journal à donner le chiffre de 114 numéros
3-- d'après l'INSEE, 8,600 francs en 1901 équivalent à 3325,78 euros en 2014.
4- Le XIX° Siècle
5- Le Journal du Dimanche