Les têtes couronnées aiment-elles être caricaturées ? Cet article ne se propose pas d'analyser par le menu un thème royal, il souhaite simplement remonter à la surface quelques prises pêchées dans la barbotière des journaux historiques américains (1). Ces articles paraissent dans différents Etats de l'Union et sont souvent envoyés par une association de presse qui regroupe plusieurs journaux; elle arrose tout le continent avec les nouvelles intérieures les plus importantes. Existe également un bureau international qui regroupe différentes organisations, ratisseuses d'informations, citons Associated Press, United Press et la Reuter Agency for Europe. Un essaim de correspondants et de reporters butinent un peu partout et notamment en Europe (2). Il ne faut donc pas s'étonner si les mêmes informations sont éparpillées dans la presse des différents états, recopiées parfois mot à mot,. La multiplicité implique-t-elle la fiabilité? (3)
JE N'AIME PAS, JE CENSURE
La reine Victoria, est mortifiée, encolérée par les caricatures françaises et hollandaises, qualifiées d'obscènes par l'auteur d'un article paru en 1900 dans The Salt Lake Herald, et ravie que la presse russe condamne vigoureusement les dessins et leurs auteurs. On rapporte qu'elle aurait dit: " Pour les français, le Tartare est un ours, en réalité, c'est un homme de coeur (gentleman). Les français se qualifient de Monsieur mais la traduction en anglais de ce mot ne leur serait pas agréable." (4).
Une quarantaine de jours plus tard, The Hawaïan Star (5) contredit The Salt Lake Herald. Aucun anglais, aucun courtisan n'aurait osé montrer ou acheter les caricatures blessant Sa Majesté. Elle ne les aurait pas vues mais aurait plaint ces étrangers pour "leur manque d'éducation et de bon sens".
Les étrangers ne sont pas les seuls à manquer d'éducation puisque la reine est victime de caricatures anglaises jugées offensantes alors qu'elle s'est retirée de la cour peu après la mort de son époux. Une poignée d'hommes publiques et son secrétaire particulier sont les seules personnes qu'elle fréquente; ces relations privées sont mal interprétées, volontairement ou non. La reine choisit d'oublier ces outrages, on rapporte que certaines caricatures existent encore (4).
La reine a ses champions: le colonel Murphy se bat en duel avec le rédacteur en chef de La Caricature, il lui brise la clavicule et lui troue la poitrine. Les jours du blessé sont en danger. Le journaliste note que Le Rire et La Caricature ne furent pas plus féroces que les caricaturistes anglais pendant l'affaire Dreyfus (6) .
Au Caire, deux rédacteurs en chef de journaux satiriques sont condamnés à 18 mois de prison et à une amende pour avoir publié des caricatures de la reine "grossièrement indécentes" (57). Ailleurs, on souligne que le public français désapprouve la caricature "calomnieuse" de Victoria par Léandre: vampire vert, elle aspire le sang de la tête de Kruger (58).
Le gouvernement français a promis de décorer Léandre de la légion d'honneur et préfère affronter l'opinion publique anglaise plutôt que la française. L'ambassadeur de Sa Majesté à Paris, Sir Edmund Morton, fuit, boudeur, vers l'Italie pour protester: il passe au soleil des vacances contestataires (59).
Edouard VII s'indigne de ses caricatures (60) et n'apprécie ni sa mère croquée dans Le Rire, ni la lettre de compliment envoyé par le Duc D'Orléans à Willette, vécue comme un camouflet donné par celui qui, né en Angleterre, émigré de 1848, est accueilli comme un ami. Le Duc nie cette lettre mais Willette publie le facsimile (61). Le correspondant à Paris de la St.James Gazette, Mr. Strong, est révolté par cette caricature répugnante et obscène dans ce torchon de bas étage (7). Le Duc doit rendre sa carte des clubs St James et Malborough mais refuse de démissionner du Club des Célibataires arguant du principe de liberté individuelle (62). Alors qu'il villégiature en Espagne à San Sebastian, un groupe de jeunes anglais le fesse fortement; une caricature illustre ce haut fait (64).
Quand le Duc d'Orléans sollicite une entrevue, Edouard VII refuse sèchement, il ne pardonne pas au Duc d'avoir félicité Le Rire (8), mais, imploré par des proches et l'épouse ducale, bon prince, il accepte finalement de le recevoir (61).
La France s'efforce pourtant de ne point peiner Edouard : avant la royale visite à Paris, Le Figaro suggère que les kiosques des boulevards soient purgés des caricatures répugnantes. Certains marchands de journaux les retirent de la vente, l'un deux, qui n'a pas suivi le mouvement, voit son étalage saccagé par un groupe d'étudiants (9).
Les réactions officielles sont parfois un peu molles ; Millevoye pense que les étrangers devraient être plus sensibles aux sentiments des français si l'on considère la façon dont l'armée française a été traitée par la presse britannique. Le premier ministre Waldeck-Rousseau déclare que le gouvernement condamne les caricatures des souverains étrangers mais les poursuites ne peuvent être entreprises que si les parties intéressées le demandent. Le ministre de l'intérieur français, lui aussi, condamne fermement les caricatures des souverains étrangers, mais pour de nobles raisons: cela blesse le patriotisme des touristes, les éloigne de Paris et ainsi nuit au commerce (10).
En 1902, des résidents anglais à Paris protestent contre des cartes postales caricaturales qui manquent de respect à un Edouard VII malade. La police saisit ces grossièretés (63).
Victoria n'est pas, bien sûr, la seule tête couronnée a être irritée par ses caricatures, Guillaume II réagit de même (12). Des journaux sont interdits, des rédacteurs en chef, accusés de lèse- majesté, emprisonnés. En 1914, le code militaire allemand prévoit de "traiter sommairement" les prisonniers en possession de cartes postales caricaturant le Kaiser, c'est pourquoi les autorités militaires françaises et anglaises interdisent à leurs soldats de garder sur eux ces images (13).
Après la publication dans le Simplicissimus d'un dessin "brutal", le Kaiser suggère à son ministre de la guerre que tout officier allemand signe une promesse de ne pas lire ce journal dangereux pour le gouvernement; la loyauté de l'armée envers le monarque et le pays est nécessaire (14).
Un artiste allemand confectionne des statuettes- caricatures en plâtre qu'il photographie. La police les fait saisir. Il envoie à Paris cent mille cartes postales vendues en un jour. Une semaine plus tard, chaque monarchie européenne place un embargo sur ces cartes postales qui entrent malgré tout en fraude par milliers (15).
L'ambassadeur allemand auprès de Rome veut intenter un procès à L'Asino pour avoir publié une caricature de Galantara ou l'on voit Guillaume II, portant hermine et couronne, s'admirer dans un miroir qui ne réfléchit qu'un bandit de grand chemin. Le procès n'a pas lieu (16).
Les agents de Guillaume ne sont pas les seuls censeurs, la grande famille des têtes couronnées veille; le romancier H.G.Wells a écrit une préface au livre de William Dyson "Kultur Cartoons"qui reproduit des caricatures anti-allemandes, ce qui fait plaisir à beaucoup de gens mais pas au roi Georges ni à la reine Marie. Ordre est donné aux censeurs de "mettre la pédale douce" sur les caricatures de guerre dans tous les journaux et magazines. Une interdiction totale de caricaturer ou insulter Guillaume II et son fils le Kronprinz est exigée par les souverains. Le ministère des armées interdit que les caricatures soient envoyées aux soldats du front et les éditeurs sont sommés d'indiquer dans leurs feuilles cette interdiction. L'opinion anglaise comprend que les souverains défendent leur propre caste puisque le sang de leurs veines est allemand jusqu'à la dernière goutte. L'article rappelle que jamais depuis les images contre Louis XVI et Marie-Antoinette les attaques contre la famille royale allemande n'avaient été aussi virulentes (17).
Pour des raisons non génétiques, le gouvernement français lui aussi censure les cartes postales caricaturales des empereurs allemand et russe mais " ce siècle avait deux ans" (18).
En 1914, Berlin demande semi-officiellement que les dirigeants ennemis ne soient pas insultés ; les caricatures du Tsar et de Poincaré exposées dans les vitrines sont indignes du peuple allemand, les combats doivent réveiller les qualités en sommeil dans l'âme des peuples, la guerre se gagne non seulement sur le champ de bataille mais également avec les armes intellectuelles. On n'évite pas d'insulter l'ennemi pour l'épargner mais pour se grandir (11).
Précédemment en 1898, des exemplaires du Petit Journal du mois de novembre furent saisis, à la demande de l'ambassadeur d'Allemagne le Comte Munster, parce qu'ils contenaient une caricature offensante pour l'Empereur que le San Francisco Call reproduit (19).
Des dévots enguillaumés défendent également leur idole : dans une bibliothèque de la Cinquième Avenue, Oswald Lippoldt déchire une caricature de l'empereur publiée dans le journal anglais Manchester Guardian (20). Le vandale est condamné à payer une amende. Un lecteur du Literary Digest annule son abonnement car une caricature a comparé le Kaiser à Napoléon, cet usurpateur, ce voleur assoiffé de sang (55).
Nicolas II envoie les caricaturistes en villégiature : Fritz Müller, fils d'un riche marchand de Munich, dont le talent de caricaturiste est apprécié à la fois dans sa ville et à Berlin, part pour Saint-Petersbourg où il hérite d'une petite réputation dans un journal humoristique. Un feuille nihiliste lui demande de caricaturer le Tsar et les membres du gouvernement. Pour toute récompense, il est invité à passer 15 ans dans les mines d'argent de Sibérie (21).
Dans son Appel au Tsar de la paix contre le Tsar du knout, lettre-préface à son livre sur Nicolas II, Grand-Carteret tonne contre les censeurs russes, rois du caviardage, qui interdisent plusieurs de ses livres, non seulement "l'Alliance Franco-russe" mais également "Lui" et " L'Oncle de l'Europe" alors que ces deux dernier recueils circulent librement en Allemagne et en Angleterre.
Au pays du Soleil Levant le pouvoir est-il plus éclairé ? Le dessinateur anglais David Low demande à Ippei Okamoto ce qui se passerait s'il caricaturait le Mikado. Le caricaturiste japonais se contente de répondre d'un geste et d'un son : il imite le bruit de la scie en passant le tranchant de sa main sur sa gorge (22).
J'AIME, JE COLLECTIONNE
On pourrait penser que tout est entrepris pour que la reine Victoria ne connaisse pas les caricatures publiées dans les journaux français et hollandais (23). Non seulement elle les connaît, mais elle insiste pour les voir. Elle adore lire les journaux satiriques (24). Si, sur ses photos, Victoria a l'air sévère, triste et mélancolique, le New York Tribune du 03-12-1899 indique qu'elle se délecte des caricatures qui ciblent ses conseillers et les membres de sa famille résidant à l'étranger. She is amused (25). Tout au long du règne de leur souveraine, les ministres prennent grand soin de lui monter les caricatures dont ils sont l'objet aussi bien dans les journaux britanniques que dans les publications étrangères. Elles lui sont envoyées sous forme d'album (scrapbook) et comme tous, depuis son accession au trône, se font scrupule de suivre cette coutume, la bibliothèque du Château de Windsor contient une collection complète et unique des hommes politiques de l'ère victorienne.
Sir John Lockwood, jeune avocat, croque pendant les procès, scènes et individus.Chaque soir, un marchand lui paye immédiatement une caricature 5 livres sterling. Sir John essaye de deviner l'identité du collectionneur mais en vain. Quelques années plus tard, invité à Sandringham, il eut la surprise de découvrir ses caricatures accrochées aux murs des appartements privés d'Edouard VII (26). L'Oncle de l'Europe collectionne également les caricatures dessinées par ses frères et soeurs (27).
Puisque nous sommes en Angleterre, signalons un émigré de quelque renom, Napoléon III, dont la principale distraction pendant sa maladie est de regarder sa collection de caricatures dessinées pendant son règne et après sa chute, collection qui le plonge dans de longues rêveries (28).
Le New York Tribune du 03-12-1899 estime que Guillaume II a une attitude raisonnable envers le"journalisme comique". Les dessins qui excitent la colère impériale pourraient tout aussi bien faire l'objet de poursuites judiciaires aux Etats-Unis. Il rappelle que Kladderadatsch a caricaturé chaque semaine l'empereur, sa famille et ses ministres sans être poursuivi ni suspendu. Il rappelle aussi que Grand-Carteret, apprenant que son livre "Lui" ne serait pas autorisé par les douaniers à entrer en Allemagne, encourage Guillaume à suivre l'exemple de Frédérick II qui "ne fut jamais gêné par les sarcasmes de la caricature". Alors que l'auteur de L'Anti-Machiavel passait dans une rue de Berlin, il vit une de ses caricatures accrochée bien trop haut, il la donc fit descendre pour qu'on puisse mieux la voir. Grand-Carteret termine sa lettre par : "Majesté! faites le geste libérateur que le monde attend de vous. Laissez passer les images!"
L'Empereur prie son ministre de la justice et les douaniers du ministre des finances Rheinbaden de ne pas saisir le livre ni de le poursuivre devant les tribunaux pour insultes à sa majesté (29). La lecture des caricatures est donc un plaisir autorisé, elle n'est plus un manque de respect pour le trône. "Le monde change et ses grands hommes avec lui" (30).
Guillaume II collectionne ses "charges" tout comme Von Bulow collectionne les siennes. Il affirme que la collection de l'ex-chancelier est presque aussi importante que la sienne, mais "pas tout à fait aussi amusante" (31). D'épais albums truffés de caricatures, aussi désobligeantes soit-elles, sont conservés à Postdam dans la bibliothèque de son nouveau palais. Même après avoir quitté le pouvoir, il continue, par l'intermédiaire de plusieurs agences, à enrichir ses dossiers (32). Guillaume I, son grand-père, collectionnait ses caricatures publiées en France depuis 1866, y compris celles qui le ridiculisaient le plus (33).
Toutes les caricatures du Kaiser publiées à Londres et à Paris sont collées dans un album pour lui être montrées. Dans le but de dégonfler son ego, on lui suggère de les utiliser comme papier peint dans une pièce de chacun de ses palais (34). Ces bons conseillers s'inspirent peut-être de la caricature de Nadar montrant des joueurs de billard distraits par le papier peint comique qui tapisse les murs de leur salle. Le Journal Amusant fait de la publicité pour ces rouleaux de dessins humoristiques (68).
Il est faux de prétendre que ses caricatures rendent Guillaume II furieux. Au contraire, elles l'amusent, il les indexe, les classe et connaît les grands noms de la caricature américaine aussi bien que les américains eux-mêmes.Selon The Farmer and Mecanic du 08-06-1913, il aurait commencé sa collection avec le livre de Grand-Carteret Lui. Effet secondaire du livre, les caricaturistes allemands seraient devenus plus audacieux et n'auraient pas craint de le critiquer.
Nicolas II se fait envoyer tous les journaux de tous les pays. Lui et la Tsarine découpent les caricatures qui les concernent et en tapissent eux-aussi les murs d'une pièce réservée à cet effet (35). La Tsarine avait une des plus belles collections de caricatures au monde (36). Grand-Carteret reproduit un dessin d'Edouard VII et Delcassé par G.Lion collé dans un de ses albums (37).
JE COLLECTIONNE. JE CARICATURE
Si Guillaume II collectionne ses caricatures, il prend aussi plaisir à dessiner. Pour le jour de l'an 1898, il envoie à "son cher Nikki" ses voeux : "Je te prie d'accueillir avec indulgence le dessin que j'ai conçu pour toi, représentant les figures symboliques de la Russie et de l'Allemagne montant la garde au bord de la mer jaune"(38).
Pendant ses vacances, il caricature les personnages historiques de la Prusse et notamment du Brandebourg. Bon nombre de ses prédécesseurs sur le trône de Prusse, ainsi que les principaux hommes et femmes d'Etat des 17° et 18°siècles sont croqués avec talent par un crayon rapide et énergique, aux lignes élégantes selon le The San Juan County Index (39).
L'épouse de Nicolas II a hérité de sa mère son talent de dessinatrice, talent qualifié par son père "l'arme d'Alix", son prénom de jeune fille. Les dessins de ses victimes, professeurs et dignitaires de la maisonnée, lui valent de sévères punitions. Impératrice, elle continue à croquer hommes d'états, hommes de cour, tous ceux qui lui rendent visite, pour le plus grand plaisir de son mari qui fait relier ses oeuvres avec en frontispice son propre portrait d'empereur (65). Les caricatures de soldats japonais reproduites dans le Los Angeles Herald (40) sont publiées dans un journal russe respectable qui souhaite faire connaître son talent. Elle est la seule dans l'entourage impérial à s'amuser de la guerre russo-japonaise en caricaturant Oyama, Togo, Kuroki, Nodzu, Oku, Nogl et autres militaires japonais distingués. Le Tsar apprécie peut-être ces charges, lui qui déteste "les singes" depuis qu'un jeune japonais lui a profondément entaillé le crâne lors de sa visite à Otsu. (41). Le journaliste russe pense qu'elle pourrait vivre de son crayon si les révolutionnaires détrônaient son mari.
Comme sa grand-mère la reine Victoria, qui a presque été une mère pour elle (42), elle a le sens du ridicule et prend plaisir, pour amuser son tsar de mari, à croquer également la famille impériale, surtout sa belle-mère. Les caricatures auraient même contribué à envenimer les relations déjà difficiles entre la mère et la belle-fille, et plus généralement avec les membres de la famille qui n'aiment pas "l'allemande".
Le Tsar souhaite qu'elle le caricature, elle s'y résigne. Une des caricatures décrites le montre attaché sur une chaise de bébé : il réclame le biberon que tient la Tsarine et pleure car sa mère, entourée de quelques hommes d'Etat aussi réactionnaires qu'elle, éloigne la belle-fille pour faire déglutir à son fils le biberon concocté par ses soins. Celui de la Tsarine porte l'étiquette "libéralisme", celui de la mère de l'Empereur "despotisme et intolérance" ( despotism and bigotry) (43).
Avant le mariage, Alix écrit à son fiancé : "Mon cher enfant...sois fort" (44). On rapporte que le Tsar ne fut pas enthousiasmé de se voir biberonnant (45).
La comtesse Branitzkaya, dame d'honneur de la Tsarine, révèle que le couple impérial croyait aux apparitions. Nicolas II a vu le fantôme de son père. Le garde, témoin de l'apparition, en est mort de peur. La Tsarine croque la scène que lui raconte son mari, elle donnera plus tard à la Comtesse ce dessin ainsi que beaucoup d'autres (66). Comme les borborygmes des fantômes laissent sa dame d'honneur sceptique, l'Impératrice actionne son gramophone et lui fait entendre, pour preuve, des voix plaintives, des grognements humains et des hurlements de chien. La comtesse préfère les explications du docteur qui a constaté la mort du garde : les spiritualistes de tout poil qui hantent les nombreux passages secrets du palais sont sans doute d'habiles metteurs en scène (54).
Le magazine Young Woman estime que son talent de caricaturiste enverrait à la mort ou en Sibérie n'importe quel autre dessinateur qu'Alexandra Feodorovna. Un collectionneur passionné rassemble les caricatures de la Tsarine dans un gros album...qui ? Guillaume II en personne (46).
On ne trouve pas l'image de cette Tsarine, farce et libérale chez deux de ses biographes français : Hélène Carrère d'Encausse la qualifie d'austère (47), Marc Ferro ajoute prude, neurasthénique et anxieuse (48). On s'accorde à penser que l'hémophilie du Tsarevich Alexis et les angoisses qu'elle a suscitées ont changé le caractère de la Tsarine. Le fils a-t-il hérité des talents de la mère? Il est volontiers moqueur (49). Est-il un caricaturiste amateur comme cet autre rejeton d'empereur, l'Aiglon III ? The Sun (50) reproduit une caricature de "Loulou", c'est ainsi qu'André Gill baptise le prince impérial français (67) où nous pouvons voir Thiers, petit Napoléon porté par ses grenadiers, debout sur un bouclier.
EN GUISE DE CONCLUSION
Un Prix Nobel sera- t-il un jour décerné au savant qui découvrira le gêne de la caricature? Ces têtes couronnées forment une même famille. Christian IX du Danemark a une fille qui épouse Alexandre III, il est donc le grand-père de Nicolas II. Une autre de ses filles a épousé Edouard VII, le fils de Victoria, grand-mère de la Tsarine Alexandra. La mère de Guillaume II était la fille de Victoria, il est donc le petit-fils de Victoria, le cousin de Nicolas II ainsi que le neveu de l'Oncle de l'Europe, Edouard VII (53).Un petit poème pour vous récompenser de vous être accroché aux branches de cet arbre généalogique:
Guillaume deux, le Voyageur,
S'en va embrasser sa grand-mère.
Pour fêter le jeune empereur,
En branle-bas! vieille Angleterre!
Formez la coalition,
Narguez le Français et le Russe!
Allons la perfide Albion,
Faites risette au roi de Prusse! (56)
Cocktail explosif de querelles familiales,dynastiques, politiques et d'événements historiques. Les hommes et femmes politiques d'aujourd'hui entretiennent-ils avec leurs "charges" les mêmes rapports ambigus et passionnels que ces entrônés ?
Don Carlos, roi du Portugal, qui riait volontiers de ses caricatures (51) aurait sans doute été d'accord avec Philarète Chasles : "Que la vanité se résigne. Ici le coup de fouet, là les délices de la réputation" ou encore "(la caricature) marche, comme l’esclave antique, derrière le triomphateur, et son principal rôle est de siffler" et enfin, "le temple de la caricature est l’arrière-boutique du
temple de la gloire, on n’est pas un grand homme à moins d’avoir subi cette apothéose grotesque."(52)
Notes
1-Library of Congress. Chronicling America. Historical American Newspapers. De 1876 à 1915, limites de cet article.
2-History of American journalism. James Melvin Lee. 1917. page 317.
3- je ne signale les doublons qu'exceptionnellement.
4-The Salt Lake Herald du 1900 -02-25.
5- du 05-04-1900.
6-Barton County Democrat .1899-12-29.
7- The San Francisco Call 1900-02-25.
8-Akron Daily Democrat 1902-09-17.
9-Deming Graphic 1903-07-15.
10-The San Francisco Call 1901-12-25.
11- The Daily Missoulian 1914-12-12.
12- The Independent 1901-04-19.
13- Evening Star 1914-12-05.
14- The Washington Times 1910-04-02.
15-The Tacoma Times 1910-10-17.
16-ce qui ne veut pas dire que la censure n'existe pas. Il est interdit d'exposer dans les vitrines les caricatures sur cartes postales. Les vendeurs contournent l'interdiction en masquant les têtes: jeu de devinette pour le public.Cartoons magazine 1915-08- page 211.
17-Royal Times Dispatch 1915-03-14.
18-The Rice Belt Journal 1902-10-13.
19-The San Francisco Call 1898-12-02.
20-The Evening World 1914-11-20.
21- Gainsville Daily Sun 1908-03-18.
22-Low's autobiography. Simon et Schuster. New York.1956. page 217.
23- The Salt Lake Herald 1900-02-25.
24-The Appeal 1900-06-02.
25-pour la célèbre citation "We are not amused", voir les informations sur la toile.
26-Los Angeles Herald 1907-02-24.
27- The News Herald 01-08-1907.
28-Daily Post de Liverpool, mentionné par The Milan Exchange du 24-02-1876.
29-Echo de l'Ouest, un journal de Minneapolis dans le Minnessota donne les mêmes informations en français le 23-février 1906 et republie le même article le 2 mars.
30-Evening Star 17-02-1906.
31-The Colombus Journal 29-09-1909.
32- The Times Dispatch 1913-05-30.
33-The Salt Lake Herald 1901-03-24, information reprise 5 ans après dans The San Francisco Call du 25-02-1906.
34-The Independent 1901-04-19 repris du New York Herald.
35-Daily Intermountain 1899-01-14.
36-The Pensacola Journal 16-01-1909 et The Ocala Banner 05-02-1909, même article mot pour mot.
37-L'Oncle de l'Europe page 103.
38- Nicolas II . Hélène Carrère d'Encausse .Fayard. 1996. page 131.
39-The San Juan County Index 1901-11-22.
40- Los Angeles Herald du 1906-07-15.
41-Nicolas II . Hélène Carrère d'Encausse .Fayard. 1996. page 81.
42-Hélène Carrère d'Encausse page 86.
43- New York Tribune du 1899-12-03 . article signé "ex-attaché"+ The Appeal 1900-02-06. L'article du Pullman Herald (1900-01-06) reprend un article du Birmingham Post et décrit cette même caricature du Tsar au biberon.
44-Hélène Carrère d'Encausse page 88.
45- The Havre Herald 1907-02-15.
46- The News Herald 1907-08-01.
47-Hélène Carrère d'Encausse page 475.
48-Marc Ferro. Nicolas II.Payot 1990. pages 60 et 70
49--Marc Ferro page 171.
50-The Sun 1913-09-14. Voir la rubrique- à- brac "François d'Orléans, prince des caricaturistes ?" pour connaître un autre caricaturiste royal.
51-The St. Johns Herald 1899-12-19.
52-Philarète Chasles."Encore sur les contemporains". Amyot. 1869.pages 53, 61. 52.
53- Pour ceux dont l'intérêt s'est maintenu et qui voudraient connaître les autres branches de l'arbre généalogique voir les notes en bas des pages 114 à 116 du livre de Grand-Carteret "L'Oncle de l'Europe"
54-Salt Lake Tribune 1912--03-17.
55- The Washington Herald- 1914-12-05.
56- Le Triboulet 1891-07-12 page 5.
57-Pullmann Herald 1896-11-21.
58-The Topeka State Journal 1900-11-12 et Le Rire 1900-11-10 pour la caricature de Léandre.
59-The Indianapolis Journal 1900-02-06.
60-The Seattle Star 1901-02-06 :caricature publiée dans Le Rire 1901-02-02.
61-Omaha Daily Bee 1907-10-27.
62-New York Tribune 1900-05-18.
63-Omaha Daily Bee 1907-02-20.
64-The Times Dispatch 1913-06-29.
65-The Saint Paul Globe-1901-11-05.
66- Ce sont, vraisemblablement, les dessins de cette collection que la presse américaine reproduit.
67-La Petite Lune n°39 page 3 signé "Cric" et n°48 page 4 signé "Agence à vase (de nuit)"
68-Le Journal Pour Rire 1859 n°198 page 5. Entre autres les années 1872,1875,1892, 1901 pour Le Journal Amusant