Paris. 1901. La Mi-Carême déroule des cordons de policiers le long des principales artères de la capitale pour que la foule n'entrave pas le passage de la cavalcade. Un homme marche, un journal à la poche. Pour franchir un barrage, il murmure son nom à l'oreille du policier. Passage refusé. L'homme s'énerve, parlemente, le policier reste inflexible: il n'a pas reconnu, ou fait semblant de ne pas reconnaître, le Président du Conseil qui se dirige vers l’Élysée où il a rendez-vous avec Émile Loubet, Président de la République. Waldeck-Rousseau a beau fouiller ses poches, il ne trouve pas le moindre papier permettant de l'identifier, mais il se souvient, il a acheté le matin même en kiosque le journal "La Libre Parole" où figure sa caricature. Il la montre :
" Oh la la, quelle vilaine binette" (1) s'exclame le contrôleur es têtes. Après avoir comparé plusieurs fois le portrait à l'original, il lâche un sourire carnavalesque et admet : "Oui, c'est bien vous, c'est bon, passez".
De nos jours, si vous souhaitez renouveler votre carte d'identité, il faut vous munir d'une photo nette sans pliure ni trace. La taille de votre visage doit être de 32 à 36 mm du bas du menton au sommet du crâne hors chevelure, tête nue, visage face à l'objectif, bouche fermée, yeux ouverts parfaitement visibles, non masqués par des lunettes, ou alors les verres devront être non teintés, sans reflets.
Imaginons un règlement waldeck-rousseauiste. Chaque préfecture embaucherait des caricaturistes en CDI. Avantages : moins de précarité chez les intermittents du dessin, relations plus humaines qu'avec un photomaton, des contrôles d'identité au faciès hilarants, une relation pouffante entre police et population. Les dessinateurs les plus pertinents pourraient être décorés à l'image de Forain qui remit, au nom de la République Française, la légion d'honneur à Raemaekers pour service rendu aux alliés (2).
Aux Grands Caricaturistes La Patrie Reconnaissante.(3)
Daniel Dugne
NOTES :
L'anecdote du Chef du Gouvernement et du policier figure dans le "Dakota Farmer's Leader" du 01-11-1901. Sa source est la revue "Mainly About People". Les "Historic American Newspapers"publiés sur le site de la "Library of Congress" comptent, pour la seule année 1901, 494 articles où figure le nom de Waldeck-Rousseau.
Le papier étant publié en 1901, nous avons assumé qu'il s'agissait de la Mi-Carême de 1901.
Nos recherches pour trouver La Libre Parole de cette année là ont échoué (l'image illustrant cette rubrique à brac date bien de 1901 mais est tirée du Grelot). Si aucune charge de Waldeck-Rousseau n'y figure en 1901, s'agit-il d'une fake news? le titre a-t-il sombré dans l'Atlantique Nord ? avatar de La Libre Parole ? A cette date, il n'est pas rare que des journaux satiriques français accueillent les caricatures de ce Président du Conseil en poste du 22-06 1899 au 03-06-1902 .
1- " Oh la la,What an ugly phiz!".
" Oh la la c'te drôle de binette
Oh la la,c'te gueule qu'il a"
(refrain d'une chanson d'Aristide Bruant avec lequel il accueillait les clients du Chat Noir)
2- L'événement franchit la Manche: Punch or the London Charivari lui consacre quelques lignes le 29-03-1916 (page 221).
3-sans jeu de mots