
Vous signez un abécédaire "Gotlib" tout à fait réjouissant. Que représente ce dessinateur dans votre parcours personnel ?
Je l’explique dans le livre : Gotlib a été un des héros de mon adolescence. Certainement le dessinateur auquel je dois le plus de fou-rires ! Celui que je lisais en premier, chaque semaine, dans Pilote. Et celui qui, par ses audaces, a contribué à déniaiser le garçon que j’étais, formaté par une éducation stricte et très puritaine.
Pourquoi un abécédaire et pas une étude qui aurait fait la part belle à la chronologie, ou qui aurait exploré l’œuvre du "maître" au travers de ses thèmes ou ses personnages principaux ?
L’œuvre de Gotlib est éparpillée entre cinq magazines principaux (Vaillant/ Pif, Pilote, L’Écho des savanes, Rock & Folk et Fluide glacial) et de très nombreux personnages. Privilégiant les histoires courtes, elle a abordé une grande quantité de thèmes. Pour rendre compte de cette dimension « éclatée », il m'a semblé que la forme de l’abécédaire était la plus appropriée : elle me permet de multiplier les approches, les coups de sonde, sans devoir napper mes propos dans une cohérence de façade.
Gotlib a réalisé peu de bd au long court, se focalisant sur les histoires courtes. Comment expliquer cette spécificité qui ne l'a pas empêché de connaître la notoriété ?
Gotlib était un humoriste, et l’humour cultive plus volontiers les formes courtes. Pour Gai-Luron, le format de la double page était celui que lui accordait la rédaction. Puis, quand il a illustré les Dingodossiers, il s’est entraîné à changer chaque semaine de sujet, au gré des textes que lui fournissait Goscinny. C’est devenu sa façon naturelle de fonctionner : s’emparer d’un sujet, et délirer autour.
Contrairement à Reiser ou Vuillemin qui allient impertinence et style "crade", Gotlib met un style graphique relativement sage au service d'une verve souvent décapante, repoussant la limite des tabous...
Oui. Sur le plan graphique, Gotlib a subi deux influences majeures : celle de Disney et celle de Franquin. Son dessin d’abord très sage a toutefois évolué, pour se mettre au diapason de la folie qu’il mettait dans ses scénarios. Comme je le montre dans le livre, cela passe notamment par un travail sur l’hyperexpressivité, à la fois corporelle et physionomique, des personnages.
Gotlib marque une étape dans l'histoire de la BD, jusque-là cantonnée en France à la sphère enfantine. De quand date ce grand basculement ?
Le basculement a commencé avec les albums édités par Eric Losfeld à partir du milieu des années soixante, à commencer par Barbarella. Hara-Kiri a également mis le dessin au service d’un propos plus acéré, plus critique, voire ouvertement politique. Le « mauvais goût » y était revendiqué. Pilote a récupéré des auteurs édités par Losfeld (Forest, Druillet) et des transfuges d’Hara-Kiri (Fred, Cabu, Reiser, Gébé). L’hebdomadaire a su vieillir avec ses lecteurs et évoluer avec son temps, pour devenir le vivier d’où allait sortir toute la nouvelle bande dessinée des années 1970 et 80.
En se mettant en scène notamment, Gotlib amuse le lecteur autant qu'il l'interroge sur la fonction du dessinateur et donc sur le rôle de la BD elle-même ?
Gotlib ne cherche pas à questionner, mais à faire rire. La réflexivité, le jeu sur les codes de la BD sont partie intégrante de l’humour dessiné depuis le MAD d’Harvey Kurtzman, au début des années cinquante. Il s’agit simplement d’un élément parmi d’autres au service du comique. Le propre de l’humoriste est de faire flèche de tout bois.
Propos de Thierry Groensteen recueillis par Guillaume Doizy
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