- Maurice Tournade (1925-2014), journaliste et dessinateur de presse : presqu'inconnu à ce jour et pourtant ! Après une exposition au Poinconnet et la présence de ses dessins dans l'exposition sur le dessin d'audience organisée par Saint-Just-Le-Martel, vous préparez une expo solo de son travail pour le prochain Salon du dessin de presse et d'humour de Saint-Just. Qui était Maurice Tournade ?
On ne peut pas dire que Maurice Tournade était un total inconnu. Durant les trente ans (1959-1989) qu’a duré sa carrière de journaliste au quotidien « La Nouvelle République, il a acquis une notoriété régionale dans les huit départements du Centre-Val-de-Loire et du Poitou où était diffusé le journal. Son activité était double. ll conjuguait sa fonction principale de journaliste, critique musical, responsable des rubriques artistiques, avec celle de dessinateur-caricaturiste.
Mais s’il est connu par toute une génération de lecteurs du quotidien, c’est grâce à ses caricatures qui illustraient ses articles et surtout les dessins qu'il présentait chaque semaine dans une sorte de feuilleton, intitulé la « semaine par Tournade ». C’était une bande verticale de quatre images publiée tous les samedis sur la dernière page du journal. Ses dessins y traitaient de façon humoristique les principaux évènements de la semaine écoulée. Trente ans durant, Il a donc réalisé par le dessin une véritable chronique de l’actualité française et internationale.
Les organisateurs du salon de la Caricature et du dessin de presse du Poinçonnet (36) s’en sont souvenus récemment, en nous contactant en début 2019 pour lui rendre un bel hommage, trente ans après sa fin de carrière. Le Centre de Saint-Just-Le-Martel leur a ensuite emboîté le pas en 2020. Ses caricatures des acteurs des procès « Marie Besnard » ont été présentés à l’exposition « les Crayons de la Justice », au milieu de dessinateurs célèbres comme Plantu, Cabu, Riss. En septembre prochain, une centaine de ses dessins devrait être exposée au 39ème Salon International de la Caricature, du Dessin de Presse et d'Humour,.
Si l’on veut maintenant évoquer sa personnalité, le mieux est de reprendre les qualificatifs utilisés par ses collègues journalistes pour le décrire dans leurs articles : passionné, loyal, fidèle, généreux, bienveillant, soucieux d’échanger, curieux des autres, direct,…. gueulard et souvent en retard.
- Aucune formation artistique ni journalistique d'ailleurs, comment a-t-il "réussi" ?
Issu d’une famille modeste de neuf enfants, mon père était un parfait autodidacte. Durant sa jeunesse à Angers, de 1930 à 1950, il présentait de fortes aptitudes dans différents domaines sportifs et artistiques – football et chant lyrique, en particulier - qu’il aurait pu développer jusqu’à un statut professionnel. Mais c’est le dessin qui a déterminé son parcours et l’a amené à quitter son poste dans la fonction publique pour le journalisme. A cette époque d’après-guerre – « les trente glorieuses » -, les opportunités d’évolution professionnelle étaient nombreuses.
Partant d’un « don naturel » pour la caricature, il se fait remarquer tout d’abord par Ouest-France, qui lui propose à partir de 1945 de réaliser quelques « piges » pour ses rubriques sportives et artistiques. C’est ensuite la Nouvelle République du Centre-Ouest qui lui demande en 1952 de couvrir les différents procès de Marie Besnard, « l’empoisonneuse de Loudun ».
Suite à cette première expérience, les cofondateurs de La Nouvelle République, Jean Meunier et Pierre Archambault, lui proposent fin 1959 d’intégrer le quotidien régional à Tours, comme journaliste, critique musical et caricaturiste. C'est le début de sa carrière professionnelle dans le journalisme. Simple rédacteur à ses débuts, il prend ensuite en charge les rubriques culturelles, pour achever sa carrière en 1989 comme secrétaire général de la rédaction. Il restera le caricaturiste attitré de la NR durant toutes ces années. Fidèle à son journal et à sa ville d’adoption, Il se disait fier d’être un journaliste de province et déclarait être devenu « humoriste par accident ». Ce métier de journaliste lui aura sans aucun doute permis de bénéficier d’une stabilité et d’une indépendance, très favorables à l’exercice de son activité de caricaturiste.
- Maurice Tournade tient plus d'un Faizant ou d'un Calvi que de Reiser ou Siné. Comment peut-on qualifier son travail, son trait, son humour ?
Effectivement Maurice Tournade s’inscrit dans la lignée des dessinateurs de presse de l’après-guerre (Aldebert, Chaval, Moisan, Faizant…), tant par le style que l’humour. Ses dessins sont réalisés avec une grande économie de moyens. Ils vont à l’essentiel en un minimum de traits, avec pour principale ambition de faire rire, avec ironie souvent, rarement pour choquer. Ce style efficace était bien adapté aux contraintes qui s’imposaient à lui : la rapidité d’exécution de croquis souvent pris sur le vif, des formats d’édition réduits (10x10) et des délais d’exécution souvent très courts. Qu’il s’agisse d’un quidam, d’une personnalité locale ou d’une célébrité, ses caricatures sont toujours d’une grande ressemblance.
Même s’il a traversé les années 70, on trouvera peu chez lui l’influence de l’esprit 68, ni de la génération « Charlie Hebdo », dont il n’appréciait pas toujours la férocité et l’outrance.
En 2019, Jacques Saint-Cricq, le Président de La Nouvelle République, décrivait ainsi son travail :
« C'était un caricaturiste fantastique. Ses dessins étaient futés, malins, mais jamais méchants. Il savait saisir le caractère des gens. Il y mettait toujours une dose de sympathie. Son trait était rond, comme lui, et son humour avait la bienveillance de son caractère"
Piem, un autre tourangeau, lui a écrit : « J’ai toujours apprécié la délicatesse de votre humour et la sûreté de votre trait. Vous ne tombez jamais dans la vulgarité et la démagogie. Bravo ! »
- Dessiner pour la presse quotidienne n'est pas toujours facile : censure, autocensure, comment Maurice Tournade vivait-il cet art politiquement sensible qu'est le dessin de presse ? Surtout après le retour de de Gaulle au pouvoir et au moins jusqu'au milieu des années 1970 ? Et d'autant plus dans la presse de province...
En 1980, mon père déclarait dans une interview : « je n’ai jamais été censuré à la NR ». Il ne s’est jamais vu refuser un dessin.
Contrairement à la presse nationale plus marquée politiquement, un quotidien régional comme la NR n’est pas à proprement parler un journal d’opinion ou un journal d’investigation. Il justifie son existence avant tout comme support de l’information locale ou régionale, qui prend la plus grande place dans les éditions. A ce titre, il revendique une relative neutralité, ce que certains vont appeler de la modération (ou d’autres plus critiques, de la complaisance…). Journaliste de terrain, partenaire des acteurs locaux, témoin de la vie économique, culturelle ou sportive : cette vision du métier était complètement partagée par mon père.
Mon père avait des convictions politiques modérées. La bienveillance de son caractère ne le portait pas non plus à la férocité ou la virulence, dans ses critiques, comme dans ses dessins.
Il y avait donc naturellement convergence et rarement conflit au sein de la rédaction.
Concernant ses caricatures, la réaction des « victimes » était le plus souvent positive. Ainsi, son voisin de Montlouis-sur-Loire, Michel Debré, lui réclamait souvent ses caricatures de « l’Amer Michel ». Seule la Guerre d’Algérie, au début des années 60, lui a valu quelques lettres anonymes de menaces, de la part de mécontents se revendiquant de l’OAS. Finalement, la seule véritable et grosse pression qu’il aura subie est celle de devoir livrer ses dessins tous les vendredis soir avant 18 heures,…ce qui peut s’avérer paniquant lorsqu’on s’y met le vendredi à 14 heures.
- Maurice Tournade est l'auteur d'un recueil de 200 dessins publié en 1980, "La Ve à la petite semaine". Une synthèse de son travail de dessinateur ?
Ce recueil comporte une sélection de 200 dessins choisis sur la période 1960-1980. Le premier dessin représente Charles De Gaulle en Roi-Soleil après le référendum sur la Constitution de 1958. Sur le dernier, Raymond Barre bloque le « Barromètre » en position « beau fixe ». Le tout est organisé en trois chapitres correspondant aux trois présidences :
Quand notre pays s’appelait de Gaulle (1959-1969)
Cette fois, c’est le Pom-Pom (1969-1974)
Et le d’Estaing frappe à la porte (1974- 1980)
La préface du livre répond complètement à votre question : « c’est ce fil de Marianne que le dessinateur a suivi de semaine en semaine – pendant plus de 20 ans à ce jour – croquant en toute liberté les proies offertes par l’actualité. De ces rendez-vous hebdomadaires ont surgi quelque 5000 dessins – 5000 saynètes – En quelque sorte …une « Cinquième »… « à la petite semaine » Car mon destin à moi me fit entrer en profession dans une double colonne de la « Nouvelle République » - celle du Centre-ouest – dans le temps même où les français, eux, entraient en « Cinquième ». Une coïncidence. Un attachement particulier… dont cet ouvrage veut tout simplement porter témoignage.
- L’œuvre dessinée de votre père comprend environ 5 000 dessins. Vous avez conçu un site pour présenter ce travail. Quel sont vos projets autour de cette œuvre ? Des expositions ? Numérisation de l'ensemble ? Une donation ? Un recueil ?...
A la retraite en 1989, mon père a pratiquement cessé de dessiner, signe probablement que cette activité était devenue, après 30 ans d’exercice, une source de stress plutôt que de plaisir. Il n’a pas non plus souhaité donner une suite à son recueil de 1980, ni cherché à mettre en valeur son travail et sa production, chose que nous, ses proches, avons beaucoup regretté. Après son décès en 2014, j’ai ressenti le besoin de faire connaître la personne et son œuvre, de laisser une trace publique de son travail. Comment mettre en valeur ces milliers de dessins, accumulés depuis plus de 60 ans ?
Dans un premier temps, le plus simple et le plus immédiat a été de créer le site web https://www.maurice-tournade.com/ qui regroupe l’essentiel de l’information le concernant.
Le salon de la Caricature et du dessin de presse du Poinçonnet a été en 2019 un second déclic plutôt inattendu. Les élus et les bénévoles du salon – tous charmants, il faut le dire - se souvenaient de Maurice Tournade. Formidable ! Ils nous ont mis en relation avec les gens –tout aussi actifs et sympathiques - du Centre de Saint-Just-le-Martel, qui nous ont donc associés à deux expositions.
En se plongeant dans un tel « stock » de plus 5000 dessins, on réalise que l’humour a bien changé et que beaucoup des personnages ou des faits chroniqués n’ont pas laissé de grandes traces dans la mémoire de nos contemporains. Malgré tout, nous avons pu constater avec plaisir que beaucoup d’anciens lecteurs de la NR appréciaient de retrouver « la semaine par Tournade », ce souvenir vieux de quarante ou cinquante ans.
Pour préparer l’exposition de septembre prochain au 39ème Salon International de la Caricature, du Dessin de Presse et d'Humour, il a fallu faire un gros travail pour sélectionner et documenter les 100 dessins originaux qui seront présentés, sous la forme d’une chronique en dessins de la 5ème République. Ce sera en quelque sorte une mise à jour du recueil « la 5ème à la petite semaine », dans un esprit un peu différent. Il est devenu important de resituer chaque dessin dans son contexte et de donner toutes les clefs pour une bonne compréhension d’évènements désormais lointains.
Pour la suite, il nous semble que l’objectif principal serait de valoriser la dimension historique et documentaire de toute cette production, en tant que témoignage de cette période 1960-1990, qui va de la guerre d’Algérie au deuxième septennat Mitterrand. Cela peut passer, comme vous le suggérez, par l’édition d’un nouveau recueil, de nouvelles expositions, ou même des travaux universitaires. Nous ne nous interdisons rien, mais cela dépendra grandement des opportunités et des sollicitations à venir.
Propos de Frédéric Tournade recueillis par Guillaume Doizy
Maurice TOURNADE journaliste caricaturiste
Coups de coeur, coups de crayon... dessinateur de presse et critique d'art, entré en journalisme grâce à la retentissante affaire judiciaire Marie Besnard, auteur de 1959 et 1989 de la "semaine par